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Le jeu trouble des agences de notation, le cercle du surendettement

La perte de sa note du triple A par la France est, d'une certaine façon, méritée. C'est un fait aujourd'hui établi que la France n'a pas les mêmes perspectives économiques (croissance, chômage, stabilité politique...) que sa voisine allemande. La baisse de certains autres pays - notamment de l'Italie - est en revanche plus discutable, notamment en ce qui concerne l'Italie qui a entamé un redressement important. Ne restent ainsi en Europe que quelques pays qui ont un triple AAA : l'Allemagne, la Finlande, le Luxembourg, les Pays-Bas. Ce qui est somme tout assez logique.

L'anomalie britannique

On peut aussi être plus qu'étonné d'une anomalie dans cette baisse généralisée : la note du Royaume-Uni reste fixée à AAA. Ce qui est assez incompréhensible étant données les perspectives de croissance (faibles), le taux de chômage (qui grimpe), comme l'endettement du pays (80%), qui sont tout à fait comparables à celles de certains des pays abaissés. Il y a sans nul doute un prisme nationaliste des agences de notation qui n'est pas à exclure.

L'austérité n'est pas bonne pour l'économie

Mais il est un fait général : l'Europe marquée par des plans d'austérité en chaîne, et des sommets à la pelle, n'offre pas l'image de la sérénité ni de la croissance économique que peut espérer un investisseur. De ce point de vue, les agences de notation jouent leur rôle : de thermomètre, d'avertisseur sonore et d'analystes économiques. On ne peut, somme toute, rien leur reprocher. Même si on ne peut pas être d'accord avec leur jugement. En revanche, on peut s'interroger sur l'autre versant de cette notation.

Un thermomètre infecté ...

L'abaissement de la note n'est pas un simple constat ; il provoque un fardeau supplémentaire pour l'Etat concerné - en renchérissant le coût d'accès aux crédits internationaux, en renforçant donc le poids de la dette générale, en accélérant ainsi la crise. La notation n'est donc pas un simple thermomètre, comme on le qualifie généralement, destiné à prendre la température - ce qui est sain en soi - ; c'est un thermomètre infecté, qui provoque l'augmentation de la température en même temps qu'il la prend. En cela il est nuisible. Dans le projet présenté il y a quelques semaines sur l'encadrement des agences de notation, la Commission européenne avait envisagé d'interdire la notation des pays qui sont sous assistance internationale. Au dernier moment, le jour même de la délibération, elle a reculé et finalement hésité sous le poids conjugué des commissaires libéraux et de certains commissaires venus de pays bénéficiant de l'assistance (grec, espagnol... notamment). Une erreur stratégique qui devrait être réparée rapidement.

L'erreur politique

A cela il faut ajouter une erreur commise par tous les gouvernements. Le corset établi sur les budgets nationaux fait que chaque trimestre amène une nouvelle rigueur, ce qui signifie une baisse de la consommation, une baisse de la circulation de monnaie, une baisse de la croissance et donc une baisse significative des recettes de l'Etat, et donc un alourdissement de la dette. Nous sommes entrés dans une spirale infernale qui ne conduit pas au redressement des économies mais à leur appauvrissement. Et le cercle du surendettement s'abat sur les Etats comme sur les particuliers : trop de dettes, des agios importants qui "bouffent" tout l'argent disponible => endettement supplémentaire. S'il faut réduire la dette, faire certaines réformes, ce ne peut être certainement au pas de charge et en quelques mois. Il faut étaler la charge sur plusieurs années pour aménager un espace de reprise économique, de respiration politique, qui va permettre ensuite de rembourser les dettes et de revenir à la normale.

(*) La France est dégradée d'un cran (AAA à AA+) et perd son triple A comme l'Autriche.  Les notes de Malte, de la Slovaquie (A) et de la Slovénie (A+) sont également abaissés d'un cran. L'Italie et l'Espagne sont dégradées de deux crans (de «A» à «BBB+» pour la première, de «AA-» à «A» pour la seconde). Les dettes du Portugal et Chypre sont reléguées au rang d'investissements "spéculatifs" (BB+).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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