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Pour une force de paix en Syrie. Nous ne devons pas avoir peur des islamistes (PM Qatar)

(crédit : Parlement européen)

(BRUXELLES2) La salle de la commission affaires étrangères, pleine à l'arrivée du prince du Qatar, s'est vidée d'une bonne partie de ses députés partis rejoindre d'autres activités, le vote sur les rapports accompli. Dommage ! Ils ont raté la venue du Cheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor al-Thani, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar. Ce qui a été l'occasion d'un véritable cours stratégique sur les révolutions arabes, la démocratie et l'islamisme. Le Premier ministre donnant son avis sur la situation en Syrie, en Iran ou en Palestine. Les observateurs des ambassades ne s'y étaient pas trompés, les bancs habituellement réservés aux ambassades étaient pleins. A de nombreuses reprises, il a insisté sur la Ligue Arabe, la nécessité de la coopération régionale ou de trouver des solutions régionaux aux problèmes dans la région.

Le peuple a raison, les gouvernements doivent évoluer

Le premier soin du Premier ministre qatari a été de plaider un changement d'attitude des dirigeants arabes d'abord. « De vraies réformes sont nécessaires. Nier la réalité n’est pas une solution. Les dirigeants (du monde arabe) doivent adopter une attitude active de dialogue, passer un nouveau contrat social entre État et la société. L’histoire nous apprend qu’il ne sert à rien de s’opposer au peuple. » a-t-il expliqué dans un propos liminaire, volontiers offensif, évoquant le « fossé » qui peut se creuser entre dirigeants et citoyens, le défi démographique, le problème du chômage, une vraie « bombe à retardement ». « Il n’est plus possible de maintenir la société arabe à l’abri de la société des connaissances, des réseaux ». Certains « gouvernements sont restés trop longtemps aveugles et sourds face (à la demande) de changements » déclare-t-il.

Les partis islamistes sont légitimes quand ils sont élus

Plus généralement le prince n'a pas hésité à défendre les islamistes. « Il ne faut pas considérer comme çà les islamistes. Nous savons que certains partis n’ont pas été reconnus en Europe – en Algérie, en Palestine… » Mais c'est une erreur selon lui.  « Nous ne devons pas avoir peur des partis islamistes en soi. Nous pensons que tous les partis, toutes les factions élues par population doivent être respectées. Et cela s’applique aussi à des régimes islamistes. Les dirigeants choisis en Tunisie, Egypte, Libye doivent être respectés. C’est à la population de décider si elle donne, ou retire, le pouvoir à ces partis. (...) S’il faut choisir entre le régime et la population, c’est la population qui doit avoir priorité.» Et de préciser au passage, en réponse à une question : « Je suis islamiste et je suis la voie des Salafes qui sont nos ancêtres. Il ne s’agit pas d’une organisation terroriste. Il y a une confusion sur ce point. »

Le rôle actif du Qatar

Il a reconnu que, depuis le début des révolutions arabes, le Qatar a eu un « rôle actif », « pour éviter autant que possible des retombées négatives », notamment au Yemen. La façon dont la crise au Yemen a été dénouée, avec l'implication active du Conseil de coopération des pays du Golfe « pourrait être un modèle pour la résolution de la crise en Syrie », explique-t-il. Mais il a dénié que son pays ait des intérêts particuliers dans un pays ou un autre - le « Qatar est un pays (suffisamment) riche » - ou d'avoir un agenda caché en Syrie. Notre « seul intérêt est la protection du peuple syrien et de trouver une solution pour sortir de cette impasse. » « Nous voulons que la population puisse choisir ses dirigeants de façon démocratique », a-t-il assuré.

Syrie : cela suffit ! Il faut une force de maintien de la paix

Concernant la Syrie, le ton a été sans équivoque. « Je veux dire au régime syrien : « Cela suffit ! Faites ce que que le peuple syrien veutTuer les citoyens ne sera pas la solution. Il est temps d’accepter les demandes de la Ligue arabe. » Et le prince de plaider, à nouveau, sur la « nécessité d’envoyer des troupes des Nations-Unies et des pays arabes ensemble. » Le but est « de mettre fin aux effusions de sang et d'aboutir à une décision finale de ce que veut le peuple, un changement démocratique ».  Il a dénié vouloir « choisir l'option militaire, nous n’y sommes pas favorables ». Mais « Toutes nos tentatives ont, jusqu'ici, été un échec. Le gouvernement syrien a cherché à gagner du temps et utilisé la force. »

Il a mis en garde aussi contre la tentation de réécrire l'histoire en refusant la version du régime syrien. Les « débuts des manifestations ont été pacifiques. C'est ensuite qu'il y eu répression. (...) La population est aujourd'hui tentée par la violence. Car ils ont impression que leur message n'est pas entendu en Europe. » L'argument du pouvoir de la protection des minorités est, selon lui, un faux argument. « L'opposition prête et s'est engagée à respecter les minorités ». Quant à l’interrogation sur une éventuelle tendance islamiste, pro Al Qaida, en Syrie, « cela ne doit pas être une raison pour (abandonner) la population. »

Nucléaire iranien : une solution dans le cadre régional

Concernant le nucléaire iranien, il s'est montré très prudent. « nous voulons résoudre les problèmes par la voie diplomatique. L'Iran est un grand pays de la région qui joue un rôle fondamental. Nous sommes d’accord avec un programme nucléaire à condition qu’il suive des fins civiles. Si ce n’est pas le cas, il nous faudra prendre une décision. Nous ne ne voulons pas que ce programme encourage une course aux armements dans la région. Et s'il y a une nécessité de solution, il faut trouver (cette) solution dans la région. »

Pas de solution démocratique dans le monde arabe sans une solution au Proche-Orient

Enfin, il a voulu pointer le problème de la Palestine. Tant que la question palestinienne et le conflit au Proche orient ne seront pas résolus », nous ne pourrons pas arriver à un résultat escompté. « Il faut revenir aux frontières de 1967, geler la colonisation. Israël doit comprendre que le monde arabe change, et que nous devons tenir compte de nos populations ». C'est une « véritable bombe (qui) peut éclater. » a-t-il averti. « Il faut travailler à une situation pacifique. Ce ne sera pas automatiquement ce que veut Israël. Mais cela sera décidé en fonction de la situation internationale. »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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