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L’IntCen… le lieu des échanges … d’analyses Top secret

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Derrière des vitres quelque part dans un batiment du SEAE, un peu plus sécurisé que celui-ci, à Bruxelles (© NGV / B2)

(BRUXELLES2) Partager le renseignement, avoir une CIA européenne... les bons sentiments et les bonnes idées se répandent aussi vite que la poudre après les attentats de Paris dans les milieux européens. Et on cite souvent à cet égard l'IntCen (l'ancien SitCen) qui pourrait être l'embryon de ce service de renseignement. Ce service, peu connu du grand public, et même des spécialistes des questions européennes, suscite tous les phantasmes : d'un service secret à l'européenne à un simple bureau de compilation de revues de presse ? On entend tout et son contraire... Qu'en-est-il en réalité ? Quel est son rôle ? Que fait-il ? quelques éléments de réponse...

Un centre d'analyse partagé et non un centre d'échange de renseignements

Le nom de "Centre de renseignement" peut paraître assez ronflant. La réalité est différente. L'IntCen n'a rien à voir avec une CIA à l'européenne : pas de pouvoir d'enquête, ni de faire des filatures ou des écoutes, pas d'agents sur le terrain et pas de rôle opérationnel. Sa mission est davantage une mission de connaissance, d'intelligence au sens français du mot. En fait, il s'agit davantage d'un centre de ressources, à destination essentiellement des dirigeants européens, qui a vocation d'analyser et synthétiser les renseignements provenant des Etats membres ou de sources ouvertes. « Nous ne sommes pas la CIA. Si on veut nous comparer, ce serait plutôt à l'INR, chargé de l'analyse, au sein du Département d'Etat américain. Nous faisons un peu le même travail » explique un de ses membres qu'a rencontré B2.

Une ambition recentrée

L'IntCen est, en cela, le successeur le SitCen (= centre de situation), placé à l'origine auprès du Conseil des ministres de l'UE, avec pour vocation de partager l'analyse du renseignement. Mais avec une ambition recentrée sur l'analyse. Les autres fonctions — gestion de crise consulaire, veille, communications... — ont été transférées vers d'autres services du SEAE. Il est ainsi passé d'une centaine de personnes à environ 60 personnes avant de remonter aux alentours de 70 personnes (76 exactement aujourd'hui), dont une quarantaine d'analystes. Ceux-ci proviennent en grande partie de personnels détachés des Etats membres. Ce qui permet d'avoir des expertises de différents niveaux. Et également de maitriser différentes langues. Un de ses membres avouait récemment à B2 que, tout confondu, il y a 50 langues maitrisées et parlées au sein de l'IntCen. Outre les langues de l'UE et les langues courantes (russe, arabe, ...), cela passe par des langues plus rares comme le swahili, mais bien utiles pour saisir ce qui se passe en Afrique. C'est un Finlandais, Ilka Salmi, venu des services de sûreté finnois, qui le dirige aujourd'hui ; il a remplacé le Britannique William Shapcott en 2010 (Lire : Un Finlandais va-t-il prendre la tête du SitCen ?).

Le partage de renseignements dépend de la volonté des Etats membres

Ses sources reposent en grande partie sur des sources ouvertes — la presse, les réseaux sociaux, ... —, mais aussi des éléments transmis sous le sceau du "Top secret" par les différents services européens. Avec une limite. Le renseignement ne se partage pas bien au plan européen. Ce n'est pas une nouveauté. Un "Service" a déjà du mal à partager un renseignement, même au plan national... Alors au plan européen ! « Mais cela s'améliore » explique-t-on cependant en interne. « Nous recevons de plus en plus de contributions des Etats membres, qui nous font confiance ». Cet échange d'informations - soyons clairs - ne concerne pas les renseignements opérationnels. Ce n'est pas là que les policiers échangent les informations sur les différentes filières djihadistes ou transmettent les mandats d'arrêts. Il y a d'autres cadres pour cela, en général bilatéraux ou multilatéraux, plus ou moins informels. Ce sont davantage les analyses des différentes menaces ou risques que l'on s'échange. Les analyses ne sont pas redistribuées telles quelles. Elles servent de ressources aux analystes européens tout comme la presse, twitter, facebook et autres réseaux sociaux. Des données précieuses...

Premier centre d'intérêt : Syrie et Irak + Ukraine

Le premier sujet d’intérêt concerne, en ce moment, « ce qui se passe en Syrie et en Irak » avec notamment la menace de l’organisation de l’état islamique mais aussi des différents groupes présents sur place. « Nous avons aussi des préoccupations sur l’Ukraine » explique une source européenne à B2. « Nous cherchons à connaître quel est le niveau de menace pour les Etats membres, quels groupes sont affiliés. Sur un incident (attentat, etc.), nous essayons de savoir la menace, de la relier aux autres évènements, avec les voyages Syrie Irak. Notre rôle n’est cependant pas d’enquêter sur ce qui s’est passé sur le lieu d’un attentat comme à Paris » en janvier 2015. « Mais plutôt ce que ca signifie, comme conséquences pour les autres pays, pour l’Europe ». Le but n’est pas d’avoir un aperçu global de toutes les menaces. « On ne regarde pas toutes les crises dans le monde. Notre angle stratégique est si nous voyons un question qui a un impact en Europe ou sur les citoyens européens ».

Des "synthèses" très utiles

L'IntCen prépare ainsi, en premier lieu, des synthèses géographiques ou thématiques liés aux déplacements de la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, ou aux sujets abordés au Conseil des Affaires étrangères ou au Sommet européen. Ses analyses irriguent aussi les différents responsables européens, à commencer par Donald Tusk (Conseil européen) et Gilles de Kerchove (coordinateur anti-terroriste), mais cela ses analyses peuvent aussi atterrir chez Dimitris Avramopoulos (le commissaire européen chargé des Affaires intérieures) Jean-Claude Juncker, ainsi que dans les représentations permanentes de Etats membres. Des documents de bonne facture selon plusieurs personnes consultées mais qui s'intéressent surtout à la situation passée ou actuelle. Il organise aussi différents briefings sur des thématiques précises pour les responsables européens par les agents de l'IntCen ou des agents des services des Etats membres.

Un centre qui mériterait d'être renforcé

Même s'«il reste au niveau stratégique et ne fait pas de recommandations directes sur les politiques européennes (...) sa production est vraiment le premier input nécessaire à notre analyse » note un diplomate européen. « C’est le guichet unique pour l'analyse de la menace » remarque un expert de la Commission. Et après les attentats de Paris, c'est « un des acteurs qui devrait faire plus et être davantage soutenu par les Etats membres. 

(Nicolas Gros-Verheyde)

Pour aller plus loin : la fiche complète sur l'IntCen décrivant historique, rôle, effectif de l'IntCen à paraître dans l'édition Club et Quezako de B2

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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