Lutte contre les crimes de guerre : le casse-tête des juges d’EULEX

(BRUXELLES2) Voilà bientôt 5 ans que la mission "Etat de droit" de l'Union européenne (EULEX Kosovo) est déployée au Kosovo. Parmi une de ses attributions principales : être le juge des crimes de guerre au Kosovo. Un objectif très important au plan politique comme sociétal, dans la pacification de cette zone.
Selon un premier résultat, 30 verdicts ont été rendus et 92 investigations sont encore en cours. Le bilan peut paraître maigre. Et les obstacles techniques (et très souvent politiques) sont nombreux. Avec un mandat exécutif strictement limité au territoire du Kosovo, l'échange d'informations et l'accès aux lieux de massacres entre les autorités serbes et kosovars continuent de poser problème. Ce qui ralentit les investigations. Quant aux juges, ils doivent marcher constamment sur des oeufs. Le sujet est ultra-sensible de part et d'autre. Et Eulex se trouve souvent en porte-à-faux. En témoigne, la récente arrestation d'Oliver Ivanovic (Lire : Un Serbe « modéré » arrêté par les forces EULEX. Dossier (très) sensible).
Un obstacle de taille
En théorie, la mission européenne dispose de tous les moyens légaux pour juger des crimes de guerre. Son mandat exécutif lui donne pleine juridiction pour enquêter, arrêter les criminels et rendre des jugements (*). Un département entier s'occupe de retrouver les 3000 personnes "disparues" - certainement mortes et dont les dépouilles ont été enterrées - pendant la guerre. La loi kosovare oblige les juges d'EULEX, qu'ils soient Européens ou Kosovars, à traduire en justice les criminels de guerre « quelle que soit leur appartenance ethnique ».
Mais, en pratique, la tâche d'EULEX achoppe à un obstacle de taille. Son mandat est limité au seul territoire du Kosovo. Ce qui, pour les juges d'EULEX, est un véritable casse tête. Car de nombreux massacres présumés sont situés en territoire serbe - à l'image du site de Raska situé juste de l'autre côté de la "frontière" de Gate One au nord du Kosovo -, comme le sont également de nombreux criminels. Et il est impossible pour les juges européens, sous juridiction kosovare, de prononcer des jugements « in absentia » (« en l'absence du suspect »). La loi kosovare l'interdit. Résultat : les criminels résidant en territoire serbe « sont moins inquiétés que les anciens de l'UCK [l’armée libre du Kosovo] qui, eux, vivent au Kosovo » confie à B2 la porte-parole de la mission. Alors, pour mener à bien leur mission, les juges doivent recourir à d'autres voies alternatives, qui prennent... du temps.

Les voies alternatives
Les investigations, commencées souvent après un simple appel téléphonique, prennent en moyenne « plus de cinq ans » précise la porte-parole. Pour des faits qui datent déjà de quinze ans, cela peut faire long. Surtout quand le jugement repose avant tout sur les témoins des crimes de guerre. Ce qui est le cas quand « les suspects sont originaires de Serbie ». Problème : les témoins sont fragiles. « Beaucoup d'entre eux restent silencieux des années, particulièrement les femmes, qui ont juste commencé à transmettre leurs expérience de viols pendant la guerre ». La question de la protection des témoins se pose toujours avec acuité. Le cas de Agim Zogaz, ancien commandant de l’UCK et témoin clef dans le dossier Klecka, retrouvé pendu dans sa maison en décembre 2011, en est un exemple (Lire : La protection des témoins en question au Kosovo). Faute de preuves matérielles tangibles et en l'absence de témoins, les suspects sont le plus souvent... relâchés.
La voie à suivre
Un fait qui indigne particulièrement l'eurodéputé slovaque, spécialiste des Balkans, Eduard Kukan, qui souhaite améliorer « l'efficacité de la mission EULEX en termes de résultats ». Mais pour avoir des résultats « immédiats», encore faut-il que les juges puissent accéder aux sites et échanger des informations sur les criminels en question. Bien qu'en cinq ans, les efforts de coopération entre Pristina et Belgrade soient de plus en plus tangibles - effet de la perspective d'adhésion et/ou du dialogue facilité entre les deux pays - la coopération sur les crimes de guerre reste encore limitée. Toute question technique - dès lors qu'il s'agit de la guerre - devient hautement sensible et politique. Preuve en est : à l'été 2009, lorsque les juges d'EULEX demandent aux autorités serbes de coopérer, une dizaine de voitures de la mission sont renversées « par des groupes qu'on suppose proche du gouvernement de Pristina au Kosovo » confie une source proche du dossier. Quant au dialogue Pristina-Belgrade, débuté sous les auspices de l'Union européenne en 2010, il achoppe toujours dans le domaine de la justice. Pourtant « c'est la voie à suivre » nous confie la porte-parole d'Eulex qui appelle de ses voeux une meilleur coopération « entre les procureurs enquêtant sur les crimes de guerre ».
