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Tusk grille les étapes et brise l’unité européenne (maj)

Donald a oublié d'utiliser le téléphone pour appeler Athènes (crédit : Conseil européen)
Donald Tusk a-t-il oublié d'appeler Athènes ? (crédit : Conseil européen)

(BRUXELLES2) Le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, a décidé de prendre les choses en main sur le dossier "Russie". Cela n'étonnera personne... Et c'était attendu.

Le bâton contre la Russie se trouve au Conseil européen

Dès le premier jour de son entrée en fonction, le 1er décembre dernier, l'ancien Premier ministre polonais avait pris son téléphone pour appeler Barack Obama, et l'avait fait savoir bruyamment, non seulement pour affirmer le lien privilégié de l'Europe avec les Etats-Unis mais aussi pour rappeler que Bruxelles et Washington continueraient à travailler main dans la main tant sur les sanctions à l'égard de la Russie que dans le soutien financier à l'Ukraine et pour mettre la pression sur Moscou pour que les Russes se retirent de l'est de l'Ukraine (1). Un message très clair pour indiquer que si la Haute représentante de l'UE était là pour animer la diplomatie européenne, le gourdin vis-à-vis de la Russie se trouvait au Conseil. Après tout une saine répartition des rôles entre la "nice woman" et le "bad boy" assez classique des relations internationales.

Un couac entre Donald et Federica...

L'annonce d'un possible retournement de la situation vis-à-vis de la Russie, amorcé fin décembre, trouble cependant Donald Tusk qui estime que la Russie joue double jeu. Le torpillage du "papier" de la Haute représentante Federica Mogherini, avec une fuite bien organisée vers le Wall Street Journal, ne lui est pas tout à fait étranger. Mais, surtout, il entame d'un coup de canif public les relations entre les deux institutions par un communiqué publié "au nom des Chefs d'Etat et de gouvernement", prenant un peu le contrepied de la position qui vient d'être définie par la Haute représentante. Il appelle les ministres des Affaires étrangères à prendre des mesures appropriées (Nb : sanctions) vis-à-vis de la Russie. Ce qui s'appelle donner un "ordre" aux ministres et vise à mettre la pression supplémentaire sur la diplomatie européenne. Celle-ci - ainsi que je le détaille dans le Club — avait plutôt prévu de procéder en deux temps : évaluation et mandat, puis décision sur les sanctions soit au Conseil européen du 12 février, soit par les ministres des Affaires étrangères réunis le 9 février.

Et un retour de boomerang pour Tusk désavoué par Tsipras ...

Dans sa précipitation, à avancer aussi vite que possible sur la voie des sanctions, Donald Tusk a cependant commis une bourde impardonnable. Il a oublié de s'assurer que le nouveau gouvernement grec partageait bien les vues de l'ancien (*). Il s'est fait sévèrement rappelé à l'ordre par le nouveau chef du gouvernement, Alexis Tsipras. Le nouveau gouvernement dirigé par Syriza souligne, dans un communiqué - détaillé par EU Observer - que cette « déclaration est sortie sans que la procédure prescrite pour obtenir le consentement par les Etats membres et en particulier sans l'obtention du consentement de la Grèce. (...) Dans ce contexte, la Grèce ne donne pas son consentement ». Un tacle sévère à Donald Tusk. Commentaire : Au lieu de marquer leur unité, les Européens apparaissent d'autant plus divisés que la discussion entre ministres avait justement pour permettre de tester les options.

(Nicolas Gros-Verheyde)


(*) Une note de bas de page ou rien !

Selon les informations recueillies par B2, la déclaration européenne était prête lundi matin, en liaison avec les sherpas de toutes les capitales. Aucune n'a marqué de désaccord (y compris certains des plus réticents comme la Hongrie ou la Slovaquie ou l'Autriche). Le gouvernement "Samaras" est alors encore à l'oeuvre à Athènes. Pour s'assurer du consentement du nouveau gouvernement "Tsipras", la déclaration est alors envoyée au conseiller du nouveau Premier ministre grec. Aucune réponse ne vient. « Selon la "procédure de silence", habituelle dans ce cas là, la déclaration est réputée adoptée. Il y avait urgence », plaide-t-on dans l'entourage de Tusk. D'où la « surprise apparente » de l'équipe du président du Conseil européen quand le nouveau gouvernement grec réagit en indiquant son désaccord. Un arrangement est alors proposé sous forme d'une note de bas de page indiquant que la Grèce ne partageait pas les vues de cette déclaration. Athènes ne donne pas suite à cette proposition d'arrangement pour le moins peu ordinaire. En revanche, un entretien téléphonique a bien eu mardi midi entre le Haut représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, et Alexis Tsipras.

Objectif corneriser Tsipras ... et Mogherini.

L'inflexion de la politique étrangère grecque était prévisible et annoncée. L'apparente surprise de Donald Tusk me semble plutôt feinte. Et il faudrait plutôt voir dans cette attitude du président du Conseil européen la volonté de mettre Athènes au pied du mur, publiquement, avant d'autres échéances autrement plus importantes pour la Grèce (au niveau économique). Une sorte de donnant-donnant (soutien économique contre soutien aux sanctions russes). Dans ce jeu de billard à trois bandes, où le visage d'Angela Merkel ne doit pas être trop loin, il s'agit aussi pour Tusk de marquer son territoire par rapport à la Haute représentante de l'UE, Fed. Mogherini, et de pousser les ministres des Affaires étrangères - en général plus réticents que les chefs d'Etat aux sanctions - à agir plus vite et plus fort.

Une voie dangereuse et un blanc seing à Moscou

Cette technique de la "cornerisation" est un procédé sans doute habile, et couramment pratiquée sur une scène intérieure. Mais elle peut se révéler délicate à manier au plan européen, surtout de la part d'un président du Conseil des Chefs d'Etat et de gouvernement qui n'a qu'une faible emprise sur les politiques nationales. Herman Van Rompuy avait compris la nécessité d'être discret, très discret (trop sans doute). Donald Tusk joue la voie inverse, au moins sur la Russie (car sur les autres sujets, il est plutôt absent). Une voie dangereuse, tant au plan externe qu'interne. Il ouvre, en effet, la voie à une attitude différenciée sur la Russie... dans laquelle pourraient s'engouffrer d'autres pays européens. En exposant aux yeux publics les divisions des Européens, il encourage de fait Moscou à continuer l'offensive. La Russie de Poutine n'ayant de toute façon pas vraiment besoin d'encouragement. Tusk prête aussi le flanc à la critique en mettant sur la scène publique ses différents avec les autres responsables européens. C'est imprudent et c'est dommage...

NB : Si la "technique"  de l'astérisque — bien connue des diplomates car elle permet de sauver un compromis — a été pratiquée dans le passé au niveau du Conseil européen ; c'était quasiment toujours au moment de l'adoption d'un document du Conseil européen. Mais après la publication d'un communiqué du Conseil, c'est rarissime.


 

(1) We shared our concerns over the crisis in Ukraine and agreed on how important it is for Russia to withdraw from eastern Ukraine, to stop supplying troops and equipment, to allow effective control of the border and to allow the OSCE to carry out its mission. All hostages should be released. The European Union and the United States continue working together closely, including on sanctions as well as on financial support to Ukraine. We agreed to stay united and to keep a steady course

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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