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La Centrafrique, symbole d’une défense européenne inexistante

(B2) L'intervention en Centrafrique menée par la France aurait pu l'être par la force de réaction rapide européenne. La question s'est à peine posée

Les chefs d’État et de gouvernement se retrouvent, jeudi (19 décembre), avec la sécurité et la défense européenne à leur ordre du jour. La situation en Centrafrique montre les limites d’une politique de défense européenne qui reste sujette aux priorités des États membres et à leurs contraintes budgétaires. Si l’Union européenne a une réponse humanitaire, politique et financière rapide et efficace, la situation est largement plus contrastée, en matière militaire. L’UE n’a jamais réussi à mettre en œuvre la force de réaction rapide de 2000 hommes qui est pourtant opérationnelle depuis 2007. Chaque État en assurant, à tour de rôle, la permanence.

Des atouts européens

La gravité de la crise dans ce pays d’Afrique centrale est pourtant de notoriété publique dans les milieux européens.

« Un scénario de génocide n’est pas purement hypothétique » s’alarmait ainsi il y a quelques jours la commissaire chargée de l’Aide humanitaire, Kristalina Georgieva, qui a effectué dans le pays deux visites successives en quelques mois. Face à cette « crise oubliée », comme elle la décrit elle-même, l’Europe n’est pas restée inactive.

Elle vient de débloquer 18,5 millions supplémentaires, pour financer l’aide humanitaire, qui s’ajoutent aux 20 millions d’euros déjà versés durant l’année. Les États européens ont également montré un front uni au Conseil de sécurité de l’ONU pour rédiger et faire adopter deux résolutions permettant à la fois l’usage de la force et le renforcement de la force africaine.

L’Union européenne a d’ailleurs débloqué 50 millions d’euros pour financer cette force africaine. Un financement « essentiel » comme le rappelle un diplomate européen. Sans celui-ci, la MISCA aurait eu « beaucoup de difficultés à se déployer ».

Le militaire, parent pauvre

Du point de vue militaire, la situation est plus contrastée. L’envoi de la force de réaction rapide européenne (battlegroup) a avorté. Le Royaume-Uni qui assure la permanence de cette force ce semestre, avec les Pays-Bas et les Baltes, a refusé d’engager ses troupes en Centrafrique sous drapeau européen. Désireuse d’éviter toute crise avec Londres à la veille du sommet européen, la Haute représentante de l’UE, qui est aussi la représentante britannique à la Commission, Catherine Ashton, a préféré tout stopper net (lire : Battlegroup pour la Centrafrique ? Comment Cathy a dit stop !). Même l’idée d’utiliser la nouvelle conception de battlegroups de façon modulaire, en n’utilisant que des moyens aériens par exemple, a été rejetée.

« Nous n’avons pas reçu de demande de la France » justifie un haut diplomate européen. Du coup, Paris a préféré demander leur soutien aux pays individuellement. Le Royaume-Uni a répondu « oui » à la demande française, tout comme l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Et la Pologne pourrait le faire dans les heures ou jours qui viennent. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a indiqué mardi 17 décembre que la Belgique et la Pologne étaient sur le point d'apporter un soutien concret à l'opération.

Des armées bonzaï

C’est toute l’ambiguïté de l’Europe de la défense qui se trouve ainsi révélée. Les moyens dépendent étroitement à la fois des capacités et des financements des États membres.

La politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC) rencontre sur le papier un soutien quasi unanime des États membres ; mais en période de restriction budgétaire, les choses se compliquent.

Les derniers chiffres de l’Agence européenne de défense sont éloquents. En 2012, les budgets de défense ont perdu 3% par rapport à 2011. Depuis une période de 5 ans (2006 – 2011), les budgets de la défense ont fondu de 10%  !

Et la dégringolade devrait continuer, selon Claudia Major et Christian Mölling de l’institut allemand pour la politique internationale (SWP). Les budgets européens pourraient ainsi passer, en dix ans, de 220 milliards d’euros à 147 milliards. Et les auteurs de dénoncer la tendance à avoir des « armées « bonzaï ». C’est-à-dire tout juste bonnes à faire de la figuration…

Un intérêt partagé

C’est à ce hiatus que l’Union européenne est aujourd’hui confrontée. Les « 28 » Chefs d’État et de gouvernement en sont bien conscients. Il y a des intérêts partagés. Des « menaces » continuent d’exister dans le voisinage. « Dans un monde de plus en plus changeant, l'Union européenne est appelée à jouer des responsabilités croissantes dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale » devraient-ils dire, selon le projet de conclusions qui a circulé entre les États membres.

La nécessité « d'améliorer la disponibilité des capacités nécessaires » comme celle d'avoir une base industrielle et technologique « intégrée, durable, innovante et compétitive » devrait aussi être rappelée. Faire plus aujourd'hui en matière opérationnelle paraît cependant bien difficile.

Use it or lose it

Plusieurs idées devraient cependant être soumises au Sommet… pour le futur. Par exemple pour rendre les missions européennes de maintien de la paix plus rapidement déployables (avec un pool d’experts et un règlement financier amélioré). En matière militaire, aucune proposition concrète n’est pour l’instant prévue, si ce n’est une idée française. Le président François Hollande veut, en effet, proposer aux « 28 » (*) la création d’un Fonds pour financer les opérations de maintien de la paix de l’Union européenne.

Une idée révolutionnaire qui si elle est acceptée marquerait le début d’une réflexion. « Ce fonds ne sera pas créé jeudi » avertit un diplomate français. Mais « l’objectif est de susciter un débat et d’avoir un mandat pour en étudier la création ». En se fixant une date butoir : « la fin du premier semestre 2014 par exemple ». Car l’enjeu pour l’Europe est maintenant d’utiliser ses capacités. Ou comme le résumait dans une formule choc, la ministre de la Défense néerlandaise, Jeanine Hennis-Plasschaert : « Use it or lose it !  » (les utiliser ou les supprimer).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Article de synthèse publié dans Euractiv.fr pour le sommet Défense

(*) Pour être exact, il s’agit des « 27 » le Danemark ne participant pas à l’action militaire européenne.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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