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Piraterie maritime

Les 3 pirates somaliens du Tanit condamnés. Un record de lenteur

(crédit : ministère français de la défense)
(crédit : ministère français de la défense)

(BRUXELLES2) Les trois pirates qui avaient capturé le Tanit en avril 2009 viennent de se voir condamnés à 9 ans de prison par la cour d'assises de Rennes (Ille-et-Vilaine). Ils ont été reconnus coupables "de détournement de navire par violence ou menace, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de plusieurs personnes dont un mineur de moins de 15 ans, commis en bande organisée", comme l'indique mon collègue de Ouest-France à Rennes (lire article en ligne). Ceci m'inspire deux types de réflexion

Premièrement, la France rapide à l'action, lente au jugement

Il était temps ! J'avais écrit, il y a deux ans, que la France était lanterne rouge pour le jugement de pirates somaliens. Ceci se confirme aujourd'hui. Si l'action militaire française a été rapide et précurseure au large de la Somalie, la partie judiciaire du procès a été beaucoup plus lente, voire extraordinairement lente. 1652 jours, soit 4 ans et demi, entre la libération du Tanit et l'arrestation des trois pirates et le jugement, on tient là un record ! D'autant que les intéressés ont été pris en flagrant délit : sur le bateau, sans doute possible sur leur implication à un titre ou un autre dans la prise d'otages.

4 ans et demi = Champion du monde

De mémoire,  ce jugement est même un des plus longs de l'histoire de la piraterie a été le pays qui a mis le plus du temps à prononcer un jugement en première instance sur des pirates capturés dans l'Océan indien et rapatriés dans le pays. Bien sûr; personne ne peut égaler le Puntland et ses délais qui ont souvent été inférieurs à 100 jours (parfois en une dizaine de jours !). Mais certains pays prouvent qu'il est possible de juger rapidement en respectant toutes les procédures habituelles imposées dans un pays européen : exemple pour le procès du Pompei. en Belgique, où le jugement a été prononcé en 213 jours. En général, on tourne autour des 500 jours pour attendre un jugement. Même en Allemagne, réputé pour la rigueur de ces procédures (et la lenteur de ses tribunaux), le procès du MV Taipan a été rendu au bout de 928 jours (selon la base de données "piraterie" de B2). Il y a là un vrai problème. Evidemment, on pourra rétorquer que certains pays contournent le sujet, en évitant tout bonnement de juger les pirates (le Danemark et le Royaume-Uni par exemple), ce n'est pas une excuse à une telle course d'escargot.

Deuxièmement, l'action de reprise de force, justifiée...

L'action de libération par la force a été, une nouvelle fois, critiquée lors de ce jugement. Effectivement, lors de ce type d'opération, il y a des risques. Et quand on refait le déroulé des évènements ensuite, il existe toujours un spécialiste pour expliquer qu'on aurait pu éviter tel ou tel incident. C'est d'ailleurs l'objectif des retours d'expérience. Je n'entrerai pas dans cette discussion, n'ayant pas l'expertise nécessaire.

Des risques partagés

Ce que l'on sait en revanche. C'est que il ne s'agit pas là d'une bavure, où une personne qui n'avait rien à voir est pris sous le tir croisé (ce qu'on appelle "une victime collatérale"). Mais d'une personne qui s'est sciemment exposée à un risque et pour lequel on a tenté le maximum pour le sauver. Il faut se rappeler l'époque. Au printemps 2009, la "ballade" à bord d'un yacht dans l'Océan indien à cette période n'était déjà pas une promenade de santé. La piraterie somalienne était en plein boom, et les pirates étaient à l'action partout : du Golfe d'Aden aux rivages des Seychelles. Dans les semaines précédant la prise du Tanit, les attaques étaient quotidiennes et un bateau était capturé par les pirates, au moins tous les 2 jours ! (*)

Une décision évidemment politique

La décision prise par le président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy, est donc justifiée, eu regard aux risques possibles directement pour les otages et aux répercussions sur d'autres navires ensuite. L'expérience subie par les différents marins retenus en otage par les pirates somaliens montre qu'il n'y avait pas un choix simple. Les conditions de détention étaient, pour le moins, éprouvantes. Soumis à des mauvais traitements, qu'on a pu même assimilé, dans certains cas, à la torture, certains en sont morts, d'autres ont été violé(e)s, la plupart sont marqués à vie... Il ne faut surtout pas l'oublier et accabler les responsables qui ont joué leur rôle de "politique" — choisir entre deux solutions également mauvaises : laissez-faire ou intervenir — et les militaires qui ont exécuté cet ordre — en risquant leur vie.

Un effet dissuasif

Cette intervention, qui a fait 3 morts (2 pirates et 1 otage), ajoutée à celle du Carré d'As et du Ponant, a certainement préservé d'autres otages français. Certains pirates ont préféré, parfois, rebrousser chemin quand ils voyaient le pavillon français. Ceux qui en doutent doivent relire le récit des Chandler, enlevés en octobre 2009, recueilli par le quotidien Daily Mail à leur libération. La première question des pirates était "nationalité, nationalité" ? (Le récit des Chandler : les pirates redoutent toujours les Gaulois !).

(*) Ma base de données indique même 12 navires capturés dans les derniers 15 jours de mars ! La capture du Tanit date du 4 avril.

Lire :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “Les 3 pirates somaliens du Tanit condamnés. Un record de lenteur

  • Condamnés à 9 ans, après 4 ans et demi de detention préventive (j’imagine), ils sortent donc libres demain (ou à peu près) ?

    • Nicolas Gros-Verheyde

      Oui a peu pres. La condamnation à 9 ans est calée sur cette donne de détention préventive

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