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Libye: les morts s’accumulent, l’ONU réfléchit, l’OTAN tergiverse, l’UE planifie

Les 27 ministres des Affaires étrangères en réunion le 12 avril à Luxembourg (Crédit : Conseil de l'UE)

(BRUXELLES2) « Nous avons 10.000 morts, 20.000 prisonniers ou disparus, 30.000 blessés dont 7.000 sont gravement atteints »... A Luxembourg, au Conseil des Affaires étrangères de l'UE, mardi dernier, les représentants internationaux du CNT, Ali El Assaoui (ancien ambassadeur aux Nations-Unies) et Mahmoud Jibril avaient livré un noir tableau de la situation en Libye. Ce chiffre parait aujourd'hui dépassé si on en croit le bilan repris, aujourd'hui (19 avril) à Rome, par le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, qui cite 50.000 blessés au total. El Assaoui avait également livré un vigoureux plaidoyer aux ministres européens. Et la rencontre prévue pour un "café" (1) s'était prolongée, au final, le temps d'un déjeuner presque... Une heure et demie d'échanges sur la situation sur place mais aussi pour savoir comment sortir de la situation, quels voies de négociation politique existaient notamment... Les Européens en sont-ils sortis convaincus qu'il était temps d'agir un peu plus fort et un peu plus unis ? L'OTAN est-elle en situation de force ? OCHA est-il efficace ? On peut en douter.

Où est le soft power de l'Union européenne ?

Aujourd'hui, on ressent comme une impression de malaise à la lueur de la réaction de la communauté internationale, qui semble bien bien lente par rapport à la situation de Misrata, voire inexistante par rapport à ce qui prévaut dans les villages berbères, qui sont hors du champ de vision médiatique mais tout aussi dramatiques (2).

Et l'Union européenne ne semble au mieux de sa forme... Elle n'a ainsi, à ce jour, proposé aucune voie de dialogue ni pris d'initiative politique notable. Que ce soit par une table de négociation, un groupe de contact, des négociateurs, un envoyé spécial, des observateurs... Toutes voies habituelles dans un tel conflit. L'UE paraît ainsi à la remorque d'autres initiatives : celle de l'Union africaine (à laquelle elle aurait pu ou du se joindre, même si elle n'en partageait pas tous les présupposés), celle du Groupe de contact,... La seule réponse, sans équivoque, et rapide, a été l'adoption de sanctions économiques. Et la planification d'une mission (EUFOR Libya) dont on peut se demander si elle n'aurait pas été mieux remplie par des moyens, robustes, de protection civile.

On peut ainsi se demander également si la leçon des Balkans a payé. 20 ans et 4 traités après (Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne), alors que l'UE est désormais dotée d'instruments autrement plus conséquents,  la réponse européenne paraît toujours aussi timide et désordonnée faible qu'à l'époque alors que ses intérêts et sa sécurité sont directement concernés.

Où est la force de l'OTAN ?

L'attentisme de l'OTAN durant ses premiers quinze jours de contrôle de l'opération a déjà abondamment été commenté sur B2 (3). S'il est explicable, il n'en est pas moins irresponsable, au regard de l'obligation de "protection des civils" affichée par la résolution 1973 de l'ONU. Mais surtout, il est dangereux pour l'Alliance atlantique et les Etats qui la constituent, il laisse planer l'impression d'une faiblesse d'engagement qui rejaillit sur sa réputation. Que vaut l'OTAN aujourd'hui si elle reste incapable de mener une opération somme toute très limitée (sans engagement terrestre) dans un pays de voisinage ? Aujourd'hui, malgré toutes les réformes et discussions stratégiques, elle est moins capable qu'hier d'agir. La dissuasion étant la première arme d'une alliance, ce qui se passe en Libye est pour l'OTAN encore plus un "crash test" que pour l'UE.

Le Bureau des Affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) est-il à la hauteur ?

Enfin, lorsqu'on tirera les leçons de cette crise, il faudra également déterminer le rôle exact de l'Office des Nations-Unies pour les affaires humanitaires (OCHA). Et en tirer les responsabilités. N'a-t-on pas trop demandé à cet organisme qui n'était pas présent sur le territoire libyen directement depuis la semaine dernière (et encore à Benghazi) ? Celui-ci était-il bien à même de remplir sa mission ? En retardant au maximum, l'arrivée d'une force européenne de soutien humanitaire (4), n'a-t-il pas tardé à sonner l'alarme. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon, en visite à Budapest, hier (18 avril), a reconnu que la "situation humanitaire est particulièrement grave. Il y a des dizaines de milliers de personnes dont les besoins de base ne sont pas satisfaits. Nous avons donc un sérieux problème". Une analyse très restrictive de la condition du "dernier recours" pour permettre l'utilisation de moyens militaires au niveau humanitaire était-elle justifiée en l'espèce, comme le soutient l'OCHA ? Au grand bonheur d'ailleurs de plusieurs Etats membres européens qui ne tenaient visiblement pas trop à être parties prenantes dans ce conflit et d'engager leurs troupes (même de façon neutres)...

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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