Entre la France et l’Allemagne, plus qu’un fossé
(BRUXELLES2 à Berlin) J'étais aujourd'hui dans la capitale allemande (avec mes amis de l'IHEDN). L'occasion de nous frotter concrètement au "couple" franco-allemand ou plutôt un "attelage" comme le décrit un diplomate français.
Différence de langage, différence de perception
Effectivement, en matière de défense, entre la France et l'Allemagne, il y a plus qu'une différence, ce sont des perceptions totalement différentes qui opposent Français et Allemands. Nous avons ainsi eu un dialogue intéressant avec les auditeurs de la BAKS (Bundes Akademie für Sicherheit Politik). Quand les Français évoquent "l'action" face à "une menace imminente". Les Allemands répondent "nécessité de fixer une stratégie" et "de convaincre des opinions". Les premiers parlent "rapidité de décision". Les seconds répondent "consultation nécessaire du Parlement".
Autorisation parlementaire or not
Cette autorisation parlementaire à chaque engagement à l'étranger est totalement étrangère aux oreilles francophones et pourrait apparaître comme une prudence surannée, synonyme de non-volonté d'intervention. Pourtant c'est un élément intrinsèque de la démocratie, ancré dans l'histoire allemande. Ne pas la considérer à cette juste valeur serait une grave erreur. Car elle n'empêche pas la volonté d'intervenir. La preuve. Les Allemands seront bien présents au Mali. L'opposition sociale-démocrate comme Verte (mis à part quelques exceptions) votant avec les conservateurs de la CDU et les libéraux du FDP les deux mandats nécessaires : l'un pour engager des soldats dans la mission EUTM Mali (y compris l'éventualité de fournir des forces de sécurité et de protection pour ses soldats déployés) ; l'autre pour soutenir les avions engagés dans l'opération de la Misma.
Certes cette double obligation de réunir un mandat gouvernemental et une majorité parlementaire oblige à une certaine rigidité - et une certaine rigueur - étranges aux oreilles françaises. Mais elle n'est pas tout à fait incompatible avec certains engagements. Il ne faut donc pas demander aux Allemands de ressembler à des Français mais tenir compte de leurs contraintes... légitimes (*). Et en tirer des conséquences opérationnelles (lire : La capacité d’entrer en premier…).
Malgré toutes ces différences, dans cette 'construction des contraires', il y a comme une nécessité, qui n'est pas seulement opérationnelle mais politique ! L'arrivée d'une nouvelle majorité après les élections en septembre (grande coalition rouge-noir SPD/CDU ou coalition vert-rouge Grünen-SPD, ou autre...) sera sans doute l'opportunité de donner un nouvel élan à cette coopération. Mais tout effort devra être mené au plus haut niveau — entre la chancellerie et la présidence de la République. Il devra tenir compte des réalités de part et d'autre du Rhin (et non pas se contenter de mots doux et convenus qui ne changent rien sur le terrain), être ambitieux (on ne peut pas se contenter d'échanges d'officier de liaison ou de formation en commun, ou d'une brigade franco-allemande symbolique mais peu consistante sur le terrain), progressif (prévoyant des étapes) et être large (embrasser tous les secteurs). Bon courage aux négociateurs ...
(*) Certes certains députés - comme le CDU Andreas Schokenhoff - aimeraient bien remettre en cause cette autorisation, prônant ainsi un « abandon de souveraineté » au profit de la sphère européenne et un « assouplissement de la réserve d'examen parlementaire ». Celle-ci serait remplacé d'une part par un débat annuel sur les grandes orientations de la politique de sécurité, décidant des engagements de soldats dans des missions internationales (OTAN ou UE) ; d'autre part par un « droit de rappel » du législatif. Mais il n'est pas sûr que cette opinion soit très majoritaire.