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Eutm Mali. Une formation axée autour d’un mot-clé : cohésion

Une marche de soldats maliens se fait au pas... mais en chantant ! Certains formateurs européens l'ont découvert, avec surprise. Mais s'y sont très vite mis (© B2 / NGV)

(BRUXELLES2 à Koulikoro) « Debout, tirez, section halte » les commandements fusent. Nous sommes sur le terrain d'entraînement de EUTM Mali, à quelques km au-dessus du camp où chaque compagnie va s'entraîner une fois par chaque semaine pour 36 heures. Guidés par le Colonel Christophe Paczka - chef de la mission "entrainement" et ... du 2e RIMA - et du lieutenant-colonel Vieillefosse et les officiers de la compagnie d'instruction française nous découvrons les contours de cette instruction / formation.

Assez dégagé, le terrain a ce qu'il faut d'aspérités et d'arbres pour s'entraîner, Mais avec la chaleur, le simple fait d'y venir et de tenir, est déjà un exercice. Chaque unité est encadrée par un formateur qui suit son unité, déplacement y compris. Si l'unité part à pied, il suit à pied également. « C'est essentiel pour la cohésion du groupe. Il n'est pas question que le chef de groupe ou le formateur suivent en voiture ».

Un mot clé : cohésion

Au menu le jour où je passe à Koulikoro, exercice de tir à la Kalachnikov, couché ; instructions pour la fouille à un check point ; déploiement sur le terrain pour gagner une position et combattre un ennemi. L'essentiel de la formation tient en un mot : "cohésion". « La plupart des sous officiers ont différentes notions. Ils conceptualisent très bien. Mais pour passer à la pratique, c'est différent. » Un des premiers apprentissages est donc pour le chef de groupe de savoir planifier et donner les ordres. Un petit carnet d'ordres a d'ailleurs été mis au point remis à chacun. Au bout de 10 jours, « on voit que çà vient » se réjouit le Colonel Paczka. Avis confirmé par les formateurs, plutôt surpris positivement par les réactions de leurs homologues maliens.

Une formation à l'aide d'instruments rustiques mais solides

Les instruments de formation se veulent rustique. A souhait ! Ici, pas de powerpoint. Il est banni au profit du bon vieux tableau noir et de la craie. De même pas de GPS mais une boussole. etc. « Ce n'est pas la peine de leur faire une formation avec des matériels sophistiqués qu'il n'auront pas ensuite ».

Une instruction où les questions ont leur importance

L'atelier instruction "fouille" suscite incontestablement le plus de questions. Un militaire fouille un possible suspect, tandis que deux autres se tiennent en retrait, prêts à a agir. « Il faut se positionner pour ne pas être dans l'angle de la menace », explique l'instructeur, rectifiant au besoin la position de ses stagiaires, autrement dit d'un possible tir de protection des deux militaires. Ceux-ci ne doivent pas être trop prêts (en cas d'explosion) mais pas trop loin non plus, pour entendre les ordres possibles. Au moment des questions, les militaires maliens sont très interrogatifs avec des questions clés. Que faire s'il se rebelle ? Comment savoir à distance s'il a un explosif ? Quelques méthodes peuvent être utilisées. Mais pour l'instructeur, c'est un fait. « C'est impossible à savoir vraiment (à 100%), c'est l'arme la plus efficace ».

Equipement et origine

Les soldats sont à peu près équipés : treillis, bottes, gourde, casque, et arme (la kalachnikov). Ce qui est déjà un exploit. D'où cela vient ? Les officiers d'EUTM sont moins diserts. « Le Mali a de l'argent tout de même ». La plupart viennent des bérets verts, de l'armée de terre, par opposition aux bérets marrons (normalement) attribut de la Garde nationale et aux bérets rouges des parachutistes. Mais, sur place, pour renforcer le sentiment d'appartenance commune, ils portent tous la casquette. Ils ont été piochés dans tous les bataillons du pays, y compris parmi les Touaregs du colonel Agh Gamou (il y en a environ 70. Pour la logistique "nourriture", n'ayez crainte. Très vite les Maliens se sont organisés. Des "mamas" sont au camp, faisant à manger pour la troupe. Celle-ci est montée sur le terrain d'exercice ainsi que de l'eau, en grosses bassines, nécessaire pour tenir sous le soleil.

Un nouveau bataillon

5 compagnies formeront le nouveau bataillon "Waraba" (les lions) : 4 d'infanterie - dont une plus spécialisée - et 1 de logistique. Deux compagnies d'infanterie seront formées par les Français, une par les Britanniques-Irlandais, une par les Nordiques (Finlandais-Suédois-Lituaniens). La formation est complète pour trois de ces compagnies, la 4e (une des compagnies formées par les Français) fait la formation initiale de l’unité, puis elle ensuite éclatée avec les formations spécialisées (génie, artillerie, blindés...). A cela s'ajoute une compagnie logistique (ravitaillement, maintien matériel, soutien médical), afin que le bataillon ait une autonomie large, à la manière d'un GTIA - groupement tactique interarmes. C'est une nouveauté en soi pour l'armée malienne. « Ici quand on avait un besoin, on piochait les militaires dont on avait besoin dans les unités ». Ce qui désorganisait un peu plus le fonctionnement de l'armée.

Un cadre commun de formation

Comme toutes les missions européennes, la mission EUTM a aussi une part de formation interne et d'interopérabilité européenne. Il a fallu ainsi définir un cadre de formation commun. « Il fallait éviter d'avoir une compagnie formée par les Français, une autre par les Britanniques... » témoigne le Col. Pasczka. « Nous avons donc défini un cadre commun ». Car même si globalement, les méthodes sont les mêmes, certains détails peuvent différer. Ainsi que rien pour monter ou démonter une Kalachnikov, la technique peut être différente. Ce qui peut générer chez les stagiaires une confusion. Il y a ainsi des fiches de cours, avec des objectifs fixés pour chacun. Et avant l'arrivée des Maliens, les Européens se sont entraînés - y compris sur le montage de la Kalachnikov - et ont révisé ensemble, afin d'éviter toute contradiction.

La langue...

Les fiches de cours sont en français. Et l'enseignement a lieu également en Français. Mais c'est là où cela se complique un peu. Tous les formateurs ne parlent pas français, tous les stagiaires non plus.

Si parmi les Britanniques, plusieurs formateurs comprennent le français ; chez les nordiques seuls 2 formateurs parlent cette langue. On trouve même un médecin bulgare qui ne parle pas vraiment l'anglais. Ce qui est un peu gênant. Mais même chez quelques nationalités latines (Espagnols, Italiens), le Français n'est pas pratiqué. Ce qui pose un sérieux problème dans les pays africains francophones et peut provoquer des incidents diplomatiques comme lors d'une récente réunion de la MISMA où un ministre africain a refusé de continuer en anglais. Coté malien, tous les officiers parlent français, les sous-officiers également (au moins 2/3) mais parmi les soldats du rang, la proportion de francophones tombe. « On est autour de 1/3 » précise un officier.

Alors on recourt à la traduction. Un traducteur traduit de l'anglais au français. Puis un soldat malien traduit en bambara les ordres donnés en Français. Mais très vite, cette barrière de la langue pourrait être effacé. Les formateurs anglophones ont commencé, ou vont commencer, des cours de français, les samedi en général, avec un minimum de 3 heures. Ce qui devrait leur permettre assez vite de s'adapter. Des recrutements de traducteur sont aussi en cours. Et on tente de repérer parmi les effectifs qui parle anglais. Quelques soldats maliens parlent en effet la langue et pourraient assurer la conversion.

 

 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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