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Syrie : attention au piège russe, tenir, miser sur le délitement du régime (Juppé)

(BRUXELLES2) La Russie pourrait-t-elle évoluer sur la Syrie ? Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé était assez perplexe sur cette question qui est fondamentale pour pouvoir envisager une solution face aux massacres en Syrie. « Je pensais que les élections passées, le dialogue pourrait s’envisager de façon plus consensuelle. Manifestement, cela ne se produit pas ». Effectivement dans l'entourage du ministre, on ne se cache pas que l'arrivée de Poutine risque de ne pas amener une détente au plan international. Au contraire, ses premières interventions que cela soit sur le bouclier anti-missiles, l'Iran et la Syrie font plutôt craindre un durcissement.

Certes la Russie 2012 n'est plus celle de la Russie 2000 de l'après-Elstine et Poutine « devra évoluer au plan intérieur » au moins, il n'en demeure pas moins un gros point d'interrogation. Si la Russie paraît effectivement isolée sur la scène internationale, n'ayant que quelques alliés peu recommandables (Corée du Nord, Cuba, ...), cela ne signifiera pas cependant qu'elle se ralliera au projet de résolution de la Ligue arabe.

Le piège russe

Selon certaines informations, le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov pourrait, lundi à New-York, au conseil de Sécurité annoncer une évolution et se rallier à une résolution internationale. Mais pas tout à fait celle espérée par le camp occidental et arabe. Il pourrait mettre bien les torts dans chacun des camps dans une décision "neutre". Et coté français, on redoute, comme tout, de tomber dans ce piège russe. En refusant la mise à l'écart de Bachar, et en ne favorisant que l'aide humanitaire et l'arrêt des violences, les Russes gèleraient en quelque sorte la situation donnant, de fait, l'avantage au régime. Il est « scandaleux de mettre, sur le même plan, les citoyens qui se défendent et ceux qui le bombardent qui placent des Snipers, comme à Homs, pour viser les femmes et enfants » a d'ailleurs déclaré Alain Juppé au sortir de la réunion informelle de Copenhague. « Nous n’accepterons pas que soient renvoyés dos à dos opposantes et régime. C’est au régime de cesser ces attaques. Il faudra ensuite que les violences cessent, et que le processus démocratique soit mis en œuvre. »

Les corridors humanitaires - déjà proposés par la France - « n’ont pas eu beaucoup de succès » reconnait le Ministre. Mais il « faut remettre à l’ordre du jour cette idée ». Il y a deux voies - précise-t-il : « soit le régime accepte de laisser l’accès aux ONG, soit il faut leur permettre l’accès ».

Faute de solution coté Nations-Unies, on peut se dire : que faire ? Le ministre français des Affaires étrangères voit plusieurs pistes : assurer le soutien à la Mission de Kofi Annan, soutenir le processus des amis de la Syrie (la réunion de Tunis avait rassemblé 60 pays ; l'objectif à Istanbul est d'en rassembler presque deux fois plus, environ 100), pousser l'opposition à s'unir et miser sur les désertions, accentuer les sanctions...

Renforcer les sanctions : on est presque au bout

Les sanctions sont un des vecteurs de cette pression. Nombre de mesures ont été prises, « on peut encore en prendre. Mais nous avons atteint déjà un certain niveau. Et nous n'avons plus beaucoup d'espace de progression. » a précisé à B2 un haut diplomate français. Quelques secteurs économiques pourraient encore être visés - les phosphates par exemple ou d'autres métaux précieux (déjà envisagés dans la précédente décision) - et d'autres noms peuvent encore être rajoutés sur la liste noire. « Mais c'est à peu près tout ». De plus, ce n'est un secret pour personne. Et Alain Juppé l'a confirmé à Copenhague : les sanctions ont, sans doute, un effet mais souvent à long terme. Ils ne peuvent empêcher les violences. « Ce n’est pas la panacée, parfois elles marchent, parfois elles marchent moins bien. Mais dans certaines situations, le choix est clair : soit on ne fait rien, soit on utilise les sanctions qui peuvent avoir une certaine utilité ». Les diplomates misent que le blocage aidant, la bourgeoisie, les classes moyennes du régime vont bouger et rejoindre l'opposition.

Tenir, miser sur le délitement du régime

Faut d'autre solution le ministre français - et les Européens - mise(nt) sur le « délitement » du régime. « Ce régime ne pourra pas se maintenir. Il sera lâché par un certain nombre de responsables, par davantage de responsables encore » souligne Alain Juppé. Pour favoriser "l'évasion" des responsables du régime, il importe donc de maintenir les frontières proches ouvertes. Et offrir un accueil aux opposants et déserteurs. La "No Fly Zone" pourrait y aider ont souligné des responsables de l'opposition aux Français - en permettant aux déserteurs de l'armée d'être sûrs de ne pas être bombardés. Mais on sait aussi combien cette solution nécessite un accord onusien.

Pour Alain Juppé, de toute façon, « Ce régime ne pourra pas survivre. Quand un chef massacre des milliers de citoyens, bombarde ses villes il est condamné à disparaître de la scène politique. (Et) Le plus tôt sera le mieux » Mais « La situation est extrêmement difficile » ; le régime « exerce une véritable terreur y compris sur les familles ». « Il faut tenir ».

Garder sa capacité d'indignation

Malgré tout... pour le Ministre français, c'est primordial, il faut garder sa capacité d'indignation. « Je ne voudrais pas que le temps passant, notre capacité d’indignation ne faiblisse. (...) . « J’ai une pensée pour population syrienne, soumise à un traitement scandaleux. Ce qui s’est passé à Homs s’est passé dans d’autres villes. (...)  De Villepin disait que ça l’empêchait de dormir. Moi aussi je peux le dire : (la situation en Syrie) m’empêche de dormir. »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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