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Ana Gomes revient de Benghazi. Témoignage

(BRUXELLES2) L'eurodéputée socialiste - rapporteur sur l'accord Libye-UE - Ana Gomes était à Benghazi et alentours du 17 au 20 mai. Elle a rendu compte de sa visite à quelques journalistes (dont 'B2') et aux députés en leur faisant parvenir un rapport.

Précédant de peu la visite de la Haute représentante, l’eurodéputée était en fait la première représentante politique à rendre visite au CNT. Elle a ainsi pu rencontrer plusieurs responsables politiques de premier plan comme Jalili le président du CNT, F. M. Baja qui préside le comité politique et S. El Daghili, son homologue du comité humanitaire, ainsi que plusieurs des responsables des ONG, organisations internationales ou ECHO présents sur place.

Son "rapport" est intéressant car il sort des canons un peu policés des habituels rapports de mission. Elle n'hésite pas ainsi à mêler ce qu'elle a vu sur place, son propre commentaire et ses impressions personnelles, à des relations de discussions obtenues sur place.L'eurodéputée en est convaincue. L'Europe doit s'impliquer pleinement dans la Libye nouvelle. « C'est dans le propre intérêt de l'Europe que ses valeurs,ses intérêts soient défendus... la fin de l'oppression, le soutien à la démocratie à l'Etat de droit et aux droits de l'homme ».

Le long de la Route

(crédit : Ana Gomes)

De la frontière égyptienne à Benghazi, l’atmosphère reste « calme », écrit-elle. Les gens sont au travail, les marchés sont fournis en légumes et fruits, les pompes à essence sont approvisionnées. « Même les feux rouges sont respectés ».

La première trace du côté exceptionnel de la situation sont « ces checks points improvisés, placés sur toutes les routes et les entrées de villes. (Mais) on peut s’interroger sur leur efficacité, car ils sont tenus par des volontaires pas entraînés, peu équipés et un peu casse-cous ».

Ce qui ne fonctionne pas, c’est la police et le système judiciaire. « Beaucoup de tribunaux et de stations de police ont été brûlés », symboles du système Kadhafi. Malgré cela « la criminalité a diminué ». Autre service qui ne fonctionne pas les écoles. Il y a un débat sur leur réouverture ou non. Pour l’instant, c’est cette dernière option qui prévaut motivée par la nécessité de revoir d’abord le curricula et sur la situation de guerre.

Merci l'Europe. We love Sarkozy !

Le besoin de reconnaissance internationale est exprimé partout, des drapeaux de ceux qui les soutiennent (américain, français, britannique, y compris ceux de l’UE et de l’OTAN). L’eurodéputé, socialiste, a reconnu être surprise mais assez fière de se voir saluer par des cris « We love Sarkozy ». « Et je ne partage pas ses idées loin de là » a-t-elle expliqué (lors d'un petit point de presse au Parlement à son retour).

L'ouverture d'une délégation de l'UE est ainsi perçue comme un grand encouragement. Et l'eurodéputée recommande aux Etats membres de garder ou d'envoyer une présence régulière à Benghazi, notamment le personnel accrédité à Tripoli (qui a quitté le pays).

Sur la ligne de front

(crédit : Ana Gomes)

Mais l’eurodéputée ne s’est pas contentée de rester dans la ville, elle est allée sur la « ligne de front », dans les plaines de désert à l’ouest d’Adjabia. Les deux forces en présence peuvent se voir. Confirmant les autres témoignages, les rebelles sont jeunes, équipés de façon assez pauvre (j’ai vu des combattants avec sandales et armes artisanales) mais hautement motivés. Le matin même des combats avaient eu lieu. Et 10 prisonniers ont été faits, plusieurs d’entre eux étant des étrangers.

Pour l’eurodéputée, les règles du droit international sont respectés. « Le CNT a donné des instructions pour que les règles du droit international soient respectées. » Et cela semble être le cas. Le CICR a « confirmé avoir pleinement accès aux prisonniers de guerre – contrairement à Tripoli, où le pouvoir refuse de donner les conditions basiques d’entretien avec les prisonniers » (entretien seul à seul, régulier). A Adjabia (qui est maintenant aux mains des rebelles), « il y a beaucoup de bâtiments détruits. Malgré tout, quelques habitants reviennent. Et le problème des munitions non explosées est un problème crucial. »

La situation ailleurs, floue ou difficile

Sans aller sur place, l'eurodéputée a recueilli certains éléments sur la situation ailleurs. A Tripoli, elle est de plus en plus difficile. Des jeunes manifesteraient la nuit, prenant de grands risques d'être tué par les loyalistes. Dans le sud-est, près du Soudan, « ce n’est pas très clair qui contrôle Koufra, ville clé placée sur la route de la frontière ». Des incidents impliquant le JEM soudanais (rebelles du Dargour) opérant pour le compte des forces de Kadhafi est relaté. Enfin, pour la députée, le soutien procuré au régime à travers la frontière algérienne est "inquiétant".

Evaluation de la situation politique

Pour la députée, il n'y a pas trace à Benghazi d'un fondamentalisme religieux. Au contraire. Ils récusent également toute collusion avec Al Qaeda, estimant que « plus longue sera la sortie de Kadhafi, plus cela donnera de chances aux organisations terroristes d'infiltrer le pays, particulièrement par les frontières sud (NB : Tchad ou Niger) ou algérienne ». Même chose pour l'immigration.

Le rapport décrit aussi les faux semblants de certains pays : le double jeu mené par le Turquie, l'intermédiaire de la Russie tentant de négocier une extraction de Kadhafi à des conditions d'échapper à un procès en Libye (acceptable puisque maintenant il y a les poursuites internationales) et de garder sa fortune (condition rejetée par les rebelles).

Ce que demandent les Libyens, ce que peut faire l'Europe

Outre ce besoin de reconnaissance internationale, ce qu'ont demandé plusieurs interlocuteurs à l'eurodéputée, « ce n'est pas une assistance économique, uniquement l'accès 'à la richesse qui appartient à leur nation ».

L'eurodéputée estime qu'EUFOR devrait être déployée pour assurer la sécurité aux frontières et veiller sur terre comme sur mer au maintien de l'embargo. Une coopération en matière de réforme de la sécurité et de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) est également une priorité d'autant que de très jeunes ont été impliquées dans des tâches de sécurités improvisées.

Enfin, une assistance doit aussi être fourni en matière de soutien politique, de partage d'expériences des Etats membres en ce qui concerne les lois électorales, la réforme constitutionnelle, la construction d'institutions démocratiques, y compris la réorganisation des tribunaux et de la police, et la formation de ses personnels.

Vous pouvez le télécharger dans la section « les docs de B2 ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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