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La déclaration de Paris du “Club des Cinq”, commentée

(BRUXELLES2 à Paris) On pourrait dire "voici une déclaration de plus", "encore du blabla", "c'est de la gesticulation politique"... La déclaration de Paris adoptée, jeudi (15 novembre), par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense français, allemands, italiens, espagnols et polonais... tient sans doute de cela effectivement.

Mais il faudrait se garder de tout amalgame, une réunion des ministres en tandem, des cinq pays les plus importants au plan européen en matière de défense (exceptée le Royaume-Uni qui ne souhaite pas le développement de cette politique européenne) n'est pas anodine en soi. Le fait qu'elle se déroule avant un conseil des ministres, et alors que la discussion budgétaire au plan européen comme au plan national s'avère très difficile.

Le message est donc un clair signal politique, à portée tout autant interne qu'européen. Il est aussi l'occasion pour les Cinq de faire des recommandations en matière de renforcement des structures, de développement d'opérations et de coordination des capacités. Voici une lecture commentée de cette déclaration que l'on peut télécharger ici.

Le message politique d'une ambition renouvelée

L'Europe veut être adulte

Cette déclaration est donc, avant tout, une marque de "volonté". Le mot figure dans la déclaration. Et il a été répété à plusieurs reprises par les ministres du "club des Cinq" lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion, et sur tous les tons. L'UE devrait être « apte et résolue à prendre ses responsabilités dans des régions où ses intérêts de sécurité et ses valeurs sont en jeu ». Elle doit « se donner les moyens de leurs ambitions dans le domaine de la sécurité et de la défense » précise ainsi le texte. Ce que le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a résumé par une formule : « Nous, Européens, devons être davantage responsables de notre politique de sécurité et de politique étrangère».

Les circonstances ont changé, la crise est passée par là

C'est un constat fait partagé par tous les ministres comme l'a résumé Laurent Fabius, l'hôte de la réunion. « Le tournant américain vers le Pacifique, les menaces qui demeurent et la crise budgétaire » ont marqué les esprits. L'impératif de réalité a frappé. Il oblige à « avoir davantage d’Europe », comme le souligne Guido Westerwelle, non pas vraiment pour le plaisir mais par nécessité. « Nous avons moins de moyens à disposition et des moyens budgétaires plus limités. Dans l’intérêt du contribuable et de la politique étrangère, il est judicieux de pouvoir se concerter, de créer des synergies ».

L'heure est au pragmatisme

Les Cinq ne cachent pas qu'ils n'ont pas été parfaits dans le passé, entassant des déclarations plus ambitieuses que les autres non suivies d'effet et qui n'étaient plus en rapport avec les réelles capacités des Européens. Dans le passé, « la divergence entre objectifs fixés et réalisations concrètes était trop importante, aujourd'hui il faut être sans doute moins ambitieux mais plus pragmatique et faire des réalisations communes » a expliqué le ministre allemande des Affaires étrangères Guido Westerwelle.

Une politique industrielle

Il faut donner « travailler sur un marché commun de défense plus intégré avec des synergies et des économies budgétaires » à la clé a ainsi plaidé le ministre italien Giulio Terzi. Cette notion de politique industrielle était aussi très présente chez les ministres allemand et français de la Défense. De Maizière défendant « une politique industrielle de l'armement, le renforcement en commun de l'agence et la coordination des projets d'équipement » tandis que son homologue français Le Drian confirme. « Nous nous inscrivons totalement dans l'Agence de défense » allant faire jusqu'à s'interroger s'il ne fallait pas lui confier la réflexion sur « l'acquisition nécessaire pour la défense anti-missiles ».

Agir à l'extérieur

Malgré tout les Européens veulent continuer à peser sur le monde.« Il y a un consensus sur la partie la plus difficile : l’engagement des forces armées, et la contribution de tous à la sécurité et à la stabilité du monde » a ajouté Pedro Morenes le ministre espagnol de la Défense. Notre dénominateur commun, a conclu Radek Sikorski, le ministre polonais des Affaires étrangères. « C'est de pouvoir agir à l’extérieur. Il ne faut pas avoir une Union européenne qui se referme mais réfléchit et s’ouvre sur l’extérieur. » Et a-t-il ajouté « nous devrons être capable de renforcer notre diplomatie par notre force militaire. De même qu’on intervient dans la Corne de l’Afrique, on devrait sécuriser notre voisinage ». Un propos qui rappelle aux intervenants que pour de nombreux pays de l'Est, la menace reste toujours à Moscou (les derniers chars russes n'ont quitté le territoire qui est celui de l'Union européenne qu'il y a 15 ans).

Les recommandations des Cinq à l'UE

La déclaration comprend une série de recommandations à la fois sur les structures, les opérations et les capacités, qui n'est pas tout à fait anodine

Le cap et les moyens

Les ministres placent également une ambition à cette politique européenne servie aujourd'hui par un Service européen d'action extérieure (SEAE).

Le cap. L'Union européenne doit agir « rapidement » et « efficacement » sur « tout le spectre » des mesures de gestion des crises , « en étroite coopération avec les organisations internationales et régionales ». Nb : il ne peut être question de faire uniquement des opérations "gentilles" mais être capable de faire du maintien de force. L'axiome d'intégration de l'action de l'Union européenne dans un cadre international et régional est répété et amplifier...

Les Structures politico-militaires. « Des structures véritablement civilo-militaires pour planifier et conduire des missions et opérations et créer une plus grande synergie entre le Service européen d'action extérieure et la Commission ». Nb : le dispositif du Traité de Lisbonne n'est pas vraiment efficace, du moins pas encore. La présence d'un haut représentant qui est aussi vice-président de la Commission européenne n'a pas produit l'effet escompté. Entre la Commission et le SEAE, il y a plus qu'une "différence de cultures", une différence d'approche, que masque mal le concept d'approche globale qui est souvent un peu la "tarte à la crème" du SEAE. Les incompréhensions et les "gaps" de financement existent encore. On peut remarquer également qu'il n'est plus question uniquement d'un centre de conduite des opérations militaires mais d'une structure civilo-militaire de conduite des opérations. Ce qui donnerait effectivement à l'Union européenne une structure originale, correspondant à son "logiciel de pensée" et qui ne pourrait se voir reprocher l'idée de doublon avec d'autres structures existantes (nationales ou OTAN). Intelligent.

Battlegroups. Il faut « être prêts à les tenir à disposition, les entraîner, les déployer et les maintenir sur le terrain ». Nb : les Cinq répètent leur "foi" dans ces groupements tactiques qui n'ont jamais servi, et surtout où on ne voit pas vraiment où ils peuvent servir. L'idée de les maintenir en réserve par exemple pour les Balkans pourrait être une idée à travailler. Au-delà du principe de "déploiement", on peut aussi remarquer que réapparait la notion de "maintien" sur le terrain. Autrement dit des Battlegroups qui ne sont pas uniquement une "force d'entrée en premier" mais une "force de présence".

Commandement européen de transport aérien (EATC). Il doit « adapté et étendu à d'autres États membres, pourrait constituer un véritable pas en avant vers des capacités rapides et partagées de transport aérien et de ravitaillement en vol ». Nb : ce blog a été un des premiers à visiter le QG d'Eindhoven d'EATC. Et ce commandement est certainement la première capacité réellement partagée au plan européen, de façon concertée. les Cinq s'accordent ainsi sur son extension géographique (d'abord aux trois qui n'en sont pas membres : Espagne, Italie, Pologne) et matérielle (seul le transport aérien est concerné aujourd'hui, l'extension aux ravitailleurs en vol est donc attendue).

Conforter cinq terrains d'opérations

Mali : Les Cinq encouragent tous les partenaires « à contribuer à une éventuelle mission de formation en soutien aux forces armées maliennes ». Nb : Mis à part la Pologne, les 4 autres pays présents ont affirmé leur disposition à envoyer des forces dans le cadre d'EUTM Mali. Ils invitent chacun à faire un geste identique.

Libye : « se tenir prête » à « assister et soutenir les nouvelles autorités libyennes ». Nb : sur cette mission, il y a hésitation tant au sein des Etats membres que du service européenne d'action extérieure ou de la Commission. L'hésitation n'est plus permise disent les Cinq.

Balkans : « réfléchir à la façon dont l'Union européenne pourrait mieux agir sur le terrain et contribuer davantage à la normalisation de la région ». Nb : Concrètement, comme l'a rappelé le ministre italien, il faut réfléchir à ce que les Européens prennent en charge la KFOR, qui passerait ainsi du giron de l'OTAN à celui de l'UE. Avec un avantage essentiel, disposer sous une même autorité politique à la fois du renforcement de l'Etat de droit (EULEX) et des forces militaires.

Géorgie : « demeurer engagée et impliquée dans les efforts pour stabiliser et apporter une solution au conflit ».

Afghanistan : « maintenir l'engagement de l'Union européenne en faveur d'une police nationale afghane forte et efficace ».

La présence de cinq théâtres mentionnée dans la déclaration ne tient pas tout à fait au hasard : elle correspond à des zones où un ou deux Etats auteurs de la déclaration de Paris sont "pousseurs" : la France et l'Espagne pour le Mali, l'Italie pour la Libye, l'Italie (et la France) pour les Balkans, la Pologne pour la Géorgie, l'Allemagne pour l'Afghanistan.

Coordination des capacités

Les cinq plaident pour :

- une capacité de « déployer et de soutenir des opérations militaires sur des théâtres lointains et de longues périodes ». Nb : alors que le retrait d'Afghanistan s'amorce, ce qui va permettre une diminution de la charge financière et matérielle, on voit mal comment les Européens pourraient supporter un nouvel effort à court terme. Cet engagement se situe donc plutôt à moyen terme.

- mieux équilibrer le « partage du fardeau au sein de la communauté transatlantique ». Nb: on verra si cet engagement est tenu

- assurer une « meilleure coordination entre les processus nationaux de planification » des Etats membres. Nb : Ce qui représenterait une vraie valeur ajoutée par rapport aux systèmes actuels où chacun planifie, achète, et dépense sans concertation, et explique sans nul doute l'affaiblissement des armées européennes qui multiplient doublons et lacunes.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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