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Entre Obama et Hollande, un air de Mistral …

Le BPC Dixmude à Toulon - type Mistral - dont l'équivalent sera livré à la Russie... peut-être (© NGV / B2)
Le BPC Dixmude à Toulon - type Mistral - dont l'équivalent sera livré à la Russie... peut-être (© NGV / B2)

(BRUXELLES2) La vente des deux navires modernes de commandement BPC type Mistral trouble, en ce moment, l'amitié franco-américaine. Et si la réconciliation russo-ukranienne est importante pour la sécurité et la stabilité du continent, elle ôterait aussi une belle épine du pied aux Européens. Elle leur éviterait ainsi une très délicate discussion sur le passage aux sanctions - dite de niveau 3 (économiques) vis-à-vis de Moscou.

Un big deal, certes, mais qui aurait pu être reporté

Lors du G7, jeudi (5 juin) à Bruxelles, Barack Obama a été particulièrement clair. « J'ai exprimé quelques préoccupations, et je ne pense pas être le seul, sur la continuation d'un accord de défense avec la Russie dans un contexte où elle a violé le droit international et la souveraineté de ses voisins » a affirmé le président américain lors de sa conférence de presse que B2 a suivi attentivement. « J'ai reconnu que c'était un « big deal ». Je reconnais que les emplois français sont importants » a-t-il insisté. Mais pour le responsable américain « il aurait été préférable de le reporter. Le Président Hollande a jusqu'ici pris une autre décision » a-t-il conclu comme à regret.

Un contrat c'est un contrat

Du côté français, François Hollande l'a répété lors de cette même réunion. « Signé en 2011, le contrat s’exécute, il vient à son terme. (S'il) devait être interrompu, il y aurait un dédit, il y aurait un remboursement qui porterait sur plusieurs milliards d’euros. Il n’y a aucune raison de rentrer dans ce processus. » Et d'ajouter : « Aucune sanction n’a été prononcée de niveau trois, ou qui pourrait concerner telle ou telle livraison. Ce contrat se dénoue au mois d’octobre, à ce moment-là nous verrons bien où nous en serons. »

Une position qui n'a pas vraiment varié.

Jean-Yves Le Drian l'avait déjà affirmé à Malbork en Pologne il y a quelques semaines, lors de l'installation des Rafale dans le cadre du Baltic Air Policy (lire :4 Rafale français présents à Malbork. Plus qu’un symbole …). « Il y a un accord commercial entre une société russe et une société français de droit privé pour la construction de deux BPC à Saint-Nazaire. Il s'agit, pour l'instant d'un accord privé. La question se posera, fin octobre début novembre, lorsqu'il s'agira de livrer le premier navire à la Russie. » Et d'ajouter plus clairement que ne l'a fait le président (le contexte étant différent, c'était plus facile) : « Les Etats-Unis ont pris des positions, l'Europe prendra les siennes. La France s'inscrit dans le cadre des sanctions européennes. »

Silence prudent côté européen

Les leaders européens sont restés très discrets sur la question. La chancelière allemande, Angela Merkel, a été particulièrement prudente. « il n'y a pas de sanctions sectorielles. Cela jouera un rôle quand on passera à la phase 3 des sanctions, mais on est pas encore là ». Prudence tout à fait justifiée... Car tous les Européens ont livré (ou espéré livrer) aux Russes. On ne peut ainsi oublier que les Espagnols ou Néerlandais étaient en concurrence avec les Français pour la livraison de ces navires, à l'époque. 

Quelques observations

On peut aussi observer que l'attention est actuellement concentrée sur la fourniture de deux navires Mistral construits par les chantiers navals de Saint Nazaire. Plus important, sans nul doute pour l'industrie maritime russe, est le transfert de technologie nécessaire pour que les chantiers navals russes puissent construire les deux navires suivants. Un point qui reste très discret.

Mais il faut aussi raison garder. Ce bâtiment de projection et de commandement, très moderne, et multi rôle apportera un incroyable atout à la marine russe. Mais outils actuellement utilisés - et qui pourraient être utilisés par les Russes en Ukraine - sont d'ordre totalement différents.

C'est par la voie terrestre que des forces ont été infiltrées dans l'est de l'Ukraine et au début de l'opération en Crimée. Et c'est en utilisant des moyens somme toute classiques (bus et véhicules, forces spéciales et tireurs d'élite, radio et moyens de télécommunications, fusils mitrailleurs et lances roquettes, etc.) que les forces russes et leurs appuis locaux mènent ces opérations.

L'apport d'un navire type Mistral n'aurait pas changé grand chose. Au contraire, avec sa masse, et sa silhouette aisément reconnaissable, il aurait plutôt attiré l'attention et compliqué la conduite de cette opération - qui reposait avant tout sur l'effet de surprise et l'absence de signe de reconnaissance (du moins au départ). En revanche, pour une opération extérieure (en Syrie ou ailleurs au Moyen-Orient ou en Afrique), ce type de navire a toute son utilité et peut déployer toute sa puissance. Lire mon reportage à bord : Le BPC un formidable « couteau suisse »

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Loreline Merelle qui a suivi Barack et Angela à la trace)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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