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L’UE et la Russie créent un groupe de travail sur la sécurité. Détails.

(BRUXELLES2) La Russie et l'Union européenne se rapprochent lentement en matière de sécurité. Mais pas aussi rapidement ni de façon aussi novatrice que le voudraient et l'affirment publiquement les autorités russes. La visite de travail qu'a rendu le général Hakan Syren, président du comité militaire de l'UE, et conseiller militaire de la Haute représentante, à son homologue russe, le général Nikolaï Makarov, à Moscou en fin de semaine dernière, en est la parfaite illustration. Des discussions "satisfaisantes", "intéressantes" déclarent chacun des interlocuteurs, même si les Russes ont davantage communiqué sur la question que les Européens.

Volontarisme russe, discrétion européenne

Pour la Russie, c'est en effet une idée fixe (re)développée depuis plusieurs années. Entre la proposition d'un nouvel accord de sécurité européenne présentée par Lavrov à l'assemblée générale de l'ONU en septembre 2008 (1), repris par Medvedev et développé par Poutine à l'OSCE (2), formalisé en novembre 2009 (3), on ne peut pas dire que les Russes aient manqué de constance. Cependant ce projet est, pour l'instant, resté lettre morte malgré de brillantes déclarations française (4), franco-allemande (5), franco-allemande et polonaise (6). Autant dire que les Russes se saisissent de chaque occasion pour reprendre toute avancée du dialogue comme un acquiescement à leur stratégie. Aussi quand le général Makarov comment à l'issue de discussions avec son homologue européen, Syren : "Nous avons discuté des mesures à prendre en matière de sécurité européenne, notamment de la création d'un groupe de travail chargé de planifier nos actions communes" et qui permettrait "de passer de la théorie à la pratique" dans les relations UE-Russie, tout le monde (en Russie) pense à l'étape suivante : la mise en place du fameux comité de sécurité UE-Russie (6). Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

Du coté européen, on se veut donc très prudent. Nous sommes "dans le domaine de l'établissement de relations à un plan purement technique" explique-t-on ainsi à l'Etat-Major européen. La création d'un tel groupe de travail n'est "pas de l'ordre politique". Il s'agit ainsi à un niveau de colonels ou lieutenant-colonel, d'explorer, de défricher ce qui pourrait être fait ensemble de manière plus approfondie, par exemple en matière de formation, d'exercice, ou d'échange de vues. Au besoin, si des aspects civils sont également envisagés, "les experts de la CMPD (la direction civilo-militaire de la planification et de la gestion de crises du Service diplomatique de l'UE)  pourraient être associés à ces travaux".

Ainsi les Russes sont actuellement invités aux cours du collège européen de Défense et de Sécurité. Mais les Européens ne le sont pas pour les sessions équivalentes en Russie. Même chose pour les exercices européens, où les Russes sont briefés. "Un peu plus de réciprocité serait nécessaire" estime-t-on à Bruxelles. Le groupe de travail aura donc avant tout, "un travail d'exploration, de voies de coopération à proposer ensuite à l'Etat-Major de chaque coté".

La reprise d'un travail interrompue par la guerre en Géorgie

Cette coopération n'est non plus une totale nouveauté. Il y a déjà des réunions au niveau des experts entre l'UE et la Russie. Mais la guerre Russo-Géorgienne en 2008 a gelé ce processus. Ce qui n'a pas empêché les interlocuteurs de se parler. Ainsi la Russie a participé à l'opération Eufor Tchad RCA, en envoyant ses hélicoptères ; ce qui a nécessité force réunions "ad hoc" (7). D'autres discussions ont eu lieu également de façon préliminaire à l'opération de formation des soldats somaliens, EUTM Somalia (8). Et des réunions "de coordination" se déroulent, régulièrement, dans le cadre des opérations maritimes anti-piraterie dans le Golfe d'Aden et l'Océan indien.

Les deux chefs d'Etat-Major militaires s'étaient d'ailleurs déjà rencontrés en janvier pour tenter de mettre au point des procédures plus approfondies de coopération.

Autres accords en vue

On n'est pas encore au stade du comité de sécurité UE-Russie souhaité par certains partenaires (6). Mais on ne peut nier que ce travail "technique" participe d'une approche plus générale et plus politique visant à rapprocher les deux sphères de sécurité. Ainsi un accord-cadre de transmission des informations sécurisées a été signé en juillet dernier entre l'UE et la Russie au terme de longues négociations (9) ; il entre en vigueur en septembre. Quant à l'accord-cadre de participation aux opérations de l'UE avec la Russie, il est toujours en discussion. Plusieurs problèmes restent sur la table, notamment celui de la chaîne de commandement. Les Russes avaient accepté - non sans difficultés - d'être placés sous le commandement européen au Tchad (8). Mais au niveau européen, la réciproque n'est apparemment souhaité, ni possible "traité de Lisbonne oblige" explique-t-on.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire également :
(1) Lavrov prône Helsinki 2, un nouveau traité de sécurité
(2) Les trois principes de Poutine en matière de sécurité européenne
(3) Projet de Traité sur la sécurité européenne (proposition russe)
(4) Sarkozy répond oui à la proposition de Medvedev d'un pacte de sécurité
(5) Le couple Merkel-Sarkozy se réapproprie la sécurité européenne
(6) Un comité de sécurité UE-Russie plaide le triangle de Weimar
(7) L'accord Russie-UE pour les hélicoptères au Tchad
(8) Les Russes dans Eusec Somalia, ce n’est pas, encore, tout à fait conclu…
(9)  L’accord d’échange d’informations « secret défense » avec la Russie finalisé

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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