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Un tournant dans la politique afghane de la France ?

(crédit : DICOD, ministère français de la Défense)

(BRUXELLES2) Quatre soldats tués, 16 blessés (dont 8 graves), le bilan de l'action d'un soldat portant l'uniforme de l'armée afghane à l'intérieur de la base de Gwan (ou Gwam selon les appellations) dans la vallée de Bagram a suscité l'émoi à Paris jusqu'au plus haut sommet de l'Etat.

Présentant ses voeux au corps diplomatique, le président de la République a d'abord voulu rendre hommage aux victimes et rappelé l'objectif de la présence française. « L'armée française est au service des Afghans, contre le terrorisme, contre les talibans » Elle aide « le gouvernement afghan dans sa juste lutte contre les forces de l'obscurentisme, de la barbarie et d'un retour à un climat moyen-âgeux où les femmes et les petites filles étaient martyrisées ». Mais il a aussitôt saisi l'occasion pour infléchir la position française, expliquant avoir « demandé » au ministre de la Défense et au chef d'Etat-Major de se rendre sur place, « immédiatement » pour s'assurer des circonstances de cette mort.

Suspension des opérations de l'armée française

En attendant, a annoncé Nicolas Sarkozy : « Toutes les opérations de formation, d'aide au combat de l'armée française sont suspendues. Le ministre de la Défense nous fera rapport (...) sur ce qu'il aura vu en Afghanistan. Et si les conditions de sécurité pour nos soldats comme les conditions de recrutement des soldats afghans au sein de l'armée afghane ne sont pas clairement précisées, et c'est dur, la France en tirera immédiatement toutes les conséquences.» a-t-il asséné. Et de répéter : « Nous sommes les amis du peuple Afghan, les alliés du peuple Afghan. Mais je ne peux pas accepter que des soldats afghans tirent sur nos soldats. Si les conditions de sécurité ne sont pas clairement établies, se posera clairement la question du retour anticipé de l'armée française en France ».

Ecoutez (extrait de France-info) :

Réaction très mitigée à l'OTAN

A Bruxelles, le secrétaire général de l'OTAN, A.F. Rasmussen en est resté, ce matin, à une réaction prudente. Il a tenu à exprimer ses « condoléances pour les quatre soldats français (...) tués aujourd'hui et (sa) sympathie à ceux qui ont été blessés. (...) C'est un jour très triste pour nos troupes en Afghanistan et pour le peuple français. » «  Ces incidents tragiques sont terribles (...), mais ils sont isolés. » a-t-il tenu cependant à (ré)affirmer. « La réalité c'est que chaque jour, 130 000 soldats de la FIAS  de 50 nations se battent et s'entraînent avec plus de 300.000 soldats afghans. (...) Nous avons le même objectif. Un Afghanistan qui est responsable pour sa propre sécurité. C'est ce que les Afghans veulent. Et nous engagés pour aider les Afghans à réaliser cet objectif. »

La reconnaissance d'un fait

Ce n'est pas la première fois que des soldats portant l'uniforme de l'armée afghane tirent sur des troupes de l'OTAN. Jusqu'à présent, on ne parlait que d'actes isolés, de dérive personnelle (c'est encore d'ailleurs le langage officiel, cf. la réaction de Rasmussen). On disait même les talibans réduits à des actes extrêmes (cf. les propos de G. Longuet il y a quelques semaines encore). Personne n'osait affirmer officiellement que l'armée afghane pouvait ressembler à un panier percé, infiltrable facilement par les talibans, et encore moins reconnaître qu'elle n'était pas aussi fiable que les Alliés voulaient le proclamer. Car ce que met en cause le président français, ce ne sont pas seulement les modalités de recrutement par le gouvernement afghan. Derrière cette attaque, il y a le rythme accéléré donné à la formation de l'armée afghane, et son dimensionnement important, qui ont obligé à faire un recrutement forcé. Ce sont les Américains qui sont normalement chargés aux côtés des Afghans d'examiner et vérifier (screening) le passé des recrues. Un examen apparemment trop léger.

Le retrait, enjeu stratégique ou... de campagne

On peut noter aussi que le président Sarkozy n'a pas fait mention de la prudence et de la tournure habituelles aux notions de retrait d'Afghanistan, en "étroit lien et concertation avec nos alliés" de l'OTAN. Ce qui semble ainsi être évoqué, est plus un retrait unilatéral de certaines opérations menées au sein de l'OTAN. Un aveu certainement d'un certain échec de la stratégie suivie en Afghanistan. Mais aussi un tournant dans la politique française qui a, toujours, été, malgré les pertes d'afficher une présence sans faille dans la coalition internationale présente en Afghanistan.

On ne peut certainement analyser ces éléments sans percevoir le poids de la pression électorale ; plusieurs candidats (à commencer par le candidat socialiste François Hollande) ont demandé un retrait plus rapide et les sondages ne sont pas porteurs pour une opération qui coûte de plus en plus cher, pour le budget de l'Etat comme en termes humains (82 morts français aujourd'hui). Pour le candidat Sarkozy, il s'agit donc de couper l'herbe sous le pied à ses adversaires. Dans son intervention, il a d'ailleurs bien pris soin de préciser que l'engagement de la France avait été décidé « il y a une dizaine d'années » et qu'il n'avait fait que « poursuivre cet engagement ».

Ce revirement n'est cependant pas automatiquement excellent. Si sur le fond, il peut se justifier (la stratégie en Afghanistan est confuse), il désigne encore plus les soldats français comme des cibles, comme un maillon faible de la coalition. Il devrait aussi susciter au sein de la coalition un débat important.

Les ministres de la Défense se réunissent début février au siège de l'OTAN. La discussion pourrait être animée. L'intervention de N. Sarkozy a un mérite : celui de poser la réalité de l'engagement français en Afghanistan, un débat jusqu'alors esquivé.

Lire également :

A lire : Le texte des voeux diplomatiques dans les Docs de B2

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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