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L’UE ne doit-elle pas revoir sa stratégie à l’Est ?

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Entre Moldavie et Ukraine... (© NGV / Bruxelles2)

(BRUXELLES2) Le sommet de Vilnius prévu les 28 et 29 novembre sur le partenariat oriental va paraître un peu pâle. L’Union européenne qui comptait signer avec quatre pays à Vilnius va devoir se contenter d’un contenu beaucoup moins ambitieux. L’Arménie avait déjà choisi de rester dans le camp russe. L’Ukraine vient de la rejoindre. Ne restent donc plus que la Géorgie et la Moldavie avec qui les « 28 » devraient parapher un accord d’association. Un échec ? Ou une trop grande confiance en soi .

Objectif : arrimer les marches russes à Bruxelles

Lancé par l'Union européenne lors du Sommet de Prague en mai 2009, le Partenariat oriental concernait six pays à l'origine : l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine. L'objectif était généreux : « consolider la démocratie, l'État de droit, le respect des droits de l'homme et une économie de marché ouverte ». Les Européens promettaient aux Six : « un renforcement des liens politiques, une intégration progressive dans l'économie européenne et une plus grande mobilité pour les citoyens » (libéralisation des visas). Le tout, accompagné d'un soutien financier. De 2010 à 2013, 1,9 milliards d'euros ont ainsi été alloués à ces pays. Pour consolider ce changement de dimension, des accords d'association, destinés à remplacer les accords de partenariat et de coopération en vigueur, et comprenant un volet de libre-échange plus « approfondi et complet », devraient être signés. Autrement dit, on les arrime solidement à l’Europe. Et on les détache tout autant de la Russie, qui a toujours refusé cette dynamique de Partenariat oriental de l’Union européenne.

Moscou entouré

Le Kremlin se sent comme assiégé. Sa sphère d’influence, sa zone d’attraction économique se réduit régulièrement depuis 20 ans. Si certains ont perdu la mémoire de ce moment, il n’est pas inutile de rappeler les termes de l’échange. Lorsqu'après la chute du mur de Berlin, en 1989, Michael Gorbatchev accepte de retirer ses troupes d’Allemagne et des pays satellites, la condition mise à ce retrait des troupes russes de 2000 Km est la non adhésion à l’OTAN des pays ainsi libérés de l’emprise soviétique. On sait ce qu’il adviendra de cette promesse. Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie en 1999, puis Bulgarie, Roumanie, Pays Baltes en 2004 adhéreront à l’Alliance. En 1991, c’est l’éclatement de l’URSS. Nouveau renoncement : les Pays baltes retrouvent leur indépendance et se détachent définitivement de l’orbite russe, avec une relative facilité. Ailleurs, en Moldavie et en Géorgie, les troubles sont sanglants. Plusieurs milliers de morts dans les guerres d’autonomie en Transnistrie et Abkhazie en 1992.

Un changement de paradigme

Tant qu’il s’agissait de pays satellites pour Moscou ou de pays assez petits mais pas stratégiques, la Russie a laissé faire. Le coup de force en Géorgie, en 2008, quand les chars ont déboulé en Géorgie, pour « protéger » les Ossètes et les Abkhazes contre « l’agression » de Tbilissi sonne comme un avertissement. Il aurait dû faire réfléchir. La Russie de Poutine et Medvedev n’est plus celle de Eltsine. Les Pétersbourgeois — d’où Vladimir Poutine et Medvedev sont originaires — n’entendent plus reculer indéfiniment. C’est le cas au plan européen. Son refus déterminé du bouclier anti-missiles américain contraint Washington à revoir son dispositif, par ailleurs prohibitif. Le géant gazier Gazprom a développé, avec succès, des alternatives au projet européen Nabucco, réussissant même à attirer des Européens dans son orbite : Allemands et Français au nord, Grecs et Bulgares au sud. Le Kremlin veut aussi retrouver sa place sur l’échiquier international. Son soutien indéfectible au régime de Damas et son coup de maître sur le démantèlement des armes chimiques le prouve. Sa place dans la négociation sur le nucléaire iranien le confirme.

Un pouvoir d’attraction surestimé

C’est toute cette donne que les Européens ont sans doute mésestimée. Se gargarisant de partenariat stratégique et « d’approche globale », se fondant sur une politique d’élargissement – ou d’absorption selon l’angle que l’on prend – qui a été une réussite jusqu’ici. l’Union européenne a sans doute surestimé son pouvoir d’attraction et sous-estimé la réaction russe. En visant l’Ukraine, les Européens savaient pourtant qu’ils mettaient les pieds quasiment au cœur du pouvoir russe. « Chacun est bien conscient de l’importance géostratégique d’arrimer l’Ukraine et qu’il s’agit de repousser les frontières européennes à 2000 Km (plus à l’est) » reconnaît ainsi un Ministre participant aux négociations. En face, le Kremlin a « négocié » global. Tous les moyens à sa disposition, politiques comme économiques, ont été utilisés. Les menaces sur le vin géorgien ou moldave au rappel de facture du gaz ukrainien, ou la découverte de problème d’hygiène dans le lait lituanien, les relations tendues avec la diplomatie néerlandaise n’ont été que la partie émergée de l’iceberg. Les différents responsables russes n’ont cessé de faire le voyage de Kiev pour les ramener dans le giron russe, en maniant la carotte et le bâton.

Piégés tout seuls

Les Européens se sont, en fait, piégés tout seuls. En faisant de Ioulia Timochenko leur étendard de la liberté, sans qui ils ne signeraient aucun accord, ils ont donné à l’Ukraine un excellent argument pour sans rompre vraiment avec l’Europe ne pas se fâcher avec la Russie, et ne rien signer. En insistant sur sa libération alors que l’ancienne Premier ministre ukrainienne n’est pas un « parangon de la liberté » pour reprendre la formule d’un officiel d’un État membre, les Européens ont voulu forcer le destin. Le président ukrainien n’avait plus qu’à laisser sa rivale en prison pour faire tomber le pion européen, Laissant l’Union européenne sans voix. La surprise a été rude. Le commissaire à l’Élargissement, Stefan Füle, qui allait se rendre à Kiev, a fait demi-tour. Et il a fallu attendre 8 bonnes heures avant d’avoir une réaction. Échec et mat !

Redéfinir la politique avec la Russie

L’Union européenne va sans doute devoir revoir sa stratégie vis-à-vis de Moscou. Elle doit d’abord se doter d’une position plus réfléchie et plus unie. Inutile de le masquer. Les 28 États européens n’ont pas la même approche sur l’attitude à avoir avec la Russie, en général, et à l’est de ses frontières en particulier. Pour les pays les plus proches, c’est un premier pas vers l’intégration européenne, vers l’adhésion, comme l’a rappelé le ministre slovène des Affaires étrangères, Karl Erjavec, à la table des ministres le 18 novembre dernier, à Bruxelles. Pour d’autres – notamment les pays fondateurs -, aucun élargissement n’est possible actuellement et ce n’est pas le moment de faire des promesses. « C’est une ligne rouge » assure-t-on ainsi côté français. « Nous ne signerons pas un document où est mentionnée une perspective européenne pour ces pays ». L’UE ne peut plus également considérer la Russie d’aujourd’hui comme celle d’hier. Un pays dont on tient compte, avec amabilité, de son avis sur la scène internationale mais dont on se passe quand il s’agit de la scène européenne. C’est avec Moscou qu’elle pourra construire une nouvelle politique européenne dans ses « marches » et non en l’affrontant systématiquement. C’est aussi cela l’enjeu de Vilnius...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Article publié en partenariat avec Euractiv.fr)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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