Analyse BlogGolfe Moyen-Orient

Les Européens en mode mineur sur la Syrie (maj2)

vue de Homs le 5 fevrier... (crédit : Unosat)

(BRUXELLES2, sommet européen) En mode mineur ? On pourra trouver le jugement sévère. Mais c'est tout de même à remarquer. Bien sûr, il y a toute une gestuelle européenne de déclarations bien rodées, qui condamnent la main sur le coeur la situation, appellent au départ de Bachar El-Assad (une erreur tactique peut-être), mettent en place une palette de sanctions et se disent prêts à apporter une aide humanitaire... Mais cela ne peut pas suffire.

Quelques dizaines de minutes de conversation...

Face à la tournure qu'ont pris les évènements en Syrie, où on assiste à un vrai massacre, tout autant qu'à un certain risque de déstabilisation de plusieurs pays voisins (le Liban par exemple), on aurait pu s'attendre à un peu plus de considération de la part des dirigeants européens. Quelques dizaines de minutes de conversation, en fin de conseil européen, où quelques dirigeants s'expriment sur un ou deux points - comme la fermeture des ambassades - ne peuvent suffire à définir une politique étrangère. Comme si les Européens étaient, en ce moment, trop ethnocentrés sur leurs problèmes de déficit budgétaire, d'endettement, pour pouvoir se préoccuper du monde.

On aurait pu s'attendre, au minimum, à un peu plus de solennité dans la condamnation du régime Assad, plutôt que quelques phrases dans une conférence de presse. Par exemple, une déclaration commune, orale et télévisée, de plusieurs des dirigeants européens, venant dans la salle de presse et lançant, en commun, un appel à Assad et à la communauté internationale, cela aurait eu un peu de sens politique...

Un concert d'égoïsmes

Le Sommet européen de jeudi et vendredi a été un vrai loupé politique avec des Européens semblent plus préoccupés de leurs "petites" affaires intérieures : le Français Sarkozy de sa réélection, l'Allemande Merkel du pacte budgétaire et de convaincre sa majorité, le Néerlandais Rutte qui défend son 3% de déficit ou la Grèce, le Portugal, l'Espagne qui se battent contre le déficit, l'Irlande et le référendum, etc. Nous avons assisté, là, à un concert d'égoïstes. Une myopie révélatrice d'une certaine faiblesse de l'Union européenne, renforcée par la crise économique, et que ne peuvent pallier les nouvelles institutions issues du Traité de Lisbonne. Nous avons ainsi assisté à une totale absence du pouvoir d'impulsion du Haut représentant, de son ambition, Catherine Ashton, qui est particulièrement au 36e dessous...

Absence de pression diplomatique...

Tout le monde sait également que la clé du problème se situe non pas à Damas ou à Bruxelles, mais à Moscou ou à Pékin. On pourrait s'attendre à une initiative majeure en ce genre. Pour faire pression. Il paraît bien vain de faire de grands débats, à coup de grands moulinets géopolitiques, sur la nécessité de partenariats stratégiques avec les grands pays de ce monde. Alors que le moment venu d'une discussion réellement stratégique avec ces deux pays, là encore un passage à vide. L'Europe se contente d'une belle déclaration.

... de prévision dans la gestion de crises

Même sur la question humanitaire, un des chevaux de bataille de l'Union européenne d'ordinaire, il y a comme un trou d'air. Si l'accueil de réfugiés fuyant la répression dans les pays voisins, au Liban ou en Turquie, est une possibilité, il serait peut-être nécessaire de le préparer, notamment en mobilisant des fonds et des personnes. Il serait aussi nécessaire d'adopter également une position commune sur l'accueil des personnalités politiques, des déserteurs de l'armée syrienne, en annonçant une déclaration. L'Europe est, là, muette.

Aucune appétence pour une mission PSDC

Quant à la mise en place d'une mission de paix - comme proposé par la Ligue Arabe - avec le concours des Nations-Unies, c'est le silence... Une généralité pour dire qu'on soutient la Ligue Arabe. Mais aucun début de planification d'une possible mission de maintien de la paix, même à titre "prudent", comme en Libye. La Haute représentante, Catherine Ashton, ne prise d'ailleurs pas vraiment ce type d'action de la PSDC. Et quand elle peut se défiler, faire traîner, oublier un dossier... elle n'hésite pas !

Des Européens divisés sur leur rôle sur la scène internationale

Plus généralement, on sent comme un schisme dans la position européenne qui n'arrive pas à sortir d'une impasse : passer d'une condamnation de principe accompagné de sanctions économiques à une position plus stratégique. J'ai posé la question à un haut représentant français, croisé dans un couloir du Sommet européen. Celui-ci n'a pas esquivé la question et a analysé, avec franchise, la situation : « Oui il y a deux conceptions de la politique étrangère. D'un coté, nous avons ceux comme Ashton qui estiment que l'action humanitaire suffit. Et de l'autre, ceux comme la France qui estiment qu'il doit y avoir un travail essentiellement politique et diplomatique. Pour nous, l'UE n'a pas vocation à remplacer le travail des organisations non gouvernementales. »

(Mise à jour : paragraphe sur "l'égoisme" des Européens insuffisamment développé dans la première version)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®