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Pourquoi la PSDC n’avance pas, pourquoi l’OTAN progresse ?

Le siège de l'Otan, un soir de neige après la réunion des ministres de la défense, février 2012 (crédit : NGV/Bruxelles2)

(BRUXELLES2) Cette question - Pourquoi la PSDC n'avance pas, pourquoi l'OTAN progresse ? -, nombre se la posent. Et chacun a sa réponse. Un officier, qui connait bien les deux mondes, a fait part récemment de son analyse. Son propos peut être discuté, désapprouvé ; mais il a l'avantage de pointer le doigt sur une série de problèmes.

L'UE a nombre « d'atouts », explique-t-il : sa puissance économique (un quart du Pib mondial), ses 500 millions d’individus, son 1,62 millions de soldats (contre 1,4 pour les USA), le 1er rang mondial pour l’aide au développement... Elle dispose d'un nouveau traité de Lisbonne, qui a institué les instruments nécessaires (SEAE, la Coopération structurée permanente (CSP), la clause d’assistance mutuelle, la clause de solidarité). Elle a acquis une certaine « légitimité opérationnelle acquise par la conduite de 24 opérations militaires et civiles en dix ans ». Mais elle n'arrive pas à transformer l'essai, contrairement à sa voisine, l'OTAN « Autant la crise stimule l’OTAN et la presse pour proposer des solutions vers plus d’intégration, autant elle inhibe côté UE » explique-t-il. « Le vent souffle fort, les voiles sont affalées et le bateau PSDC est « à la cape ». Et notre interlocuteur de discerner au niveau européen ce qui ne va pas.

1° La crise de l'Euro

Elle « a un impact considérable sur les Etats-membres ». l’attention et l’énergie de nos chefs d’état et du gouvernement sont mobilisées par le règlement de la crise économique et financière. L'esprit de défense s’évanouit. Par précaution et facilité (les Etats membres) se résignent à un repli sur soi, certains même reviennent à un neutralisme qu’on croyait révolu, à l’abri de la défense collective par l’OTAN.

2° Le traité de Lisbonne

Il « change l’approche » de la politique étrangère de l’UE. L’action extérieure de l’UE « se cherche » entre communautaire et intergouvernemental. Les présidences tournantes sont limitées dans leur rôle d’impulsion et d’orientation. « Seuls des Etats membres de poids et solidaires peuvent encore donner cette impulsion indispensable à la PSDC. Mais il se heurte à l’inertie sceptique du grand nombre, au verrou britannique et au SEAE lui-même. Cela n’est pas suffisant. ».

Le SEAE

Le service européen d'action extérieure « ne joue pas encore son rôle de relais en ne s’étant pas approprié cette vision d’une défense commune à construire ». « Il souffre de tensions internes, de désorganisation et de procédures complexes et souvent paralysantes. L’ensemble constitue de nombreux rouages qui ne semblent pas « crampés » ensemble et ne produisent donc pas un mouvement cohérent. » En attendant, l’Union ne peut être au rendez-vous des crises, sauf exceptions mineures.  Remarquant « qu’il y a eu de graves erreurs de casting », l'auteur remarque cependant des améliorations. « Le secrétaire général, Pierre Vimont, est à la manœuvre pour réformer tout ça, rationaliser les processus et mettre en ligne tous les rouages. »

4° Des militaires inhibés

L'organisation souffre d'un faible nombre de militaires (200 en tout ), marginalisés et perçus comme étrangers à sa culture et à son projet. « Nous, les militaires n'avons pas su convaincre les hautes instances du SEAE de la nécessité d’un instrument militaire pour l’Union, ne serait-ce que pour compléter la gamme des instruments de l’approche globale. » Dans cette approche démilitarisée,  La Haute représentante n’est pas la seule, loin de là, à promouvoir une vision de « soft security » pour la PSDC et à n’évoquer les forces armées « qu’en soutien à l’assistance humanitaire ». La moindre évocation d’une idée d’opération militaire avec emploi des armes suscite des crispations. » « Le comble c’est que les militaires de la structure sont eux-mêmes « inhibés par les mises au défi de l’OTAN, prisonniers d’un principe de spécialisation au titre de la sacro-sainte "non-duplication", mal comprise, et rappelée tous les jours par les Britanniques : le militaire à l’OTAN, le civil à l’UE. »

5° Un manque de leadership

Le printemps arabe a constitué une « occasion manquée ». En loupant l'opération d'embargo maritime, en ne lançant pas l'opération de soutien militaire aux actions humanitaires.  « Il y a manifestement  à l’UE un manque de leadership, aussi bien côté des institutions bruxelloises que côté des Etats-membres. Et il y a eu manifestement un choix délibéré de plusieurs Etats-membres de bloquer toute initiative de la PSDC. » « Contrairement à l‘OTAN, il n’y a pas eu dans l’UE un pays comme les Etats-Unis, ou un groupe de pays, pas même un couple, capables d’assurer à eux seuls in fine le consensus par leur pouvoir d’influence. »

Et l'OTAN avance...

A coté, « L'Otan a du vent dans les voiles. Elle va bien et avance bien. (...) Avec un Secrétaire général dynamique, volontariste, qui a été Premier Ministre au Danemark pendant 7 ans et qui a une vision très politique de son rôle, la barre est bien tenue, fermement ». Elle progresse « par bonds successifs », ce sont les sommets, qui constituent chacun une étape politique très médiatisée. Chaque sommet compte un éclairage stratégique, une initiative capacitaire et une impulsion pour élargir (au moins) les partenariats  : Bucarest en 2008, Strasbourg-Kehl en 2009, Lisbonne en novembre 2010, Chicago en avril 2012. Mais le « principal facteur de légitimité » qui consolide l’Alliance, ce sont les opérations." Afghanistan, Libye et smart défense constituent ainsi les vecteurs du développement de l'Alliance. NB : on peut y lire aussi en creux ce qui manque à l'UE : les sommets avec l'impulsion politique, les opérations, comme facteur de cohésion.

Faut-il perdre espoir ?

Non estime notre auteur. Il y a des potentialités. Simplement « l’UE n’a pas assez pris conscience de ses capacités et qu’elle n’a pas encore su les mettre en œuvre pour devenir un véritable acteur global au service de sa propre sécurité mais aussi pour baliser son avenir. » Quant à opposer une organisation à l'autre, ce serait une erreur, souligne-t-il, « L’OTAN et l’Europe de la défense sont une seule et même matière. Leurs destins sont liés, nous n’aurons pas l’une sans l’autre et il n’y a pas d’alternative. »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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