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Dépenses de défense et déficit ? Pour tordre le coup à quelques fausses bonnes idées…

    Attention aux mirages ! - désert jordanien (crédit : Marine nationale)
Attention aux mirages ! - désert jordanien (crédit : Marine nationale)

(BRUXELLES2) Si la France a un déficit, ce serait en quelque sorte (aussi) du fait de ses dépenses militaires importantes. Des dépenses qu'elle engagerait pour le bien commun, européen, qu'il serait alors juste de pouvoir déduire des déficits. L'argumentation est séduisante et est reprise, de temps à autre, dans différents milieux. Cette argumentation n'est pas sans fondement, comme l'a rappelé mon collègue Jean Quatremer, sur son blog, qui se fonde pour argumenter sur le couple franco-allemand. Cette comparaison se heurte cependant à nombre de questions qu'il n'est pas négligeable de détailler.

1ère interrogation : peut-on parler de décrochage desbudgets de la France et de l'Allemagne ? Non !

En chiffres absolus, la France et l'Allemagne sont désormais exequo avec un budget tournant autour de 31 milliards d'euros. L'Allemagne est même légèrement en tête en 2013-2014. En chiffres relatifs, par rapport à la richesse de la nation, l'Allemagne reste toujours en retrait par rapport à la France avec  1,1% du PIB contre 1,5% à la France (*). L'écart se resserre. La comparaison reste donc limitée. Comparer la France et l'Allemagne sur le plan de la Défense supposerait aussi de prendre en compte les stratégies respectives des deux pays. Or, celles-ci sont assez différentes. La défense française a certaines sujétions que n'a et ne veut pas l'Allemagne (et qu'elle ne peut pas avoir !).

En premier lieu, il s'agit de la dissuasion nucléaire. Son coût est souvent difficile à estimer et donne lieu à polémique en France. Les seuls crédits d'équipement représentent un peu plus de 3 milliards : 3,5 milliards en 2014, 3,6 milliards d'euros en 2015, selon les documents officiels, qui devraient augmenter à 4,5 milliards d'après le chef d'Etat-major des armées, à la fin de la période 2019. Soit 0,15% du PIB. Un chiffre auquel il faut ajouter le coût de fonctionnement (sous-marins, présence en mer, sécurité, forces aériennes stratégiques) qui est rarement détaillé.

Deuxièmement, il faut prendre en compte la présence outre-mer, dans les départements et collectivités français, ou sur les bases permanentes à l'étranger. Ces forces outre-mer (souveraineté et présence) requièrent 11.400 militaires (sur les quelque 200.000 que compte l'armée française), soit à peu près 10% de l'effectif.

NB : imaginez une Allemagne dotée de l'arme nucléaire et avec 3 bases permanentes, je n'ose imaginer les hurlements non seulement au Bundestag mais en France, parfois de la part des mêmes qui reprochent à l'Allemagne, d'être un peu "lente" et "faible" en défense.

2e interrogation : peut-on prétexter du coût important des Opex françaises ? Non !

C'est une réalité, le coût des opérations extérieures (OPEX) française explose chaque année, passant de 450 millions d'euros dans la loi de finances initiale à entre 800 millions et plus d'un milliard certaines années. Cette sous-estimation chronique n'est pas une absence de prévision, c'est au contraire une tactique budgétaire subtile, permettant de ne pas comptabiliser au départ toutes les opérations OPEX pour pouvoir trouver des financements ailleurs au besoin.

Sur la durée, cependant, le budget OPEX allemandes et françaises est assez semblable sur la durée. Sur 20 ans, on arrive à environ 17 milliards pour l'Allemagne contre environ 20 milliards d'euros pour la France.

Certes, on pourra estimer que la France mène des opérations "d'entrée en premier" ou de "force", plus intenses (lire : La capacité d’entrer en premier…). C'est vrai ! Mais bien souvent l'Allemagne poursuit ces actions et s'inscrit dans la durée. Par exemple, dans l'Océan indien, la marine allemande a assumé un engagement permanent dans l'opération EUNAVFOR Atalanta, depuis le début de l'opération, avec 2 navires au minimum durant toute la période. Là où les Français sont désormais présents plus irrégulièrement. Idem au Mali, où l'Allemagne va prendre le relais des Espagnols comme nation-cadre de l'opération EUTM Mali. Citons également l'Irak où Berlin a fourni un beau paquet d'armes (très offensives) aux Peshmergas, même si les avions allemands ne participent pas aux bombardements (lire : Berlin va livrer des matériels militaires conséquents en Irak).

Commencer à distinguer des dépenses financières selon l'intensité de l'engagement ou l'utilité, qui sera toujours plus ou moins subjective de tel engagement, parait assez hasardeux d'un point de vue de finances publiques.

3e interrogation : peut-on décompter les dépenses militaires du déficit ? Très délicat !

Distinguer les "bonnes" dépenses qui devraient être déduites du calcul du déficit et de la dette des autres paraît assez difficile. En quoi les dépenses de défense dans le monde seraient déductibles et pas les autres dépenses de sécurité externe, comme la gendarmerie, la police maritime, la sécurité en mer (exemple pour l'opération Mare Nostrum) ? Enfin, le débat sera très hasardeux : pourquoi les dépenses de sécurité et pas les dépenses de santé, de développement, de recherche ? Le débat risque d'être sans fin... J'entends souvent ce genre de propos. Mais pour moi cela revient à vouloir envoyer un avion de chasse, lourdement lesté de bombes, pour un long parcours, sans avion ravitailleur en cours de route. Il aura 2 solutions pour rentrer à bon port... larguer ses bombes n'importe où et les perdre... ou se crasher, façon kamikaze.

4e interrogation : peut-on convertir certaines dépenses militaires en investissements ? Oui en partie.

C'est déjà fait. Du moins en partie ! Depuis septembre dernier, le système statistique SEC2010 permet déjà la comptabilisation de l'achat d'armements ou de systèmes d'armes comme investissements et non comme dépenses, ce qui augmente d'autant le PiB et descend mécaniquement le déficit et la dette. Mais pour un niveau relativement modeste.

Un seul problème : la solidarité financière

Il reste un problème général, qui n'a pas été résolu, une solidarité renforcée, financière, entre les différents pays européens pour participer aux opérations décidées en commun. Aujourd'hui, celui qui s'engage dans une opération européenne paie deux fois, voire trois : une fois en engageant ses soldats, la deuxième en participant à l'effort collectif, et la troisième en s'engageant politiquement (s'il y a des morts ou un dérapage, c'est le responsable national qui sera comptable devant sa population ou sa représentation nationale). L'idée d'une prise en charge plus forte des dépenses a été évoquée mais se heurte pour l'instant à certaines réticences, notamment allemandes, c'est là où est le réel problème, à mon sens, de la "défense européenne" aujourd'hui. Et malgré le coup d'éclat de François Hollande, il y a un an, à propos de l'opération en Centrafrique, cette question n'a pas été du tout résolue...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) chiffres hors pensions, hors gendarmerie, selon les statistiques OTAN, plus crédibles que les chiffres de la Banque mondiale.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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