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EUTM Mali : un an après (reportage)

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A Koulikoro (© Leonor Hubaut / B2)

(BRUXELLES2 - au Camp de Koulikoro) Il y a un an, peu croyaient au succès d'une mission européenne pour l'armée malienne. Alors que l'opération Serval battait son plein dans le nord du Mali, installer, à l'arrière, à Koulikoro, une mission de formation paraissait un peu "décalé". D'autant que la mission EUTM Mali affichait un objectif audacieux : reconstruire l'armée malienne.

A l'époque, B2 avait été un des premiers à être sur le terrain pour voir le travail qui commençait à être effectué auprès du premier bataillon. Aujourd'hui, pour son premier anniversaire, nous avons pu y retourner, rencontrer formateurs et élèves, ... du 4e bataillon, "Balanzan" de son petit nom. Même les sceptiques ou railleurs de la première heure sont aujourd'hui forcés de le reconnaître, cette mission a tenu ses promesses.

Formation et expérience

Tirant partie de l'expérience d'EUTM Somalia, cette mission a tout de suite été dotée d'un double rôle. D'une part, donner une première formation aux soldats et officiers de l'armée malienne, reconstruire une hiérarchie et un sens de la discipline, et finalement redonner de la confiance aux cadres comme aux soldats ; d'autre part,  servir de conseil et d'expertise au niveau stratégique (Etat-major et ministère) pour remettre à plat tous les instruments législatifs et politiques de l'armée (plan stratégique, loi de finances, etc.). Ambitieux ! De bas en haut et du haut en bas ou, comme aiment à le dire les amateurs de formules anglo-saxonnes, une double approche "bottom-up" et "up-bottom".

Faire travailler 22 nationalités : un vrai défi

C'est le Colonel Uhrich, du 68e régiment d’artillerie d’Afrique (RAA) qui commande aujourd'hui le camp d'entrainement de Koulikoro. A l'ombre des arbres (indispensable sous ces 55 degrés), c'est l'heure d'un briefing rapide. « Nous avons 190 militaires de 18 pays qui participent directement à la formation des Maliens et, en tout, 430 militaires venus de 22 pays» Faire travailler ensemble autant de nationalités est un véritable « défi ». Mais cela « fonctionne entre Européens », assure Alexis Uhrich. La relation entre les Européens se base sur « l’esprit de frères d’armes ». C'est aussi « vrai pour la relation entre Européens et Maliens » précise-t-il.

Un impératif : être exemplaires, un résultat : la légitimité

« Nous devons être exemplaires » affirme Alexis Uhricht qui n'est pas peu fier d'affirmer que la mission a gagné en légitimité : aux yeux de leurs élèves — la formation ne peut se faire que sur une base de "respect" — comme de la population locale. Les équipes chargées de la protection des formateurs et des élèves impressionnent, hors du campement. Le Colonel met un point d'honneur également à rencontrer régulièrement les autorités traditionnelles de Koulikoro ainsi que les autorités politiques et religieuses. Aucun incident n'a eu lieu. Les Européens d'EUTM Mali se sont gagné la population.

Pour communiquer : le français 

Tous mes interlocuteurs européens parlent aisément anglais et dominent un français fluide. Entre eux, ils jonglent d'une langue à l'autre. Avec les Maliens, aussi, la communication ne pose pas de difficultés. Sourires aux lèvres,  ils se montrent patients et répondent à toutes les questions, en français. Seuls quelques uns ne parlent pas le français. « Mais ils le comprennent... quand ils veulent » assure le capitaine espagnol Barrera, provoquant un éclat de rire de l'unité qu'il a formé. Une relation de confiance, parfois de complicité, s'est établie entre Européen et Maliens. Dans chaque unité, le détenteur de tous les secrets est probablement le discret traducteur (bambara/français/anglais) qui accompagne les formateurs européens.

Redonner confiance

L’objectif de la formation est « de donner à un bataillon malien une structure robuste » et « une capacité de concevoir et de mener une mission ». Tout aussi important : le moral. Et il faut le faire en 10 semaines. Le Colonel Uhrich n'y va pas par quatre chemin. « Ils ont pris une raclée (NDLR : en janvier 2012 face aux rebelles venus du nord). Ils avaient besoin de se reconstruire. Et nous sommes là pour redonner confiance au soldat, en lui même et en ses chefs ». La tâche est ardue. Les recrues de l'unité de topographie savaient à peine additionner et soustraire à leur arrivée. Le programme est chargé : enseignement individuel basique du combattant, spécialisation et apprentissage du travail en compagnie. Le tout conclu par un exercice final de 4 jours qui sonne aussi comme l'heure de la dernière évaluation et des dernières recommandations.

Donner des limites à la guerre

Tout n'est cependant pas permis. Et, les Européens insistent bien sur les limites à l'action armée. Chaque formation comprend ainsi toujours un aspect "Droit international humanitaire" théorique et pratique. « Je donne des limites et des règles » explique Cynthia Petrigh. « Je leur explique comment réagir face aux combattants et aux non-combattants, lors de la prise de prisonniers…». Cynthia travaille ainsi main dans la main avec les militaires pour mettre en pratique les cours lors des exercices militaires. Cette formation est une innovation dans une instruction militaire. Et a son utilité. « Il y a un traumatisme des populations du nord, en souvenir des exactions commises par les Forces armées maliennes dans le passé, mais maintenant la confiance se rétablit ». Les trois premiers bataillons formés ont su mettre en oeuvre ces apprentissages sur le terrain et leurs cadres ont exprimé « être fiers de la gestion des tensions et de ne pas s'abaisser aux exactions ».

Prêts à 200% à aller dans le nord

Ouf... Le 4e bataillon a passé l'épreuve. Les Maliens, cadres comme soldats, sont enthousiastes et fiers de cette formation. « Nous sommes prêts à 200% pour aller au Nord » explique le jeune capitaine de l'unité "logistique". Il n'y a pourtant jamais été. Mais nombre de ses compagnons y ont lutté en 2011. C'est le cas de Boubacar Sermé, qui se montre déterminé mai plus prudent. Fier commandant du bataillon Balanzan, la quarantaine, il refuse le titre de "bataillon d'élite". C'est surtout une question de respect face au reste des Formes armées maliennes. Il semble indéniable que les Groupements tactiques inter-armes (GTIA), formés par les Européens, ont une place a part dans l'armée malienne. « Cela a créé un élan positif et a redonné le moral à l'armée malienne qui est, à nouveau, bien vue dans tout le pays. »

L'équipement reste encore un point d'interrogation

Au fil des conversations, il reste tout de même des doutes, des inquiétudes. La principale est l'équipement. Il doit être fourni par le ministère de la Défense malien. « Ils n’ont pas la capacité pour partir maintenant » reconnaît un officier. « Il manque des véhicules, des armes... » Même pour l'exercice final d'entrainement, les balles à blanc manquent et les soldats simulent les bruits des tirs. Le Colonel Uhrich, commandant du camp d'entraînement de Koulikoro se veut rassurant. « Le ministère  nous a donné l’assurance qu’ils auront les véhicules et autres éléments nécessaires. »

L'heure du thé

Autre problème, la communication entre les cadres des différentes unités et entre les soldats. Le résultat de la rigueur extrême de la hiérarchie malienne comme du manque d'expérience de certains éléments. Heureusement, il reste le thé. Peu importe la formation reçue, les habitudes culturelles s'imposent... Lorsque les soldats arrivent sur une position, la première préoccupation est de faire du feu pour le thé ou le riz du repas. Cela peut faire sourire un occidental. Pas ici. « La préocupation quotidienne des maliens  est de savoir ce qu'il vont manger. Il faut survivre à chaque jour. Dans l'armée, c'est la même chose. Manger est essentiel. »

Pour pouvoir partir, on forme des formateurs

«  Nous ne sommes pas destinés à rester ici pour toujours » explique le col. Uhrich. Mais pour partir, les forces armées maliennes doivent être autonomes.  Cet aspect de la mission a été lancé avec le bataillon Walanzan. Quatorze cadres, venus de Bamako, ont suivi une formation initiale de 15 jours. Ils ont ensuite été intégrés au bataillon où ils sont passés d’aides instructeurs à de plus en plus d’autonomie. « Ils sont maintenant capables de préparer une séance, la conduire et la débriefer ». Après le départ du bataillon, « ils resteront 15 jours de plus pour les évaluer ». Côté européen, l’accent est mis sur l’importance de donner « une bonne image à l’armée malienne des possibilités que ces gens ont pour leur propre futur ». 

(Leonor Hubaut)

"Un an d'EUTM Mali" . La suite de notre reportage :

  1. La face discrète de la mission… le renseignement *
  2. Le « conseil » à l’armée malienne, décisif ! (Un an d’EUTM Mali) *
  3. La nouvelle mission d’assistance à la sécurité au Mali (EUCAP Mali). Détails…
  4. Un exemple exportable en Centrafrique (Guibert)
  5. Mali : des terroristes toujours présents. Une opération Serval toujours nécessaire (Foucaud) *
  6. EUTM Mali… nouveau mandat nouvelles actions (4 questions au Général Guibert) *
  7. Le « Retex » du bataillon Waraba *
  8. La face discrète de la mission… le renseignement *
  9. Kidal, Gao et Tombouctou : 3 menaces distinctes *

Leonor Hubaut

© B2 - Bruxelles2 est un média en ligne français qui porte son centre d'intérêt sur l'Europe politique (pouvoirs, défense, politique étrangère, sécurité intérieure). Il suit et analyse les évolutions de la politique européenne, sans fard et sans concessions. Agréé par la CPPAP. Membre du SPIIL. Merci de citer "B2" ou "Bruxelles2" en cas de reprise Leonor Hubaut est journaliste. Diplômée en relations internationales de l'Université Libre de Bruxelles (mention mondialisation). Elle couvre pour B2 le travail du Parlement européen, les missions de la PSDC et les questions africaines. Spécialiste du Sahel.

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