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Anti-terrorisme. Un retard à l’allumage européen (maj2)

La Première ministre lettone Laimdota Straujuma et le président du Conseil européen Donald Tusk, immobiles ! (crédit : présidence lettone de l'UE)
La Première ministre lettone Laimdota Straujuma et le président du Conseil européen Donald Tusk, assis à l'inauguration de la présidence lettone, à Riga, immobiles ! (crédit : présidence lettone de l'UE)

(BRUXELLES2) Si très rapidement, après l'attentat sanglant contre Charlie Hebdo, les réactions de solidarité politique, de condoléance, se sont succédé venant de toute l'Europe, la réaction globale des institutions européennes laisse pour le moment... pantois ! Elles étaient pourtant toutes réunies hier et aujourd'hui à Riga, à l'occasion de l'inauguration de la présidence lettone de l'Union européenne. Aucune décision réelle n'a été prise.

C'est la première fois, ainsi, que, lors d'un attentat majeur, sur le sol européen ou dans un pays proche (USA), aucune réunion d'envergure au niveau européen n'est convoquée, avec la présence de tous les ministres ou chefs d'Etat.

Une réactivité forte en 2001, 2004, 2005

J'ai repris mon agenda, il est éloquent.

• Attentats à New-York et Washington, le 11 septembre 2001 : un sommet exceptionnel des Chefs d'Etat est convoqué pour le 21 septembre (soit 10 jours plus tard) par la présidence belge de l'UE.

• Attentats de Madrid, le 11 mars 2004 : point besoin de réunion extraordinaire car un sommet est déjà prévu à l'agenda le 25 mars 2004 (14 jours plus tard) sous la présidence irlandaise de l'UE. L'agenda est bousculé. L'Union européenne adopte une déclaration complète (18 pages) sur la lutte contre terrorisme doté d'un plan d’action.

• Attentats de Londres, le 7 juillet 2005 : une réunion exceptionnelle des ministres de l’intérieur est convoquée le 13 juillet 2005 à Bruxelles par la présidence britannique de l'UE.

Réactivité lente en 2015

• Attentat de Paris, 7 janvier 2015 : aucune date n'a encore été fixée pour la réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE. La réunion internationale sur le terrorisme de Paris, dimanche (11 janvier), se déroule dans un cadre totalement informel (*), celui du G6, convoquée à l'initiative française (en lien avec le coordinateur européenne de la lutte anti-terroriste) et la présence des ministres de l'Intérieur des principaux pays "concernés", mais pas de tous (1). Un G6 élargi en quelque sorte.

La Lettonie, qui assure la présidence de l'UE depuis le 1er janvier, a indiqué que le sujet sera abordé, les 29 et 30 janvier à Riga à la réunion informelle (*) des ministres de l'Intérieur et de la Justice. Une présidence qui ne semble pas vraiment avoir pris conscience à la fois de la gravité de l'attaque et de la nécessité de bousculer l'agenda européen.

Idem pour le Polonais Donald Tusk, qui assure la présidence permanente du Conseil européen, l'urgence ne semble pas non plus vraiment ressentie par le (nouveau) président , le Polonais, pour convoquer une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement avant l'heure. Il a simplement précisé, aujourd'hui, vouloir « utiliser » la réunion, déjà prévue sur le calendrier, le 12 février — soit dans plus d'un mois ! — pour « discuter de la réponse (à) apporter aux défis ». Une réunion informelle (*) à l'heure d'aujourd'hui.

La Commission européenne promet, par la voix de son président Jean-Claude Juncker, de présenter rapidement une révision de la stratégie anti-terroriste de l'UE. De fait l'agenda européen de sécurité était déjà prévu à l'agenda de la Commission pour 2015. Il s'agit d'avancer sur le calendrier. Cet "agenda" ne devrait pas être livré tout de suite mais dans les prochains mois, m'a indiqué une source européenne.

...Léger. Très léger !

Seule, en fait, la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, a décidé de bousculer le calendrier en indiquant, très vite (dès jeudi), que le sujet sera mis à l'agenda des ministres des Affaires étrangères, dans 10 jours, lors de la réunion ordinaire des ministres des Affaires étrangères le 19 janvier. Mais ces ministres ne sont pas, les seuls à être concernés par la question du terrorisme.

En fait, la plupart dirigeants européens seront présents à Paris pour participer à la manifestation "citoyenne" en hommage aux victimes, à l'invitation de François Hollande. De par le nombre et l'importance des personnalités présentes (2), c'est de fait un mini-sommet européen qui sera organisé (une réunion devant précéder à l'Elysée avec les principales personnalités), à l'initiative de la France.

La nécessité symbolique et politique d'une réunion

L'intérêt d'une convocation rapide d'une réunion européenne, a deux objectifs dans ce type de circonstances.

En premier lieu, une telle réunion permet de marquer le coup, de montrer l'unité européenne, de symboliser la solidarité, aux yeux des citoyens européens comme du reste du monde. En un mot, démontrer l'existence de l'Europe politique.

En deuxième lieu, une réunion formelle permet de prendre des décisions, d'engager un travail. Ce ne sera peut-être pas le lieu de décisions définitives. Il ne s'agit pas non plus de décider n'importer quoi à la va-vite. C'est plutôt le moment d'enclencher un processus décisionnel plus vaste, en distribuant les rôles entre les diverses institutions et organes européens, en demandant la préparation de certaines mesures ou l'accélération de certains travaux, on donne ainsi l'impulsion politique nécessaire. Ce processus pourra trouver son aboutissement, rapidement (si des mesures sont déjà sur la table) dans les mois suivants (s'il faut écrire les mesures), voire les années (si cela bloque).

La rapidité en matière européenne a une vertu : profiter de l'opportunité politique pour faire aboutir des décisions qui n'auraient aucune chance, hors période de crise d'aboutir. Chacun sait, que c'est dans des instants critiques, que l'Europe décide !

(Maj 11.1) Finalement une réunion spéciale des ministres de l'Intérieur sur le terrorisme a été convoquée pour le 16 janvier à Bruxelles. Officiellement « par la présidence lettone », de fait sous la pression des autres Etats (notamment de la France et de l'Allemagne).

(Nicolas Gros-Verheyde, sur le trajet de retour de Riga et à Paris)

(*) Ce qui empêche normalement toute prise de décision ou des conclusions à la différence d'une réunion formelle.


(1) Un G6 élargi

Selon nos informations seront présents au moins 11 ministres de l'Intérieur de pays européens — Belgique (Jam Jambon), Royaume-Uni (Theresa May), Allemagne (Thomas de Maizière), Espagne, Italie (Angelino Alfano), Pays-Bas, Pologne, Danemark, Autriche (Johanna Mikl-Leitner) et Lettonie (Rihards Kozlovskis) — ainsi que le secrétaire d'Etat US à la Justice, Eric Holder, le commissaire européen aux Affaires intérieures (Dimitris Avramopoulos) et le coordinateur européen de lutte anti-terrorisme (Gilles de Kerchove).

(2) Un mini-sommet européen

Seront présents quasiment tous les chefs de gouvernement (ou d'Etat) européens. J'en ai compté déjà 21 (avec François Hollande) qui ont annoncé leur présence : David Cameron (Royaume-Uni), Angela Merkel (Allemagne), Matteo Renzi (Italie), Mariano Rajoy (Espagne), Helle Thorning-Schmidt (Danemark), Stefan Löfven (Suède), Alex Stubb (Finlande), Enda Kenny (Irlande) Charles Michel (Belgique), Mark Rutte (Pays-Bas), Xavier Bettel (Luxembourg), Antonis Samaras (Grèce), Joseph Muscat (Malte), Pedro Passos Coelho (Portugal), Boïko Borisov (Bulgarie), Zoran Milanovic (Croatie), Viktor Orban (Hongrie), Laimdota Straujuma (Lettonie), Klaus Iohannis (Roumanie - président), Bohuslav Sobotka (Rép. Tchèque).

Les représentants des institutions européennes seront présents : Jean-Claude Juncker (Commission), Donald Tusk (Conseil) et Martin Schulz (Parlement), Federica Mogherini (Haute représentante).

et un mini-Normandie. D'autres représentants étrangers seront là également, tels le président ukrainien Petro Porochenko et le ministère des Affaires étrangères russe, Sergej Lavrov, à la tête de la délégation russe. Il ne manque plus que Poutine. Et on pourra faire une réunion en format mini-Normandie avant l'heure.

Seront également là le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, et le Premier ministre marocain Mezouar (si des caricatures de Mahomet ne sont pas présentes sur son parcours), l'Israélien Netanyahu (qui a hésité à venir) et le Palestinien Abbas.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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