Le service diplomatique : un an mais pas encore toutes ses dents
(Bruxelles2, Bilan 2011) Le service diplomatique européen fête le 1er janvier sa première année d’existence. La naissance au forceps a laissé des traces. Mais le chemin vers une diplomatie européenne semble encore long.
NB : cet article est une version un peu plus longue que celle parue dans la Lettre de l'Expansion en primeur - lundi 19 décembre - © et citations de la Lettre de l'expansion, obligatoire, même pour une courte citation
Une des principales innovations du Traité de Lisbonne, le service européen d’action extérieure (SEAE) est en place. Un petit miracle en soi. Mais il faudra plus que quelques mois pour arriver à un plein résultat. « C’est un travail de cinq à dix ans minimum » n’hésite pas à confier Pierre Vimont, le chef du SEAE et ancien chef de cabinet de Dominique de Villepin au Quai d’Orsay. « 30 ans même ». Les divergences restent grandes entre les Etats membres, la Commission européenne ou le Parlement européen sur ce que doit être la diplomatie européenne. Du côté de la Commission, on ressent le nouvel arrivant comme une « inflexion intergouvernementale » visant à limiter son pouvoir. Les Etats membres craignent, eux, un abandon de souveraineté. Crainte aiguisée par la diminution des moyens dans chaque pays. Les coupes budgétaires en cours conduisent, en effet, nombre de chancelleries à fermer consulats ou ambassades un peu partout dans le monde.
Une année de mise en place
La restructuration, la fusion de différentes administrations (Commission et Conseil), de différents corps (diplomates, techniciens, militaires et États membres), de différentes cultures en un seul… ne va pas aussi de soi. Une bonne partie de 2011 a été consacrée à des tâches administratives : mise au point de procédures, recrutement, organisation des bureaux, etc. Le recrutement de nouveaux collaborateurs a ainsi occupé pas mal de temps, sans oublier les départs et démissions… Le service a reçu « près de 9000 candidatures pour un total de 181 postes disponibles » témoigne David O’Sullivan, le directeur administratif du SEAE.
Un réseau sans égal
La grande force du service diplomatique européen repose cependant sur ses délégations. Il est présent dans 137 pays, en comptant les deux petits derniers (Libye, Sud-Soudan). Ce qui fait de l’Union européenne un des premiers réseaux diplomatiques dans le monde. Mais, entre gérer et contrôler l’attribution des fonds par la Commission – ce que faisaient les délégations de l’UE jusqu’à là - et produire une analyse politique et des rencontres de haut niveau, le propre d’une ambassade, il y a un pas. Pour renforcer ce volet politique, il faut recruter, mettre au point des procédures d’alerte, avoir des systèmes de transmission cryptés, concevoir des télégrammes diplomatiques types. Et, surtout, changer la culture et l’état d’esprit au quotidien. « Certaines délégations ont bien compris. Et nous recevons des télégrammes de haute qualité, chaque jour voire plusieurs fois par jour, dans d’autres, il y a encore… du travail » reconnaît un conseiller de la Haute représentante.
Un organigramme touffu
Le SEAE pêche toujours dans son organisation. Conçu de manière empirique, l’organigramme est devenu illisible. A côté de la structure hiérarchique classique (départements géographiques ou thématique), se sont greffés plusieurs services autonomes (audit, juridique, planification cellule politique…), sans compter les nombreux électrons libres (cf. encadré, ci-dessous). Un « board » est sensé coordonner l’ensemble. Quand tout le monde est là, « on peut arriver à 140 personnes, assistantes compris », commente un agent. Une véritable coopérative ouvrière autogérée. Un « joli foutoir » plutôt persifle un diplomate. D’autant que les courts-circuits sont nombreux. On perd « beaucoup de temps en interne », précise un autre. La circulation d’information entre le SEAE et les Etats membres et à l’intérieur du service reste encore un point faible. Les Etats du Benelux s’étaient plaint formellement à la Haute représentante de ne pas recevoir assez d’informations ; ce point a de nouveau été mis sur la table par la lettre des Douze ministres des Affaires étrangères.
Des relations délicates avec les autres acteurs
Le problème pour le service est de gérer ses relations avec les autres institutions. Le point le plus critique est avec la DG développement, placée sous l’autorité d’un autre commissaire, Andris Piebalgs, et en pleine réorganisation interne également. Selon l’accord signé au Parlement européen, le SEAE élabore les lignes générales des actions ; et c’est à la DG développement de les développer et de les appliquer. Dans les faits, les spécialistes du Développement ne veulent pas entendre parler d’une tutelle du SEAE et font à leur habitude. « Nous avons fait pendant des années sans le SEAE. Ce n'est pas aujourd'hui que l'on va changer. » est le sentiment généralement partagé chez les "DevCo" qui redoutent une mise sous tutelle des projets de développement dans des objectifs politiques plus flous. Une situation effectivement compliquée. Comme le résume un officiel : « On ne peut pas demander à la DevCo de n’être que les comptables des opérations que le SEAE engage. »
Les relations avec le service de Herman Van Rompuy ne sont pas toujours aisées également. Alors que le SEAE est sensé préparer les positions du président du Conseil européen, celui-ci dispose de son propre cabinet qui rédige leurs propres analyses. Van Rompuy est parfois ravi de damner le pion à la Haute représentante, notamment pour recevoir les personnalités étrangères, comme récemment avec Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, ou Medvedev, le président russe. Le principe de "partage" est, en effet, que la Haute représentante reçoive les ministres des Affaires étrangères et le président du Conseil européen ou/et le président de la Commission européenne, les chefs d'État ou de gouvernement. Un principe beau sur le papier mais qui donne des effets négatifs ensuite sur le rôle du Haut représentant. Dans les zones de crise, en effet, il y a des discussions à mener directement avec le chef de l'exécutif et non seulement avec un ministre.
Un premier succès
Le nouveau SEAE compte cependant un premier succès à son actif : les Balkans. En réussissant à engager sous l’égide d’un diplomate britannique du service, Robert Cooper, des négociations directes entre la Serbie et le Kosovo, les Européens ont joué plutôt finement. « L’intégration des services a marché » commente un expert du dossier. Et le déploiement d’une mission de 2000 policiers, juges et douaniers dépendant directement du service diplomatique, a permis de disposer d’un relais sur le terrain. « Avoir une ligne directe entre le chef de mission et l’autorité politique est un atout » reconnaît un militaire.
Le big bang du déménagement
Le SEAE devrait emménager, dans les prochains mois dans un nouveau bâtiment, The Capitals, qui permettra de regrouper la plupart des services dans un seul lieu, alors qu’ils sont aujourd’hui dispersés sur plusieurs sites. Un « big bang » redouté mais aussi espéré. Le succès du service diplomatique dépend aujourd'hui de sa « capacité à faire travailler ensemble des personnels issus de cultures nationales et institutionnelles différentes » souligne un diplomate français. Ce qui constitue son handicap aujourd'hui - l'absence de culture commune - pourrait bien constituer sa force demain - en mixant différentes cultures.
Nicolas Gros-Verheyde
Les électrons libres. Le SEAE compte un certain nombre d’électrons « libres » recrutés intuitu personae. On trouve ainsi l’Espagnol Bernardino Leon, ancien proche conseiller de Zapatero, chargé de la démocratie dans le monde arabe, ou le Grec Alex Rondos, proche de G. Papandréou, qui vient d’être nommé pour la Corne de l’Afrique. La Haute représentante, Catherine Ashton, s’est ainsi fait la spécialité de récupérer, ou repêcher, des proches conseillers de dirigeants européens mis sur la touche. Elle dispose aussi du Britannique Robert Cooper, qui est son conseiller spécial, un des plus anciens du service extérieur européen puisqu’il est entré en 2002. Ou d’Agostino Miozzo, vieux routier de la protection civile italienne, chargé de coordonner la « réponse de crise ». Pour éviter la répétition du vide après le séisme d’Haïti.
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