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La traduction en justice des pirates. Bilan de printemps (Maj)

Arrestation de pirates suspects par la frégate finlandaise Pohjanmaa, avril 2011 (crédit : marine finlandaise)

(BRUXELLES2 / Exclusif) Après plusieurs mois où quasiment aucun pirate somalien n'a été remis à la justice, par les forces anti-piraterie déployées dans l'Océan indien, on assiste à une reprise très nette des traductions en justice ces dernières semaines, selon le bilan que j'ai pu en dresser. La remise à la justice des pirates est à la fois le "nerf de la guerre" - si l'on peut reprendre cette expression - et le fondement de cette action internationale. Elle ne doit pas donc être sous-estimée.

L'action déterminée de l'Inde consistant à systématiquement traduire devant les tribunaux les suspects capturés par ses forces au large des eaux indiennes y contribue. Mais pas seulement. On assiste aussi à des traductions en justice de pays qui, auparavant, restaient passifs (Emirats Arabes Unis, Malaisie). Et à deux nouveautés : le rapatriement de pirates qui ont tiré sur les forces militaires (Pays-Bas) ou l'extraction d'un suspect, accusé d'avoir voulu négocier une rançon (Etats-Unis). En revanche, les procès au Kenya continuent toujours de patiner.

Et plusieurs Etats extérieurs à la zone refusent systématiquement de prendre en charge les suspects arrêtés. Ce qui constitue indéniablement une entorse à la compétence universelle internationale et fait chuter le taux de traduction en justice. En sachant que plusieurs des suspects libérés récidivent, cela concourt, plutôt qu'il n'entrave, le développement de la piraterie.

La moitié des pirates transmis à la justice ont déjà été jugés

Au total, depuis la résurgence de la piraterie dans l'Océan indien (en 2008) environ 2000 suspects ont été arrêtés, 777 pirates ont été remis en justice et 305 ont déjà été condamnés à des peines de prison tandis que 55 autres étaient libérés par ordre d'un juge. Près d'un pirate sur trois a ainsi été remis à la justice. Ce qui n'est pas merveilleux. Mais pas négligeable non plus.

Presqu'un pirate sur deux a donc été jugé et condamné. Ce qui est plutôt un bon résultat. Les peines sont généralement comprises entre 3 ans et 20 ans de prison avec quelques exceptions (5 peines de prison à vie aux USA et une à 34 ans de prison, ainsi que 7 peines de mort au Yémen).

On peut noter que du coté des forces anti-piraterie de fortes différences tant dans le taux de traduction en justice (nombre de pirates remis à la justice rapporté au nombre de pirates arrêtés) que dans le taux de perte (nombre de pirates décédés rapporté au nombre de pirates arrêtés).

Traduction en justice : Bon score de la France, des forces engagées à titre national, et d'EUNAVFOR, mauvais score de l'OTAN.

On peut noter cependant de fortes différences entre les différentes forces anti-piraterie tant dans le taux de traduction en justice (nombre de pirates remis à la justice rapporté au nombre de pirates arrêtés) que dans le taux de perte (nombre de pirates décédés rapporté au nombre de pirates arrêtés).

Du coté de la traduction en justice, on peut remarquer l'excellent score pour la France - quand elle intervient sous pavillon national - un score qui tient à la traduction quasi-systématique des pirates pris vers le Puntland. Une position à nuancer par deux éléments : depuis mars 2010, aucune remise à la justice n'a été signalée. Ce qui est étonnant vu la présence continue des navires français dans la région. Cela peut vouloir dire aussi que plusieurs pirates arrêtés n'ont pas été poursuivis (donc pas signalés). La France est le seul pays à ne pas avoir condamné ou libéré les suspects qu'elle avait arrêté voilà maintenant 3 ans pour le Ponant, deux ans pour le Tanit. Cela fait beaucoup.

On peut noter également le bon score des forces engagées à titre national comme des forces locales.  L'Inde avec 143 remises en justice - dont 120 effectuées principalement ces derniers mois à sa propre justice - contribue pour une large majorité à l'excellent score du mode "national" d'action (*). Elle est suivie par les Etats-Unis (avec 26 suspects traduits en justice sur son territoire, les USA engagés dans la CTF ayant remis en outre 33 suspects au Kenya) et par la Russie (20 suspects confiés au Yemen).

Enfin, on remarque un score de poursuite de près de 30% pour Eunavfor - grâce aux accords passés avec le Kenya et, surtout les Seychelles maintenant, et aux rapatriements dans les pays de prise (Allemagne, Pays-Bas, Belgique).  Le bon score de la CTF est surtout réalisé grâce aux accords bilatéraux des Américains et Britanniques avec le Kenya. Le mauvais score des forces de l'OTAN (15%) pose un sérieux problème à l'Alliance atlantique qui est ainsi condamnée à relâcher les suspects arrêtés par ses navires.

De nouveaux pays ont pris en charge des pirates pour les juger mais quelques pays restent réfractaires au traitement des pirates, ce qui fait chuter le taux de traduction en justice

Au chapitre des destinations, on peut constater que le Kenya n'accueille plus de suspects depuis septembre 2010 (pour le MT Sherry). Les Seychelles accueillent des suspects au compte-goutte mais régulièrement qu'ils soient arrêtés par des forces multinationales ou par ses propres forces (lire: Action éclair des gardes côtes seychellois pour récupérer un navire de pêche). Quant à l'accord avec l'Ile Maurice, il n'est pas toujours pas signé. Tandis que les Maldives ont toujours une capacité très limitée d'accueil.

En revanche, outre le Puntland, le Somaliland et le Yemen qui traduisent en justice les pirates arrêtés par leurs forces, cinq nouveaux pays riverains de l'Océan indien ont également commencé à traiter des pirates arrêtés par leurs propres forces : Tanzanie (septembre 2010), Madagascar (Zoulfecar, février 2011), Emirats arabes Unis (Mv Arrilah, avril 2011), l'Inde (Prantalay 11 et 14, Vega 5, Al Morteza, janvier à avril 2011) et l'Iran (février 2011).

Hors de l'Océan indien, trois nouveaux pays outre-Mer ont traité des pirates : Belgique (Pompei, novembre 2010), Corée du Sud (Samho Jewelry, janvier 2011), Malaisie (MT Buga Laurel, janvier 2011). Et les Etats-Unis continuent d'accueillir différents suspects quand leurs intérêts (personnels ou matériels) sont en jeu.

En revanche, plusieurs pays refusent, quasi-systématiquement d'accueillir des suspects arrêtés par leurs forces (Australie, Russie, Danemark, Grèce, Royaume-Uni, Turquie...) ou par d'autres alors que leurs intérêts directs (nationalité des marins, pavillon ou nationalité de l'armateur) sont en cause.

Le taux de perte diminue quand l'action est multinationale

Selon mes sources, il y a eu au moins 102 pirates tués lors d'une action de piraterie, soit par défense des forces à bord, soit le plus souvent lors d'une action de reprise du bateau. Ce taux de mortalité des pirates augmente quand l'action est accomplie sous le pavillon national ou par les riverains (respectivement 17% et 5% à comparer aux 2% de l'OTAN et 0,5% d'EUNavfor ou CTF). A cela trois explications. D'une part, les règles d'engagement négociées par les forces multinationales prévoient une succession d'actions, avant le tir, limitent d'autant la riposte. En second lieu, L'action de certains pays (Inde, Russie) ne s'embarrasse apparemment pas trop de complication. Enfin, les actions les plus offensives, de libération par la force d'un navire par exemple, donc avec le plus de risques, sont conduites sous pavillon national (et non pas sous pavillon multinational).

Attention ! La statistique n'est pas parfaite...
Ces statistiques souffrent de plusieurs lacunes.
1. On connait souvent mieux le pirate quand il est traduit en justice que quand il est relâché.
2. Le décompte des forces multinationales est souvent mieux fait (pas tout le temps !) que celui de forces locales. Il est ainsi difficile de vérifier le nombre de suspects arrêtés et relâchés au Puntland ou au Somaliland. Ce qui traduit une déformation statistique, avec un très bon score de traduction en justice.
3. Généralement quand l'action est plus offensive, elle est conduite sous pavillon national, ce qui explique un plus fort de traduction en justice et un plus fort taux de perte.

(*) Pour des raisons pratiques, de "continuité statistique", l'Inde est décomptée dans les interventions nationales même si d'un point de vue juridique, la piraterie s'étant rapprochée des côtes indiennes, elle devrait désormais plutôt être décomptée en mode "local". Mais on ne peut pas comparer non plus le dispositif indien conséquent avec des Etats comme les Seychelles, Maurice ou même le Kenya qui ne disposent pas automatiquement de moyens importants de gardes-côtes.

Télécharger la synthèse du bilan

Lire également :

(mis à jour, 25 avril : ajustement de certains chiffres (Iran, Pays-Bas, Seychelles) et prise en compte de l'action de reprise du Gloria.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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