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Retour de Benghazi pour la mission européenne

port libyen (crédit : OCHA/David Ohana)

(BRUXELLES2/Exclusif) Pendant une semaine entière, une délégation de l'Union européenne était à Benghazi (Est de la Libye), pour rencontrer différents responsables tant au niveau du CNT, que de la ville (le chef de la sécurité urbaine, média) ou de la société civile (femmes, enseignants, étudiants...). Le chef de cette délégation, Agostino Miozzo, directeur du département "réponse de crises" au service diplomatique en a tiré quelques leçons devant les ambassadeurs du COPS, le comité politique et de sécurité, mercredi matin, puis devant les députés de la sous-commission défense, l'après-midi. A commencer par la première, il en est convaincu. « Nous sommes bien ici en présence d'une base démocratique indiscutable, une vraie révolution largement soutenue par la population (femmes, étudiants, intellectuels…) ». Et il faut les aider...

Indiscutablement, une vraie révolution démocratique,
soutenue par la population

Une "base démocratique indiscutable"

« Oui il y a un socle de démocratie. Il y a vraiment une base démocratique solide à Benghazi. » explique A. Miozzo. « J’ai rencontré des gens qui vous disent : 42 ans après, maintenant nous sommes fiers de notre drapeau, d’être libyens, de rédiger notre constitution. J’étais totalement éberlué de voir des jeunes heureux de… rédiger une constitution et fiers de leur drapeau. J’aimerais bien que nos enfants soient aussi fiers.»

Les revendications du CNT

Lors de l'entretien avec le représentant du Conseil national de transition (CNT) - Moustapha Abdel Khalil (ancien ministre de la Justice, devenu représentant du CNT - celui-ci a donné sa liste de priorités, les clés d'une négociation future, qu'on peut résumer ainsi :

  • 1° Kadhafi doit s’en aller, il ne peut y avoir de discussions avec lui et sa famille ;
  • 2° Il faut davantage de reconnaissance du CNT comme le gouvernement légitime de l’UE. Le CNT demande aux Etats membres et à l’UE de les reconnaître ;
  • 3° La priorité est de garder la Libye unie.

Ne pas tomber dans le piège de la propagande de Kadhafi

Les responsables de Benghazi entendent aussi démonter quelques préjugés qui sont davantage l'oeuvre de la propagande de Kadhafi que de la réalité. Ils n'ont ainsi « aucunement l'intention de diviser la Libye. La question tribale, c’est une instrumentalisation de Kadhafi qui nous pousse à diviser. Ce n’est pas le fond du problème. » De même, pour la religion. « Cela n’a rien à voir avec cette révolution. Nous sommes musulmans fiers de notre religion. Mais c’est comme pour vous d’être chrétiens. Nous voulons la démocratie ».

Kadhafi reste une menace militaire,
même s'il n'est plus une solution politique

La page Kadhafi est tournée

L’impression se renforce, côté européen (comme d’autres acteurs internationaux) « que la page Kadhafi est tournée. Les Libyens en ont marre. » « Kadhafi, malgré tout, est toujours là. »

Mais la menace demeure, le changement de tactique bouleverse la donne

Kadhafi « a changé de tactique militaire. Il bouge ses forces très rapidement, avec des véhicules, 4X4 tout terrains, qui lui permettent d’aller très vite partout. Et doté d’un armement lourd, cela peut faire vraiment des dégâts ». Durant le séjour de la délégation européenne, ses véhicules ont ainsi contourné rapidement Ajdabiya par le désert pour venir se positionner à 10 kms de la ville et menacer les positions. La zone d’interdiction aérienne (de l’OTAN) « ne suffit donc pas. La menace reste là. »

Situation humanitaire : être prêt à tout

Concernant l'aide humanitaire, les besoins sont très divers. « Il y a un besoin, dans certaines régions, comme à Misrata, des besoins alimentaires, de médicaments. » Mais il n'y a pas vraiment besoin d’une aide humanitaire supplémentaire à Benghazi - ou du moins elle est déjà assumée par les canaux présents ou organisations existantes. « Faut-il prévoir un soutien militaire pour cela ? – s’interroge A. Miozzo, en reprenant le questionnement d'un parlementaire. « A tout moins, il faut être prêt à le faire. Car la situation est vraiment fragile, très volatile, versatile, cela peut changer en quelques heures. Il faut donc être prêt à tout ».

Que peut apporter l’Europe ?
Avant tout un soutien politique, une aide à la démocratie

Hors l'action humanitaire, l'objectif de la délégation européenne était aussi de voir ce que pouvait faire l'Europe en plus, à court mais aussi moyen terme.

Soutenir la reconstruction démocratique, à la société civile, aux médias

Ce soutien technique pourrait porter dans trois directions : le soutien à la mise en place d'institutions démocratiques (l'institutionnal building ainsi qu'on le dénomme), le soutien à la société civile, le soutien aux médias. « C'est un point essentiel. Le rôle des médias et de la communication est important ». A. Miozzo a d'ailleurs ramené le premier journal libre. « C’était un moment plein d’émotion quand j'ai pris en main ce document. Ce sont des étudiants le réalisent. Cela ne paie pas de mine, 2 simples pages imprimées. Mais c’est le premier journal libre que n’a jamais connu la Libye. »

Garde frontière au poste Libye-Egypte le 12 mars (crédit : OCHA / David Ohana)

Aider à réorganiser un système douanier

Il n’y a pas (plus), pour l’instant, sur la frontière "Est" de la Libye, de système douanier. « Après la frontière égyptienne - où c’est très bien organisé -, vous entrez dans un no man’s land. On ne vous demande rien, ni passeport,ni où on va. Un système réorganisé aiderait beaucoup les Libyens ». Cela permettrait également aux Européens de moins craindre une frontière libyenne poreuse et à l'opération « Frontex » de contrôler de l’immigration.

On peut noter d'ailleurs que les Libyens partagent aussi les craintes des Européens d’une immigration sans contrôle. « Ils sont très inquiets les personnes de pays tiers, qui étaient là sous le régime de Kadhafi et ont fui vers leur pays, reviennent. Ils craignent ces gens pauvres, qui faisaient les travaux de bas étage, étaient aux mains de Kadhafi et pouvaient au besoin devenir aussi ses miliciens. » Une peur sans doute peu raisonnée mais réelle, la peur d'un renversement de la révolution. Et ils « veulent donc limiter au maximum le retour en masse de ces personnes dans le pays ».

Ouvrir un bureau européen d’assistance technique

Et le responsable européen de plaider « Nous devons faire le maximum pour maintenir le momentum politique et des institutions démocratiques. (…) Ils attendent beaucoup de l’Europe ». L'ouverture « non pas une délégation mais d'un bureau d’assistance technique à Benghazi » est donc une des possibilités à étudier. L’idée a été présentée au COPS mercredi. « Il ne faut pas donner l’impression de ne reconnaître que le CNT. Il ne n’agit pas de diviser les Libyens, nous reconnaissons un mouvement. Mais Benghazi est le seul endroit où nous pouvons agir, pour l'instant, de façon assez sûre. Dès que Tripoli aura été libéré, nous pourrons migrer notre activité. »

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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