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L’Européen de Tripoli raconte

(BRUXELLES2) Si ce titre peut être décerné, c'est bien à Bela Marton, ambassadeur de Hongrie en Libye, qui a été pendant depuis janvier le représentant officiel de l'Union européenne à Tripoli et, surtout, le seul ambassadeur "occidental" présent dans la capitale libyenne. Faute de délégation européenne en Libye, c'est en effet la présidence tournante qui assure traditionnellement la représentation et la coordination des Etats membres dans un pays. En Libye, ce travail qui apparait souvent formel est devenu de plus en plus délicat après le début du conflit, et surtout la fermeture, l'une après l'autre, des ambassades européennes, comme de celles des autres pays de l'OTAN (Etats-Unis, Canada, Turquie). Au final, Bela Marton est ainsi resté le seul diplomate en poste dans la capitale durant plusieurs semaines. Il s'est confié à des confrères hongrois, notamment au quotidien Magyar Nemzet, d'un travail souvent difficile dans une capitale confrontée de plus en plus à une pression militaire, de l'art des planques du régime Kadhafi.

La pression de la montagne

Dans la capitale, la pression n'est pas venue tellement de ce qui se passait à l'est, à Benghazi. « Le plus important a été quand les montagnes du nord se sont ralliées à la guérilla. Cela a coupé le cordon ombilical, bloquant la voie à la Tunisie. Tant que cette route fonctionnait, le régime et l'approvisionnement de Tripoli était alors possible. » Quand cette route a été coupée, ce n'était plus possible. Dans Tripoli, d'après ce que l'ambassadeur a pu voir, les dégâts restent limités. « Il y a quelques endroits qui ont d'évidence été dévastés ». Mais tout suggère que « c'est le résultat d'attaques ciblées. Je suis témoin que les frappes aériennes se déroulent avec une précision incroyable, où tout est fait apparemment pour éviter des cibles civiles. » Domaine où le régime de Kadhafi n'est pas avare de ressources ni d'art du trucage, selon notre diplomate.

L'art de la planque de Kadhafi

« En profitant de la pause estivale - raconte-t-il - les hommes de Kadhafi ont installé dans une école vide des canons anti-aériens et tirer sur l'aéroport. Les responsables militaires du régime installaient souvent dans des fermes rurales des stocks d'armes ». Et, quand ils étaient visés, la propagande officielle prenait le relais affirmant que « c'étaient des cibles civiles. Après on pouvait montrer des chèvres, des chameaux, à côté d'une église bombardée ». Les dispositifs militaires étaient planqués. Récemment, par exemple, un « poste de commandement militaire avait été installé dans la villa balnéaire d'un ami de Kadhafi » qui a ensuite été bombardé.

Le danger des groupes armés

Pendant la journée, le personnel local libyen on pouvait marcher dans la ville, « sans trop de souci. Et j'ai pris l'habitude de sortir seul. En revanche, dans la soirée et au crépuscule, pouvaient survenir des problèmes. Il y autant de groupes armés qu'il était parfois difficile de distinguer qui était qui : des uniformes militaires, des policiers, et des soi-disant "volontaires" de la société civile. » N'importe qui pouvait obtenir des armes, des munitions, il suffit de vous inscrire. « On trouvait de telles personnes vêtues d'un simple tee-shirt avec un brassard vert à l'appui de Kadhafi. De telles conditions instables ont facilité le développement d'une nouvelle méthode de vol. Certains groupes arrêtaient les étrangers, saisissaient votre voiture, votre carte de crédit, votre argent et votre passeport. (...) Il était d'ailleurs plutôt conseillé de s'arrêter quand on vous le demandait.»

Un service consulaire d'urgence

Pendant tout ce temps, le « service consulaire a fonctionné comme il pouvait ». Faute de téléphone, les personnes se présentaient directement. Avec souvent de réels problèmes, notamment pour les familles qui arrivaient parce que l'enfant n'avait pas été enregistré sur le registre de naissance et ne disposait pas de papiers pour quitter le pays. En plus de nombreux Hongrois, se sont présentés « des Italiens, des Grecs » et même des non membres de l'UE. Un médecin albanais s'est ainsi présenté. « On l'a aidé. C'est une question de solidarité » explique-t-il.

Mais pas de dialogue politique

Le diplomate entretenait un « contact presque quotidien » avec le Service européen d'action extérieure. Mais il précise : « Nous ne participions pas au dialogue politique. C'était le rôle de Me Ashton, des dirigeants de l'UE, de Ban Ki Moon à l'ONU. Bien sûr, les dirigeants libyens ont cherché à profiter de la situation pour exploiter le potentiel de ce canal. Mais nous leur avons toujours dit que : Notre tâche principale est l'assistance humanitaire » Et que ce n'est pas à nous de discuter de ces questions... Même si des messages ont pu être passés à Budapest, à Bruxelles (Haute représentante) ou à New York (ONU).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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