La réforme de l’armée au Congo : bancarisation, réintégration, formation…
(BRUXELLES2) La réforme de l'armée au Congo — soutenue par la mission européenne EUSEC RD Congo — est entamée… Avec la mise en place d'un des principaux points : le paiement des militaires par virement bancaire. Cela peut paraitre un détail. Mais c'est loin d'en être un. Cela suppose à la fois une réforme culturelle et d'organisation plus large.
La bancarisation : un véritable inventaire
Ce procédé dit de "bancarisation" « oblige vraiment à faire un inventaire des effectifs » explique J.-L. Nuremberg, le chef de la mission européenne d'assistance à la réforme de sécurité (EUSEC RD Congo). « Il faut enregistrer les actifs mais aussi les inactifs : les blessés, les tuteurs de la famille qui reçoivent l’argent en cas de personne décédée. Il a fallu refaire les cartes d’identité, également pour les vétérans. » Le procédé comptable entraîne, en effet, un aspect radical. Auparavant, si un commandant de compagnie déclarait par exemple 150 personnes, on lui donnait la paie pour 150.... Et il se débrouillait. « Si on envoie par virement bancaire, cela demande une identification précise de tous les destinataires ». Et cela permet un tri. « Si la personne ne vient pas retirer l'argent dans les trois mois, on sait qu'il n'existe pas… ».
Une réforme en forme de big bang
Les Européens avaient préconisé de passer à la "bancarisation" de façon progressive au rythme d'une région par mois. Les Congolais ont trouvé les financements nécessaires et décidé de procéder à la réforme sur dix régions en même temps. Une réforme qui passe bien. Certains pouvaient ainsi avoir la crainte d'une mauvaise application par les militaires. « Mais dans cette opération de bancarisation qui concerne de façon générale l'ensemble des fonctionnaires publics, ils sont les plus disciplinés… ». Les militaires à Kinshasa sont ainsi, depuis octobre, payés par ce procédé : sur 130.000 militaires, 70.000 ont ainsi été bancarisés. L'avantage est d'éviter d'avoir des soldats en armes qui se présentent tous à la banque... avec leur arme. « Avoir des soldats avec des Kalachnikov dans la banque, cela fait désordre » témoigne un officier. « Et les banquiers n'aimaient pas trop ». On les comprend !
Pas une simple réforme
Cette réforme présente aussi des revers et des inconvénients. Certains chefs avaient tendance à utiliser des soldats fictifs par intérêt personnel. Mais d'autres le faisaient juste pour avoir le nécessaire au fonctionnement quotidien. La bancarisation peut présenter aussi l'inconvénient de ressentir pour les soldats moins d’obligation de présence et d'amoindrir l'autorité du chef direct. Dans un pays où la culture de la "facture" n'est pas très développée, cela peut poser quelques soucis au quotidien. La bancarisation ne concerne pas en effet seulement les traitements mais aussi le fonds de ménage, dont le commandant de compagnie a libre usage notamment pour subvenir aux besoins de la troupe (nourriture) ou les achats… Dernière difficulté : entre le début de la réforme et son application, l'unité a pu bougé, et ses effectifs modifiés ; ce qui entraîne quelques problèmes administratifs.
Certains ratés dans la réintégration des ex-rebelles
L'intégration des ex-rebelles dans l'armée, sur recommandation des Européens et de la communauté internationale représente un autre défi majeur. Même si personne ne veut le reconnaître, c'est un problème récurrent. Certains préceptes internationaux semblent avoir été erronés ou pas adaptés à la situation locale, notamment le fait d'intégrer en bloc certains groupes. « Il y a tellement de manque de contrôle à l’Est du pays qu’un groupe rebelle se crée chaque semaine » témoigne un officier européen.
La réintégration est très « compliquée. (...) On ne peut pas jeter ces militaires dans le civil sans accompagnement ». La formule employée à la mi-2000 semble avoir fait long feu, n'ayant pas fourni toutes les preuves d'efficacité. « En 2006, on donnait 100 $ pour chaque démobilisé et un kit de cuisine. Mais ça ne suffisait pas. » L'idée est désormais plutôt « de les garder les plus longtemps possible dans l’armée ». Quelques milliers vont être mis à la retraite, de façon honorable. Et d'accompagner les rebelles vers la vie civile, en les mettant dans les fermes agricoles ou l’école de génie, pour apprendre un militaire un métier.
La question est aussi psychologique. « Certains sont partis très jeunes de leur famille. Ils n'ont vécu qu’une chose : tirer et se faire tirer dessus. Ils ont vécu dans la brousse et n’ont jamais reçu d'éducation, en quelque sorte. (...) Cela pose beaucoup de questions » La Croix-Rouge a mis au point un programme de psychanalyse pour déformater les militaires. Et dans l'équipe européenne figurent deux experts Droits de l'homme (une Belge/Un Italien).
Le défi de la formation
Les Congolais ont de grandes ambitions pour leur armée : ils veulent former en dix ans autant de militaires, représentant le double que celles des pays voisins. « Pendant 20 ans, il n'y a pas eu d’école d’officiers. Il y a ainsi toute une génération qui n'a pas vraiment été formée. Si elle connait le terrain, elle ne connait pas les règles tactiques ou de doctrine. » Ils sont guidés par une « philosophie de guerre froide ». Ce qui représente un certain « danger » intérieur comme extérieur. Il est vrai.... que la communauté internationale ne les appuie pas beaucoup face au Rwanda et à l'Ouganda. Il y a ainsi un hiatus entre la formation à long terme que les Européens veulent privilégier et la formation court terme qu’ils veulent ».
Plusieurs écoles sont en cours de restructuration : l'académie militaire pour les officiers, l'école des sous-officiers, l'école d'infanterie à Kitona, l'école de logistique est en train d’être construite à Kinshasa tandis que l'école d'administration fonctionne à Kananga… « Cela fonctionne car EUSEC paie les professeurs, les syllabus, tout le recrutement. Si on arrête de payer, ils auront de grandes difficultés. » Les Européens sensibilisent les Congolais pour qu’ils prennent le relais. Le coût des écoles représente environ 750.000 $ ; ce qui n'est « pas grand chose »... même pour le Congo, qui reste un pays riche.
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