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La Louise-Marie de retour à la maison. Entretien avec son commandant Carl Gillis

Arrivée de la Louise-Marie à Zeebruges (©NGV)

(A Zeebrugge) Après 4 mois de mission dans l’Océan indien, la Louise-Marie était de retour à son port d’attache aujourd'hui à Zeebruges. Je suis passé leur rendre visite et ai pu m’entretenir quelques temps avec le commandant de la frégate belge, Carl Gillis. Une mission qui a comporté deux faits marquants : la capture de 7 pirates, dont un a été extradé en Belgique. Et le sauvetage de 6 pêcheurs yéménites. Et aussi le fait que dans la zone où était présente la Louise-Marie, « aucun bateau n’a été piraté».

L’Océan Indien, elle connaît la Louise-Marie

6 pêcheurs en situation difficile (Crédit : marine belge / Louise-Marie)

Comme la plupart des bateaux d’Eunavfor, la Louise-Marie a traversé de part en part l’Océan indien. Tout d’abord 35 jours d’accompagnement des navires dans le Golfe d’Aden, le long du corridor  international. Et ensuite 4 missions d’accompagnement des navires du PAM et de l’AMISOM, entre Mombasa et Mogadiscio.

A Mogadiscio, on change d’ambiance

A Mogadiscio « on change d’ambiance » explique le commandant. « C’est la guerre. Pas seulement au loin. Ils tirent sur tout ce qui bouge. » A l’arme légère comme plus lourde. Le Louise-Marie n’ était pas spécifiquement visé. Mais plusieurs coups d’artillerie ont été dans sa direction. Les navires d’Eunavfor ne vont pas jusqu’au port. A l’arrivée des petites vedettes de l’AMISOM prennent le relais pour l’escorte du navire.

Dernière mission : la surveillance des côtes somaliennes « pour repérer les endroits d’où ils partent. Ce ne sont pas vraiment des ports. Des plages. Et nous les attendons au large. ».

Un des RHIB du Louise-Marie (© NGV)

Ce que le commandant Gillis retient de la mission ? « La préparation est essentielle. Nous nous sommes ainsi entraînés plusieurs fois ici (à Zeebruges) à l’accostage et à l’arrestation des pirates. Et dans l’Océan indien, cela s’est déroulé comme on l’avait préparé ».

Point important, nous avons « pu aussi tester de nouveaux équipements comme les nouvelles embarcations rapides, le LRAD (un haut-parleur de haute portée) ainsi qu’une caméra infra-rouge, pour l’observation de nuit ».

L’arrestation de pirates : ou comment mener une enquête judiciaire
à des milliers de km de distance

Après l’arrestation, les pirates sont « interviewés » bord de la Louise-Marie. Et suffisamment d’informations ont été recueillies pour permettre d’ouvrir, à distance, une enquête officielle. C’est notamment selon nos informations (1) les données biométriques recueillies à bord et expédiées à Bruxelles et à Interpol qui ont permis d’établir que le « suspect n°1 » était déjà impliqué dans une attaque, celle du navire belge Pompéi. La juge d’instruction de Bruges, Christine Pottiez, a émis un mandat d’arrêt. « A ce moment – précise Gillis – j’ai pris ma deuxième casquette, et ai exécuté les devoirs judiciaires que me demandait la juge, comme le ferait n’importe quel OPJ en Belgique ». Pour assurer la traduction, les marins avaient à bord un membre de la marine djiboutienne. « Sa présence à bord a été précieuse ».

Une libération qui laisse un goût de désillusion

le commandant du navire, Carl Gillis (© NGV)

La traduction en justice d'un pirate n'enlève pas néanmoins une petite désillusion. Les tractations pour faire prendre en charge les 6 pirates restants ont duré, duré : 20 jours. « Vingt jours durant lesquelles ils nous laissèrent dans l'incertitude. Et la présence de pirates à bord était naturellement une charge supplémentaire pour le navire et l'équipage ». Et Eunavfor voulait récupérer la disponibilité de la Louise-Marie. Finalement la raison militaire l'a emporté sur la nécessité de justice. Et les six pirates ont été relâchés sur une plage de Somalie. Une opération qui n'a pas été sans danger.

Entre déception pour l'équipage de ne pas aller jusqu'au bout d'une mission et soulagement de pouvoir reprendre le cours normal de la mission, Gillis estime que « dans les circonstances actuelles, il n'y avait pas d'autres options. Cependant j'ai hâte de voir quelles leçons on va tirer de ces évènements, quelles initiatives seront prises au plus haut niveau face à l'impunité des pirates somaliens » (cf. entretien avec Jack Lang).

En finir avec un mythe du pêcheur pauvre

Au final pour le commandant belge, il en est convaincu : « la piraterie ne va pas disparaître. Il faudra toujours une présence militaire pour assurer la sécurité des bateaux, surtout les navires les plus faibles ». Et il faut aussi « en finir avec le mythe du pêcheur pauvre qui part à l’assaut de bateaux. Certains ont même un passé militaire. Ce sont des criminels tout simplement. »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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