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Col. Beary (EUTM Somalia) : former les Somaliens, un bon investissement !

(BRUXELLES2) La troisième session de formation des soldats somaliens en Ouganda par les forces européennes (EUTM Somalia) est en passe de se terminer. La cérémonie de remise des diplômes a lieu le 10 mai prochain. Quelques semaines avant cette nouvelle étape, B2 a pu - avec un confrère de l'Agence europe - rencontrer le commandant de l'opération.

Venu de l'infanterie irlandaise, ancien directeur de la formation de l'armée, le colonel Beary dirige depuis presque un an cette mission assez originale dans le panorama européen : puisqu'il s'agit de former, concrètement, les troupes et encadrement d'une armée partant au combat.

On pourrait être étonné de voir un gradé d'un pays aussi attaché à la neutralité que l'Irlande diriger une telle opération. Mais ce serait oublier que « l’Irlande a toujours été très impliquée dans les opérations de gestions de crise ou de maintien de la paix ». Et si l'armée n'occupe qu'un faible pourcentage du PIB, l'Irlande se situe dans le top 3 des forces déployées à l'extérieur : 20% des soldats servent en outre-mer. » 7 soldats servent ainsi en Ouganda, bientôt 10 avec un renfort d'une composante CIS. Pour lui cette mission est l'exemple même d'une « mission peu couteuse - maximum 125 personnes (*) avec un budget de 4,8 millions d'euros, pour un bon "return". Autrement dit, « c'est un bon investissement », explique-t-il

La formation des formateurs a commencé

Le principe de la mission reste le même auquel B2 avait assisté à son commencement. Les forces ougandaises forment les recrues (environ 350 lors de cette 3e session), les Européens forment les noyaux plus spécialisés des compagnies (médical, anti-IED, communications...), les sous-officiers et officiers (environ 250 en tout, à la 3e session). Dernière évolution, la formation de formateurs de l'armée. « Nous avons commencé à former des formateurs lors de la précédente session. Nous en formons 66 actuellement. On s’adapte tout le temps avec l’expérience. »

La question de la langue ?

Pour cela, les Européens sont assistés d'interprètes kenyans qui parlent le Somali. « La plupart des soldats ne parlent que le somali, très peu l'anglais ou l'italien. Et nombre d'entre eux sont analphabètes. » La question de la langue « est un véritable défi. Plusieurs formateurs européens apprennent des rudiments de somali. Ils peuvent ainsi communiquer à un niveau de l’enseignement de base. »

L'envie d'apprendre ?

« Techniquement, ce n’est pas très difficile. Les Somaliens apprennent vite. Ils sont incroyablement brillants. Ils sont généralement jeunes, autour de 20 ans. Nous n'avons pas de mineurs et faisons très attention à cela. (…) Ils me surprennent parfois par ce qu’ils connaissent. Ils ont accès à l’information » développe le Col. Beary. « C’est intéressant, révélateur de voir ceux ci donner leur propre vision, leur propre lecture du terrain. Nous avons véritablement espoir de voir l’armée somalienne se développer ».

Presque 4000 soldats formés par Européens et Ougandais

La plupart sont jeunes, en général autour de 20 ans et proviennent des régions qu'il faut sécuriser : surtout des Hawiye et des Darod, venant de Mogadiscio et des environs. Dans la prochaine session, il y aura davantage de recrues provenant du sud, « pour avoir une armée composée des différentes parties, des différents clans qui forment la Somalie ». L'objectif de l'armée du GFT est d'avoir environ 12.000 soldats selon le projet présenté par le chef d'Etat-major du GFT somalien, le général Al Dini. Plus de 3000 soldats et officiers ont déjà ainsi été formés, la prochaine session démarre début juin. Et elle accueillera environ 650 élèves, sur le même modèle « qu'aujourd'hui, avec la formation de recrues, d'unités spécialisées et de formateurs ». Elles devraient former le noyau dur de « trois brigades "d'élite" d'une division ».

Le comportement sur le terrain

De retour sur le terrain en Somalie, les soldats subissent une « période de réintégration de deux mois, pour se mettre au courant de la situation, encadrés et entraînés par les forces ougandaises » qui travaillent dans le cadre de l'Amisom, la force de maintien de la paix de l'Union africaine.  Le taux d'attrition reste « faible. Au départ, ce taux était de 4,6 %, il est descendu aujourd'hui à 1,9 %, On a un taux d’attrition très proche, voire plus faible, de ce qui se passe dans nos pays. » Une raison à cela, assez pragmatique. « Le système de paiement des soldats fonctionne. Ils reçoivent 100 $ par mois, c’est une forte incitation » à rester. Les premiers éléments formés sur le terrain se sont d'ailleurs « bien comportés" et ont participé notamment à l'offensive menée à Mogadiscio » pour déloger les Al-Shabbaab qui contrôlaient le marché de Bakaara.

Une expérience reproductible ?

La mission a un double intérêt. Pour les Somaliens, les « Européens fournissent une formation que personne ne peut apporter », avec une diversité d'expérience, d'enseignement. Les soldats formés « vont fournir les bases d’une force disciplinée et loyale pour le GFT. Cela permet également d'accomplir  un développement significatif pour la réforme des structures de sécurité » du futur Etat somalien. Et coté européen, cette formation est aussi une « expérience » utile. « Ce "paquet" de formation pourrait « être utilisé dans un autre théâtre, par exemple au Soudan, si l’Union européenne veut faire çà, ou ailleurs. On ne perdra pas cette expérience. »

(*) Il s'agit du maximum. Il y en a 121 actuellement (85 formateurs et 36 membres de soutien et commandement) venant de 12 Etats membres : 25 Français, 16 Portugais, 15 Allemands, 14 Espagnols, 11 Italiens, 10 Irlandais, 7 Finlandais, 7 Suédois, 6 Belges, 4 Hongrois, 4 Maltais, 2 Britanniques.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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