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Les « priorités Défense » de la présidence française, Hervé Morin

A la veille de la Présidence française de l'UE, à Paris, Hervé Morin, le Ministre de la Défense français a exposé - à quelques journalistes spécialisés sur les affaires européennes (dont j'étais) ses priorités. Un entretien intéressant. Jugez-en…

Une Europe à 27 Etats membres, porteur...

J’ai pu rencontrer tous mes homologues (dans leur pays ou lors de rencontres internationales). De cette consultation générale, j’en sors optimiste. Contrairement à ce qu’on croyait, les pays qu’on range habituellement parmi les Atlantistes sont  aujourd'hui les plus en faveur de la politique européenne de la Défense. Et le consensus
dégagé sur nos propositions est réellement porteur.

L’Europe de la défense et l’Otan, complémentaires...

La position de Nicolas Sarkozy sur l’Otan a été la clé d’une évolution. Tant que l’Europe de la défense était considérée comme un moyen de contourner l’Otan, nous n’avancions pas. Par ce geste, nous avons levé une partie du doute que certains Etats avaient sur l’Europe de la défense. Au fil de mes rencontres, avec mes homologues, je sors convaincu que, pour la plupart de nos partenaires, l’Alliance atlantique est le système de sécurité qui convient, qui ne coûte pas cher, et a fait ses preuves depuis 1949. Ce qui, pour eux, vaut tout le reste. Cette idée de complémentarité est donc fondamental.

Les capacités militaires, insuffisantes ?...

Nous devons renforcer la mutualisation de nos moyens. Il y a la mise en place d’une maintenance en commun de l’Airbus A400M avec le Royaume-Uni (à 100%) et l’Allemagne (de façon plus partielle), l’Espagne vient de nous rejoindre. C’est important pour nous de garder ce potentiel en commun pendant 40 ans et de ne pas avoir de divergences au fil des années (NB : comme pour le Transall). On veut aussi faire émerger une flotte aérienne commune européenne, comme pour le C17, avec un droit de tirage pour les pays qui participent.

Coté aéronaval, pourquoi ne pas avoir en permanence un porte-avions en mer qui reste sous l'autorité opérationnelle du pays propriétaire mais est mis à disposition au niveau européen (le tout formalisé si nécessaire dans un traité) ? Il y a aussi la mise en place d’un « trust fund » pour rénover la flotte des hélicoptères, notamment ceux d’Europe centrale, et ainsi dégager des capacités supplémentaires. Enfin, avec le lancement du dispositif (satellitaire) post-Hélios, et huit pays qui y participent, on peut avancer sur des thèmes comme l’espace, un système européen d’alerte avancée ou de détection de missile.

L’Agence européenne de la Défense, à renforcer...

L’Agence doit trouver un souffle et un élan nouveaux, avec le lancement de programmes de recherche, qui nous mène progressivement vers des programmes communs européens, comme la sécurité en milieu urbain, les hélicoptères lourds… Il est évident aussi qu’elle doit bénéficier d’un budget pluriannuel. L’Europe dépense sept fois moins d’argent pour la recherche et le développement que les Etats-Unis. Et ces dépenses sont assurées à 70% par la France et le Royaume-Uni. Il y a là un risque de gap technologique considérable. Nous avons donc intérêt à mutualiser nos moyens, déjà plus faibles que les moyens américains.

La mutualisation des forces, obligatoire...

Nous avons plusieurs forces multinationales. Mais toutes ces forces ne sont quasiment jamais mises en œuvre. Nous avons, par exemple, un Etat-major à l’Eurocorps, de 1000 hommes, équipés, entraînés, qui ne demandent qu’à partir, et ils ne partent quasiment jamais… Cela aurait pu être un formidable Etat major de force pour le Tchad. Il faut donc pouvoir utiliser plus facilement ces outils, plus naturellement, lors des générations de force. Autre problématique : les groupements tactiques GT1500 (Battle group), il faut revoir les règles d’engagement, qui sont telles aujourd’hui que ces groupes ne pourront jamais être utilisés. Il faut les assouplir.

La stratégie européenne de défense, une partie de notre "conscience"...

Ce n’est pas seulement un exercice intellectuel, c’est une partie de notre conscience commune européenne. C’est donc un exercice majeur. Nous avons un avenir commun, nous devons assurer notre sécurité en commun. Face aux menaces qu’on a définies, on doit en tirer les conséquences sur les moyens et capacités.

La situation a changé par rapport à 2003. Nous étions 15 Etats membres et, désormais, nous sommes à 27. Il y a des risques supplémentaires : de prolifération nucléaire, de cyber-attaque (un vrai risque aussi sur les personnes humaines, par exemple pour les hôpitaux), des réseaux terroristes puissants. Nos cités sont ainsi plus vulnérables aujourd'hui que du temps de la guerre froide.

Un Centre de commandement européen, une question de "cohérence"...

Nous ne visons pas à créer un centre de commandement d’opération (OHQ) comme à l’Otan. Il s’agit simplement d’avoir une cinquantaine d’officiers, capable de mener une opération robuste mais modeste. Il n’y a pas de doublon avec l’Otan. Car l’Europe est, parfois, seule à même de faire certaines missions, en Afrique par exemple… Nous devons tout faire simplement pour qu’elle soit en capacité de le faire. Avoir cinq OHQ, comme actuellement, a non seulement un coût. Mais cela présente aussi des difficultés pratiques. Il faut équiper l’OHQ, faire venir les hommes, ce qui prend nécessairement un minimum de temps. Il faut, ensuite, que chacun acquiert l’habitude de procéder ensemble. Et le jour où l’opération se termine, chacun se disperse, et on perd une partie de la compétence acquise en commun. Alors que ce serait si simple d’avoir un OHQ à Bruxelles, et moins cher… Enfin, quelle est la cohérence avec les « Battle groups » ? L’Europe a une force de réaction rapide, capable de partir en quelques jours. Mais elle n’a pas le centre de commandement, mobilisable dans le même temps.

Conséquences du Non irlandais sur les priorités de la Présidence de l'UE, cela "change le climat"...

Les priorités françaises ne sont pas liées au traité de Lisbonne. Certes il n’est pas possible de faire la coopération structurée. Mais on ne peut pas dire que tout s’arrête. C’est davantage le climat qui change. Alors il y a deux façons de réagir : soit c’est la déprime, soit, au contraire, on se dit qu’on peut faire le maximum. C’est dans ce dernier état d’esprit que je suis.

Si le traité de Lisbonne entre en vigueur, contenu de la Coopération structurée permanente...

Pourquoi pas une Délégation générale de l’Armement au niveau européen, un programme de renforcement des capacités et de recherche commun, une organisation des forces en commun. Mais cette coopération ne marchera qu’entre pays qui ont la même ambition et parlent le même langage. Ce ne doit pas être une structure supplémentaire mais une ambition supplémentaire.

L’Europe, une conviction...

Je suis un Européen convaincu. On peut croire que l’Europe ne va pas assez vite. Mais quand on regarde en arrière, même dans les rangs des Européens les plus convaincus, on ne parlait pas il y a quelques années d’Europe de la défense, juste de l’UEO, comme d’un bras armé.

(article paru également dans Europolitique le 2 juillet 2008 - crédit photo : NGV  / Bruxelles2 - intertitres du rédacteur)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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