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Battlegroup pour la Centrafrique ? Comment Cathy a dit stop !

David Cameron a dit "non" à l'envoi d'un battlegroup européen. Le Premier britannique au sommet de Vilnius (crédit : présidence lituanienne de l'UE)
David Cameron a dit "non" à l'envoi d'un battlegroup européen. Le Premier britannique au sommet de Vilnius (crédit : présidence lituanienne de l'UE)

(BRUXELLES2, exclusif) Selon nos informations concordantes, la préparation du déploiement de la force de réaction rapide (battlegroup) de l'Union européenne en Centrafrique - préparée depuis plusieurs jours par le staff militaire du Service diplomatique européen (SEAE) - a été stoppée net sur ordre... de la Haute représentante de l'UE, Catherine Ashton.

Un battlegroup planifié

L'objectif de la planification (lire : Un battlegroup de l’UE en République centrafricaine ? La discussion continue) était de compléter l'action des troupes françaises, qui se préparaient à "entrer en premier", et de faire la liaison avec les troupes africaines, pour faire cesser les massacres et rétablir une certaine sécurité.

Faire cesser les massacres, ça peut attendre !

Las... la Haute représentante y a mis le holà. « Je ne suis pas opposée sur le principe » a-t-elle expliqué à ses équipes fin novembre en marge du sommet sur le partenariat oriental de Vilnius. « Mais il est vital que la France approche le Royaume-Uni au niveau ministériel pour cela. Il est essentiel d'avoir un "Yes" du Royaume-Uni avant d'aller plus loin. ». Et d'ajouter « Je ne peux pas aller devant les ministres des Affaires étrangères (avec) cela ». Rompez !

David Cameron : le Mister No de la défense européenne

Le "no" britannique est, en fait, connu. Si quelques militaires seraient prêts à y aller. Au Number 10, la résidence du Premier ministre, David Cameron, comme au Whitehall, le siège du ministère de la Défense, la réponse est claire et sans ambages, c'est "No". Les responsables du SEAE sont rapidement fixés. Il n'y aura pas de battlegroup, pas d'option militaire, ni même l'ombre d'une approche modulaire. Pour Londres, la pierre angulaire de la sécurité européenne est l'OTAN (détails dans le Club : L’OTAN la pierre angulaire, l’Europe le cale-pied (Lidington)). Et quand elle prend la permanence du battlegroup, c'est pour qu'il reste à terre (sauf intérêt suprême de la Couronne en jeu). L'Union européenne n'a un objectif d'action que "complémentaire" et de préférence "civile".

Et si on mettait un peu d'humanitaire, ca ne serait pas plus beau ?

Peu après un des hauts responsables du SEAE, en charge de la PSDC, Maciej Popowski, prend à son tour la plume. Au nom du principe de réalité, il propose une solution qui se veut consensuelle. « Il serait plus intéressant de présenter l'engagement européen en Centrafrique dans un cadre plus large, en impliquant l'humanitaire, le développement et le travail de sécurité, ensemble ». Un « truc de marketing » comme il le reconnaitra lui-même. Mais « çà pourrait mieux passer », assure-t-il.

L'esprit de Chamberlain ...

Or, chacun le sait. Même les humanitaires et les ONGs de tout poils le disent - même Human Right Watch, pourtant peu soupçonnée d'être complaisante envers les forces françaises en Afrique. Il faut rétablir un semblant d'ordre. Nous sommes face à une tragédie. La commissaire européenne à l'Aide humanitaire le dira d'ailleurs : "la question du génocide n'est pas purement hypothétique" (lire sur le Club). Rien n'y fait. En costards-cravates, dans leurs bureaux, quelques responsables ont décidé que cela ne valait même le coup de tenter d'agir et qu'il valait mieux rendre les armes tout de suite.

... plutôt que l'esprit européen et humaniste

Ce refus est problématique. Ce qui s'est passé en Centrafrique ressort de massacres et de crimes de guerre (puisque commis par des forces armées contre des civils). L'intensité des massacres et leur ciblage pourrait peut-être les requalifier en crimes contre l'humanité voire en génocide (l'histoire le dira). En laissant les Français, seuls, aller au combat et perdre des hommes ; en refusant de donner un "feu vert" à la force de réaction rapide de l'UE ; alors qu'il y avait un mandat des Nations-Unies, il y a là un manquement très clair au mandat confié aux autorités européennes par les Traités dans le cadre de la PSDC - la politique de sécurité et de défense commune = "assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies". Cet acte ne peut rester sans responsabilité au plan politique. Il faut en tirer les conséquences...

NB : on peut ajouter deux remarques. Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères viennent tout juste, le 18 novembre, d'approuver une réforme des groupements tactiques européens, permettant d'avoir plus de flexibilité ou de souplesse dans l'envoi d'un battlegroup. Il aurait été possible d'inaugurer cette évolution (une idée britannique d'ailleurs). La Haute représentante pourrait certainement dans quelques jours demander d'étudier de nouvelles options. Une manière de ne pas rester inactive. Ce faisant elle aura évité à son pays un désaveu cinglant (le veto britannique est, en effet, resté très discret). Et elle renvoie la "patate" chaude aux Grecs, Roumains et autres Chypriotes qui assurent le relais de la permanence de la force de réaction rapide à partir du 1er janvier. Au SEAE, on sait pertinemment que cela pose un vrai problème. Ce "battlegroup" étant désargenté, se projeter en Centrafrique (même si une partie du coût - le transport - est pris en charge), est un effort très important... A ceux qui prétendent que Catherine Ashton n'est pas une fine politique, cette manoeuvre en est un désaveu cinglant !

NB : En fait, le seul espoir de "relais" européen des Français repose sur ... les Benelux et Allemands qui auront le "tour de rôle" du battlegroup au 1er juillet 2014 !

Lire aussi :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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