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Afrique Australe CentraleReportage

A Bangui. Un incident qui change la donne ?

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Véhicules géorgiens d'EUFOR Rca avant départ en patrouille (© NGV / B2)

(BRUXELLES2 à Bangui) mercredi dernier (15 octobre), des incidents ont opposé les forces européennes ont été prises à partie par "un groupe armé". Ce n'est pas la première fois. Mais cet incident a une certaine singularité qui mérite qu'on s'y arrête 5 mns. Les "accrochages" se sont poursuivis durant plusieurs heures, « trois heures » environ, entre le 8e et le 5e arrondissements, sur l'avenue des Martyrs, une des principales artères de Bangui qui relie notamment l'aéroport au reste de la ville, à proximité du camp Ucatex où est basé EUFOR.

Une série d'incidents

Tout semble parti de groupes armés, notamment de AK47. Ce qui est contraire aux "mesures de confiance" convenues entre les différentes parties (qui prévoit notamment l'absence d'armes dans la rue). Les Européens (Espagnols, Français) descendent alors de leurs véhicules. C'est à ce moment-là que l'échange de tirs commence.  Les forces européennes répliquent. Un peu plus loin, nouvel incident. Cette fois, c'est la Minusca (la force des Nations-Unies) qui semble être pris pour cible dans une zone où circulent les anti-balakas. Ce n'est pas la première fois que les forces des Nations-Unies sont pris pour cible (*). Des véhicules européens (géorgiens, lettons) se trouvent aussi présent. Ordre est donné de ne pas répliquer. Car il fait sombre. Et il y a des enfants, des femmes sur le bord de la route. Le risque d'avoir des "dégâts collatéraux" est trop fort. « C'est ce que savent les anti-Balakas. Bien souvent ils envoient des jeunes ou des enfants en avant » constate un militaire.

Heurts mortels

Bilan général : « Au moins 5 personnes mises hors de combat » précise EUFOR le communiqué officiel, . Une grenade a été lancée côté assaillant. Et un soldat (espagnol) a été blessé par un éclat de grenade. Blessure sans gravité. Après quelques soins, le soldat a été rapatrié en Espagne samedi (18 octobre). Certains des agitateurs ont été arrêtés, des  jeunes confiés à la gendarmerie locale puis au procureur. Mais les meneurs sont toujours en liberté. Parmi les victimes, on l'apprendra plus tard, figure un des chefs de bande, un dénommé "Franco". Ce qui, au dire d'habitants dont B2 a pu recueillir le témoignage, a largement calmé certains de ses hommes. Le grigri qu'il portait ne l'a pas protégé. Et ses hommes sans chef sont un peu désemparés.

Les meneurs en liberté... pour l'instant

Les meneurs sont repérés et surveillés « Nous avons repéré trois gars très dangereux. On sait qui ils sont : on a les photos, des vidéos, …» explique un gradé à B2. Ce sont « eux qui manipulent des jeunes, souvent paumés, drogués ou alcoolisés » et les envoient un peu au feu. Des conversations téléphoniques ont été repérées. L’action de les arrêter en soi n’est pas difficile. Mais il faut prévoir le coup d'après. « Il faut donc comprendre ce qu'ils représentent parmi les communautés, avoir suffisamment de légitimité pour les arrêter. Et, aussi (surtout), éviter que les gars, une fois arrêtés, ne soient libérés le lendemain. Ce qui ne serait pas bon du tout ». Les gendarmes européens  attendent donc le moment... adéquat. « On travaille un maximum, pour comprendre la situation. Quand on aura cerné leur réelle influence, et qu’on aura assez de biscuits pour les mener chez le juge. on passera à l'action ». En même temps, chacun sait qu'il ne faut pas traîner. « Le temps tourne. La population souffre. »

Un incident révélateur

Cet incident, qui ressemble un peu à un « coup de force », selon les termes d'un militaire, est analysé de près par les responsables d'Eufor.

La question de savoir qui est derrière cet incident hante un peu les esprits. La manipulation politique ne semble pas tout à fait absente. Des observateurs attentifs pointent ainsi le curieux silence du président de la transition Alexandre-Ferdinand Nguendet sur ces incidents.

Autre élément de réflexion. Malgré les efforts des meneurs, la population n'a pas suivi, semble-t-il. L'incident n'a pas produit la déflagration attendue entre les deux communautés. Cela pourrait révéler une certaine coupure entre les groupes armés et la population. Parler d'ambiance pacifique entre les communautés serait sans doute très anticipé et hasardeux. Les rancoeurs entre "chrétiens" et "musulmans" semblent toujours bien présentes. Quand on discute avec l'un ou l'autre, très vite, viennent des propos sur les "autres" qui les menacent.

Mais il semble y avoir dans la population une lente fatigue devant ces bandes armées, des "anti-balakas" qui sont de moins en moins des "milices d'auto-défense" et de plus en plus des groupes criminels qui cherchent à profiter de leurs armes pour gagner de l'argent. Jeudi dernier, ainsi, trois hommes armés se sont présentés à un dispensaire situé dans le pâté d'habitations près d'Ucatex, la caserne d'EUFOR, « pour faire soigner l'un des leurs sous la menace des armes... mais surtout obtenir de l'argent » selon ce que m'a raconté une des infirmières présentes à ce moment-là. Faute de monnaie, après négociation, ils sont repartis...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) C'est même devenu un "sport" banguissois depuis quelques jours. Le 8 octobre, un soldat (pakistanais) est décédé et 8 autres ont été blessés (dont un grave) près du PK 11 et du camp de transit militaire. Le jour suivant, 6 policiers de la MINUSCA ont été blessés par balles dans le quartier des Combattants, du 8e arrondissement (tenus par les anti-balakas).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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