Classer le Hezbollah sur la liste anti-terroriste, une idée bien courte
(BRUXELLES2) Le gouvernement bulgare en a la certitude, c'est le Hezbollah ou du moins sa branche militaire, qui serait à l'origine de l'attentat de Bourgas qui a visé le 18 juillet 2012 un bus avec des touristes israéliens (6 morts - 5 Israéliens et 1 Bulgare - et plusieurs blessés). Il en a ainsi informé les 27 lors de la dernière réunion du COPS - le Comité politique et de sécurité de l'Union - mercredi (6 février). Une information sans autre débat pour l'instant. L'agenda du COPS était d'ailleurs déjà bien chargé mercredi dernier. Les ambassadeurs du COPS pourraient en rediscuter prochainement de même que certains groupes de travail des "27". Avant une discussion au niveau des ministres des Affaires étrangères le 18 février prochain.
Des preuves "béton"...
Le ministre de l’Intérieur, Tsvetan Tsvetanov, avait annoncé effectivement mardi (5 février) avoir « des preuves », après une réunion du conseil de sécurité national, que deux des auteurs de l’attaque, disposant l'un d'un passeport australien, l'autre canadien et ayant résidé au Liban, « appartenaient à la branche militaire du Hezbollah ». Le troisième acteur, qui portait la bombe et est décédé lors de l'attaque n'a pas encore été identifié.
Le lendemain (6 février), le ministre des Affaires étrangères, Nickolay Mladenov dans une interview à la télévision bulgare (retranscrite par Sofia news agency) que l’attentat avait bien été « organisé et inspiré par des membres de la branche militaire du Hezbollah à ce stade de l’enquête ». Le ministre estimant que la Bulgarie se devait de « poursuivre les auteurs en justice, de coopérer avec les autorités au Liban et ailleurs (...) et qu’une action commune devrait être adoptée au niveau de l’Union ». Sur Al-Arabiya allait un peu plus loin, disant que l'implication du Hezbollah « ne serait pas sans conséquences » et que l'inscription sur une liste anti-terroristes du Hezbollah était « sur la table ». Une déclaration qui avait de quoi ravir Israël qui, depuis des années, veut une telle sanction. Mais il faut parfois se méfier des preuves "béton".
Un doute, ou plutôt des doutes...
L'enquête est toujours en cours
Les preuves réelles de l'implication du mouvement libanais sont contestées en Bulgarie, du moins à ce stade de l'enquête. C'est, en effet, le Premier ministre Boiko Borissov qui a fait cette déclaration, grillant la politesse au procureur chargé de l'enquête dont c'est normalement le rôle. Le chef de l'opposition (socialiste) Sergei Stanishev (président du PSE), a très vite réagi déniant le sérieux de cette sortie médiatique. « L'enquête est toujours en cours. Et on ne peut pas parler d'une preuve décisive en ce qui concerne les auteurs directs, et encore moins en ce qui concerne l'organisation qui est derrière cet événement tragique » a-t-il ainsi déclaré selon SNA. La campagne électorale (élections en juillet) explique peut-être le comportement des uns et des autres. Mais cela ne suffit pas.
Même son de cloche au parquet général. Pour le procureur général Sotir Tsatsarov, le parquet ne dispose « pas de suffisamment de preuves pour soulever une accusation dans le cadre de l’affaire de l’attentat de l’aéroport de Bourgas ». Selon ses propos publiés dans le quotidien Sega, « l’enquête n’est pas close, elle continue car les réponses aux commissions rogatoires adressées au Maroc, à Israël, à l’Australie et au Liban n’ont pas été encore reçues ».
La méthode ne colle pas tout à fait
A Bruxelles, aussi on a des doutes. L'attentat n'est pas signé. Ce n'est « pas dans l'habitude du mouvement », commente un diplomate européen attentif du Moyen-Orient. De même il vise généralement « des cibles plus militaires ou plus liées au pouvoir israélien » et souvent dans le Moyen-Orient, peu en Europe (du moins dans une période récente).
Une proximité très grande entre Sofia et Tel Aviv
Ces doutes sont accentués par le positionnement géopolitique de la Bulgarie tout comme sa situation interne. On sait combien Sofia est proche d'Israël et de Washington. Une série d'accords ont ainsi été signés en juillet 2011 entre la Bulgarie et Israël portant sur les questions économiques, d'énergie. L'un d'entre eux portait notamment sur la coopération militaire entre les deux pays avec entraînement, formation et mise à niveau à la clé. Plusieurs visites ministérielles ont eu lieu de part et d'autre. Pour Israël, la mise à l'index du Hezbollah est une vieille antienne. Immédiatement après l'attentat, Israël avait d'ailleurs commencé par pointer le doigt sur l'Iran. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dénonçant « une offensive terroriste iranienne. Tous les signes mènent à l'Iran » estimait-il dans un communiqué repris par les agences de presse. Aujourd'hui naturellement Israël s'est bruyamment félicité de cette déclaration bulgare. Un peu "téléphoné" tout de même...
Un climat politique délétère
Même si cela ne devrait normalement pas jouer sur une affaire aussi grave, on ne peut s'empêcher néanmoins de faire état de certaines constantes locales. Le Premier ministre Borissov est, lui-même ou son entourage, objet de plusieurs accusations ou rumeurs de corruption. Et on sait aussi combien est important le poids de cette pratique en Bulgarie. Un ancien commissaire européen ne confiait-il pas avant de quitter son mandat qu'il n'y avait même pas de corruption au sens strict du terme, en Bulgarie, car celle-ci est au sein même de l'Etat « quand le corrupteur est lui-même le donneur d'ordres »...
Débat lancé au niveau européen
On comprend donc la prudence avec laquelle les autorités européennes ont pris la question.
Réaction très prudente de la Haute représentante
Réagissant mardi (5 février) la Haute représentante a simplement « note des résultats de l'enquête sur l'attentat terroriste du 18 Juillet à Bourgas. Les implications de l'enquête doivent être évalués avec sérieux car ils se rapportent à une attaque terroriste sur le sol de l'UE. (...). Les terroristes qui ont planifié et exécuté l'attaque Burgas doivent être traduits en justice. » La Haute représentante soulignant aussi « la nécessité d'une réflexion sur l'issue de l'enquête. L'UE et les États membres examineront la réponse appropriée en fonction de tous les éléments identifiés par les enquêteurs. »
Une des options mais pas la seule
Interrogée lors du briefing midi mercredi par un collègue italien, la porte-parole de la Haute représentante a ajouté que oui, l'inscription sur la liste des organisations terroristes est « une des options. Mais ce n'est pas la seule ». « Nous regardons et discutons la réponse appropriée. Il y a plusieurs options. » Parmi les autres options figure un « renforcement de l'action d'Europol et d'Eurojust, une action judiciaire ou l'option politique ».
Discussions tout azimut en marge du sommet européen
Selon nos informations, la Bulgarie n'a pas demandé l'inscription du Hezbollah sur les listes anti-terroristes. Jeudi soir, en marge du sommet européen, le ministère bulgare des Affaires étrangères, Mladenov, a ainsi rencontré Catherine Ashton. Rien n'a filtré de cette entrevue. Et de même, Serguei Borissov devrait rencontrer son homologue britannique, David Cameron. Entre autre sujets, la question de l'attentat de Bourgas devrait être abordée. Mais au cabinet de Me Ashton, on se veut très très prudent. « Nous devons d'abord étudier les résultats de l'enquête » a confié à B2 un diplomate européen « et décider comment procéder. Nous ne sommes qu'au début du processus ».
Les sanctions : une question très délicate
Une décision prise à l'unanimité et pas automatique
La question des sanctions à l'encontre d'un mouvement "terroriste" n'est pas une mesure automatique. Elle ressort d'une décision prise à l'unanimité. La France est contre une telle décision (avec l'Italie et plusieurs pays méditerranéens). Les Pays-Bas (défenseur d'Israël) comme le Royaume-Uni sont pour. Donc le débat ne fait que commencer. Le point pourrait être mis à l'ordre du jour de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE, le 18 février.
Une question de preuves
C'est un processus mixte politique et juridique qui n'intervient normalement pas en préalable d'une enquête judiciaire mais plutôt dans sa conclusion (ou si celle-ci se révèle justement bloquée). La sanction des auteurs d'un attentat passe ainsi d'abord par leur arrestation ainsi que de celles de leurs instigateurs et commanditaires et leur mise en jugement. A ce jour, il n'y a pas eu encore de mandat d'arrêt ou d'inculpation délivré apparemment, ni encore de refus de livrer ses auteurs.
Un processus éminemment politique
C'est un processus éminemment politique, dont le fondement est d'ordre non judiciaire mais politique. Il s'agit - comme le rappellent les lignes directrices en matière de sanctions de « susciter un changement de politique ou d'activité de la part du pays, de la région, de l'administration, des entités ou des particuliers visés ». Or, à supposer que l'attaque lui soit imputable, s'attaquer à un mouvement qui est au pouvoir de façon légitime dans un pays comme le Liban, placé au coeur de la tourmente syrienne, ne se prend pas à la légère. Le risque de fragilisation du pays doit être bien évalué.
Une politique de sanctions à bout de souffle ?
La politique de sanctions européenne commence aujourd'hui à atteindre ses limites. L'Union européenne a mis sur la touche le Hamas, le FPLP... Sans grand résultat. Sinon celui de se priver d'interlocuteur dans la question palestinienne. L'Iran est sur la touche, pour cause de prolifération nucléaire, la Syrie également pour cause de guerre civile. A ce train-là, c'est tout le Moyen-Orient qui va bientôt être sur les listes anti-terroristes de l'Union. Ce, dans un cadre plus que tourmenté. La situation en Irak n'est pas vraiment très stable. Idem en Egypte. Les tensions se font jour en Jordanie. Bref... ce n'est pas le moment de perdre le Liban qui est déjà dans une gestion délicate d'un conflit à ses frontières et de l'accueil de milliers de réfugiés.
(NGV)
(*) Par exception, on peut noter l'attentat en Argentine en 1994. La campagne d'attentats en France en 1985-1986 comme l'attentat contre le Drakkar et l'aéroport à Beyrouth en 1983 lui sont également attribués. Mais on était dans une autre époque
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La vraie question est: l’avis de l’UE importe t-il vraiment?
Si un mouvement est interdit et ses fonds gelés sur toute l’Union européenne, il peut y avoir quelques conséquences. Donc, oui, l’avis de l’UE compte…