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A. Miozzo : L’Europe doit apprendre à réagir en temps réel face aux catastrophes

(crédit : Protection civile italienne - archives B2)

(B2 - Exclusif) 15e étage du bâtiment Charlemagne. Là siège le « top management » du service diplomatique. Peu de cartes au mur. Pas de décorum ou de grandes salles imposantes comme on en trouve dans la plupart des ministères des Affaires étrangères en Europe. Des couloirs plutôt anonymes, des photocopieuses, des bureaux fonctionnels. Et surtout des cartons de déménagement empilés dans les coins... La diplomatie européenne emménage. Dans un de ces bureaux, j’ai rendez-vous avec Agostino Miozzo, tout nouveau directeur du Département « coordination opérationnelle et réponse de crises » au service diplomatique.

Un poste qui n’était pas prévu dans la première présentation du service diplomatique, mais qui s’est imposé au vu des premières expériences (notamment de la réponse européenne à Haïti qui n’a pas été jugée à la hauteur du nouveau service). Le Dr Miozzo est passionné par cette nouvelle mission qui l’éloigne sans doute un peu du terrain et de sa lumineuse Italie.

Le nouveau directeur m’a résumé sa mission à l’aide de plusieurs schémas : ce qui existe aujourd’hui (un certain nombre de structures qui agissent dans leurs différentes sphères), ce qui risque d’exister en de catastrophes majeures (le chaos), et ce qui peut exister dans une situation de crises (une salle de crises réunissant tous les acteurs).

Car l’Europe a quasiment tous les instruments pour répondre à une crise majeure dans le monde. Elle intervient souvent. Mais parfois en désordre. Et, surtout, elle ne le sait pas et ne le fait pas savoir.

L’Union européenne a déjà plusieurs cellules de crises, j’en ai compté une petite dizaine, ça ne suffit pas. Vous voulez en rajouter une autre ?

— Effectivement. On a, au minimum, une dizaine de cellules de crise (1). Mais, à Noël dernier, par exemple, il y avait une seule personne de permanence pour toutes les institutions... Ce n’est pas tenable. La première chose à faire – et ce que je propose - est de renforcer cette structure de permanence. Il nous faut non pas une personne mais une équipe prête à réagir, présente dans les locaux, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, 365 jours sur 365.

Il faut changer la culture du temps,
apprendre  à réagir en temps réel

Une personne de permanence ne suffit pas ?

— On doit comprendre que le temps de la réaction de la structure doit être le temps de la réaction de la catastrophe. Nous ne pouvons pas être au temps de la comitologie. Nous sommes dans le temps réel. Il faut également comprendre que la catastrophe, surtout de grande ampleur, n’arrive pas au meilleur moment, quand tout le monde est là, mais au pire moment. Elle ne respecte généralement pas le week-end ou les vacances. Quand celle-ci arrive, une personne ne suffit pas. Et on ne peut pas attendre des heures que les autres arrivent en renfort. Le temps de l’action se compte en minutes, au maximum en heures, pas en jours.

Qu’est-ce que cela signifie ? Faut-il changer toute la structure de gestion de crises ?

— Non. Ce n’est pas nécessaire. Nous avons une structure magnifique. Nous avons des capacités, des compétences extraordinaires qu’on ne soupçonne pas. Nous avons ECHO (l’Office humanitaire) qui a une expérience de 20 ans dans l’aide humanitaire, la MIC pour la protection civile, les militaires à l'Etat-Major… Dans les différentes directions générales de la Commission, on trouve des vrais spécialistes, expérimentés, sur quasiment tous les sujets. On ne doit donc pas réinventer l’eau chaude. Il n’est pas nécessaire de créer une capacité gestionnelle de plus. Il faut simplement aider cette capacité à réagir en temps réel, permettre au Haut représentant et vice-président de la Commission de réagir en temps réel, sans dupliquer les compétences déjà existantes.

Une plateforme de crise
où réunir tous les acteurs

Qu’est-ce qui manque alors ?

— Pas grand chose. On a besoin à la fois d’une grande coordination interne et d’une bonne coordination sur place, d’une coordination interne et avec les États membres. Une plateforme de crise où réunir tous les acteurs concernés, sous l’autorité de la Haute représentante. Cette plateforme doit être soutenue par une salle de crise opérationnelle. On doit aussi donner une visibilité à l’action européenne sur le terrain.

Coordonner, c’est bien. Mais qui va le faire ?

— C’est toute la question. Sur le plan théorique, tout le monde est d’accord pour la coordination. Cela devient effectivement plus difficile quand on devient coordonné. Si dans la vie ordinaire (hors catastrophes), on se coordonne nécessairement, chacun reste maître de ses décisions, les chaînes de commandement sont différentes. Et le temps est lent. Dans la crise, il faut autre chose pour être efficace. Cela devient donc une structure avec une chaîne de commandement, une ligne décisionnelle précise, quasi-militaire. On n’a pas le temps de la discussion administrative. Il faut prendre des décisions immédiates.

Pourquoi ne pas avoir un simple « plan de crise » ?

— Cela ne suffit pas. La difficulté est qu’on ne peut pas créer cette chaîne de commandement dans l’urgence. Elle doit être connue à l’avance. Chacun doit savoir ce qu’il doit faire et ce que peuvent faire les autres. La structure de gestion de catastrophe doit donc être créée dès le début. Nous devons avoir une « crisis situation room » où chacun se retrouve le moment venu. Il faut changer la culture du temps.

Votre plus grand ennemi, c’est le temps si je comprends ?

— Oui, c’est la montre, mon gros problème (il me montre sa montre). Cela peut sembler ridicule. Mais nous devons être capables de réagir dans l’heure. Nous devons avoir dans l'heure qui suit la première réunion de crise, et pas moins de 3 à  6 heures avant la décision et le départ des premiers moyens, à toute heure du jour... ou de la nuit. Et organiser une communication à la presse dans la foulée. Nous vivons dans un temps où les GSM sont partout. Même le bédouin dans le désert a un portable avec un appareil photo. Le temps où l’information passe dans les médias s’est raccourci. Et donc notre temps de réflexion et de décision. Si la Haute représentante est informée après CNN, on a perdu, elle doit être informée (au maximum) au même moment.

N'allez-vous pas refaire le travail d’ECHO, de la MIC d’autres structures ?

— Non. Chacun va continuer à faire son travail, comme aujourd’hui. Nous ne sommes pas là pour tout coordonner. La catastrophe « ordinaire », qui ne concerne qu’un seul pan de l’activité européenne (une famine dans un pays, des feux de forêts...), nous n’interviendrons pas. Ce ne sera qu’en cas de méga catastrophe qui oblige plusieurs secteurs à travailler ensemble que nous interviendrons. Cela n’empêchera nullement les États membres de continuer à faire des actions en bilatéral, s’ils le souhaitent, et comme ils l’ont déjà fait dans le passé. Mais on évitera des doublons, on coordonnera mieux notre action, en sachant qui intervient où.

Vous estimez que c'est le bon moment ?

— Oui. C'est le moment. Les compétences sont là, les fonctionnaires sont préparés. Lady Ashton est totalement convaincue de cette nécessaire. J'en ai aussi parlé aux ambassadeurs du COPS (le comité politique et de sécurité), par exemple. Ils sont tous d'accord. Il y a un consensus politique actuellement.

Optimisation, non-duplication, réactivité...
ce sont les mots-clés aujourd'hui

Dans quelles situations peut se déployer cette cellule de crise ?

— C’est la catastrophe d’Haïti que l’on peut prendre en exemple. Dans ces situations d’urgence extraordinaires, on doit mettre ensemble les capacités, les compétences consulaires, les forces armées, les structures de sécurité… C’est ce genre de situation complexe qu’il faut apprendre à gérer. On ne peut plus tolérer d’avoir plusieurs missions de l’UE qui partent dans le même pays, pour faire à peu près la même chose, sans réelle connexion entre elles (2), un avion qui parte à moitié plein en situation de catastrophe ou plusieurs hôpitaux de campagne établis au même endroit alors qu'il y a d'autres besoins ailleurs. On est dans de grandes difficultés financières dans les États membres. Il faut rationaliser notre effort. Optimisation, non-duplication, réactivité, ce sont les mots-clés aujourd’hui.

Vous parlez de méga-catastrophe, cela vous semble-t-il probable ?

— Malheureusement oui. Au rythme actuel, on connaît une accélération des catastrophes. Et nul ne peut prendre le risque de dire qu’il n’y aura rien dans les années à venir. Il suffit de regarder en arrière dans les dernières années. Tchernobyl en 1986… Des conflits armés en Irak, Somalie, Yougoslavie, Rwanda, Afghanistan… Des catastrophes naturelles comme l’ouragan Mitch ou Katrina, le Tsunami, la marée noire dans le Golfe du Mexique sans parler du volcan islandais. Imaginez si cela avait duré six mois, on devait totalement modifier notre mode de vie. Imaginez une marée noire en mer du nord ou en Méditerranée...

Vous parlez de visibilité, est-ce une nécessité également ?

— La perception a changé. On attend de l’Europe qu’elle intervienne. Et qu’elle le montre. Les contribuables attendent le retour de ce qu’ils donnent. L’Europe est le premier contributeur à l’ONU, en matière de développement ou en matière humanitaire. Il faut donner au citoyen le sentiment que l’Europe est toujours là. Et, je peux en parler d’autant plus librement que j’agissais jusqu’à aujourd’hui sous le chapeau bilatéral italien, les secouristes sont prêts. Ils sont fiers d’arborer à la fois leur emblème national comme l’emblème européen sur leur uniforme quand ils interviennent. Alors... pourquoi hésiter. Il faut renforcer cette double fierté d’être national et d’être européen.

Lire également :

  1. Une dizaine de structures peuvent être citées comme : la salle d’opération d’ECHO et la MIC, la 'plateforme de crises' pour les délégations de l’UE, le 'centre d’opération' de Frontex, le service de soutien maritime à l’Agence de sécurité maritime, la cellule d’urgence à la DG Sanco, la 'structure de veille radiologique' à la DG Énergie, la 'secure room' de la DG Affaires intérieures mobilisable en cas de terrorisme, le bureau de permanence de la DG Admin. Sans compter les structures de la défense comme le SitCen et les « watchkeapers » à l’état-major de l’UE (EUMS).
  2. D’après les informations obtenues, par ailleurs, il semble en effet que les différentes structures européennes parties pour Haïti (ECHO, MIC, SitCen…) il y a un an, l’ont fait au départ sans vraiment de coordination…

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “A. Miozzo : L’Europe doit apprendre à réagir en temps réel face aux catastrophes

  • Le GIE ACCESS (www.gieacces.eu) travaille sur l’implantation d’une base aérienne dédiée à la premiere urgence sur le site de l’ancienne BA132 à Colmar Meyenheim (entre France / Allemangne et Suisse). La rationalisation des efforts peut plus facilement être faite par des entreprises privées européennes que par une agence Europeenne.

    • C’est tout l’enjeu des dix prochaines années: la création de partenariats publics privés dans le domaine de la sécurité civile et plus généralement de la réponse aux crises. Le soutien logistique et technique par les opérateurs privés, des forces vives de réponse et de commandement par les hommes de la sécurité civile (volontaires 85% et professionnels), la tutelle, le pilotage et le financement par l’UE via les états membres (service diplomatique UE, finance et marché, ECHO) par le biais du CERU (centre européen de réponse d’urgences).
      2011 est l’année européenne du volontariat, plusieurs projets de PPP sont prêts tant en Alsace sur la BA132 de Colmar qu’en région PACA (provence alpes côte d’Azur) autour de la base de Salon et Marignane.
      La France a les capacités d’offrir un premier “porte-avions” européen test dans la continuité de l’EUFFTR (european union forest fire tactical reserve). Ces bases pourraient être reproduites à volonté à l’échelle européenne sans acquisition spécifique supplémentaire mais simplement en mutualisant et en coordonnant l’existant.
      Tout est prêt : ressources humaines, techniques, logistique, disponibilité et finances avec le FSUE et autres budgets de réponse aux crises dans l’urgence (c.f. Haïti). La validation appartient maintenant aux décideurs européens du parlement et de la commission pour qu’une réponse aux crises clairement affichée sous drapeau européen soit visible par tous. Oui! les hommes de l’urgence sont prêts à porter les couleurs nationales et européennes dans la réponse aux crises. La décision n’est plus technique…

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