Une journée avec les F-16 belges à Araxos. Reportage
(BRUXELLES2 à Araxos - Grèce) Huitième jour de mission pour la mission belge "Falcon Freedom" déployée sur la Libye. Le détachement du 349e squadron de Kleine-Brogel, qui était venu pour un entraînement F-16, a basculé dans l’opération sans coup férir. Comme l’explique le ministre belge de la Défense, Pieter De Crem : « En quelques jours, nous avons transformé ce qui était un exercice en un véritable engagement. Immédiatement après la résolution des Nations-Unies, il y a eu la décision du gouvernement, un débat et l’approbation au Parlement ». C’est la démonstration que la « Belgique est un partenaire fiable pour les Alliés ».
36 heures pour transformer un entraînement en mission de combat
Les Belges sont installés à Araxos, avec une infrastructure toute neuve, jamais utilisée encore par les Grecs. « Le vendredi, les Grecs nous ont quitté en situation d’entraînement. Le lundi, ils nous ont retrouvé en position de combat. » « Durant tout le week-end, plusieurs rotations de C-130 Hercules ont amené le matériel nécessaire » pour transformer l’équipe d’entraînement en équipe de combat, témoigne le Ltt "M" (*), chef du DMO (le département maintenance). Il a fallu ainsi venir les armements mais aussi le matériel et le personnel de CIS (communication and information systems). Les avions – en entraînement n’avaient pas ainsi le dispositif de cryptage « Net centric warfare », standard OTAN qui permet d’échanger des informations cryptées entre les avions, avec les Awacs et les G. De même, il fallait disposer sur la base d'un système de sécurisation des messages avec les quartiers général à Ramstein, notamment pour recevoir les ATO (les ordres de route. Une centaine de personnes travaillent maintenant sur la base
Les Grecs ont facilité énormément la tâche
Il a fallu aussi adapter le dispositif sur la base, notamment en matière de sécurisation des armements. Chaque avion F16 qui est armé doit être ainsi placé à une distance de sécurité supérieure (au moins 50 mètres). Du coup, des hangars supplémentaires ont été nécessaires. « Nos collègues grecs nous ont bien aidé - explique un militaire -. Sans eux, il aurait été difficile de faire si vite. Et cela aurait nécessité plus de moyens ». Un accord technique (type Sofa allégé) a été passé avec les Grecs pour partager les frais, prolongeant en quelque sorte l’accord passé pour l’exercice. En gros, les Grecs fournissent les équipements et mettent à disposition la base (c’est leur contribution à l’opération), les Belges paient ce qu’ils consomment (nourriture, essence…).
6 missions de "No Fly Zone" et 2 missions de frappes
Les Belges ont, très vite, été engagés dans la "coalition de Paris" et l’opération Odyssey Dawn, depuis vendredi 18 mars, 12 h zoulou. Le « ready to operate » (Rto) a été atteint le samedi à 17h pour l’interdiction d’avion et le dimanche à 20h pour la « No fly zone / embargo », à 18h Zoulou.
Les F-16 ont déjà effectué 5 missions de « no fly zone » sans problème. Et une mission (samedi) avec frappes au sol. Plusieurs installations de défense aérienne ont été visées, avec au moins deux tirs au but. Et les missions continuent. Ce lundi, 2 missions (4 F-16 en tout) viennent de rentrer : une de "No Fly zone" et une mission planifiée sur tirs au sol. « Mission réussie. » On n'en apprendra pas plus. Les Belges veulent rester discret. « C'est une obligation en opération. Et les Américains sont très sourcilleux sur ce point » commente un habitué des opérations.
« Au début de l'opération, la Libye avait beaucoup d’installations, avec des menaces pour les avions venant de terre, des systèmes stratégiques et tactiques (SA5, SA3, SA2) qui peuvent dépasser 50.000 pieds, et constituent donc une vraie menace pour les avions » explique un expert aérien belge. « Il a fallu donc d’abord acquérir une supériorité aérienne puis ce qu’on appelle la suprématie aérienne. Maintenant toutes les grandes menaces ne sont plus là. On peut opérer au-dessus de la Libye sans risque élevé, le risque est acceptable. »
Un pilote, bien équipé, paré au désert
Quand le pilote part, il s’équipe cependant avec une combinaison couleur "désert" permettant d’avoir sur lui tout le matériel nécessaire en cas de problème et d’éjection : eau, nourriture, matériel de soins, balise de survie et matériel radio spécifique permettant de déclencher le dispositif SaR (Search and Rescue). « Cela fait quelques kilos. C'est assez lourd - commente un pilote. Mais c'est nécessaire ». Précautions pas tout à fait inutiles au vu des évènements (cf. le F-15 américain qui s’est crashé suite à un problème technique).
Quand l'avion s'approche de sa cible, il a sur l'écran à la fois la cible et le cercle d’armement qui trace la zone où des dégâts potentiels sont possibles (ce qui permet d’évaluer d’éventuels dégâts collatéraux et de renoncer au cas où). Les bombes guidées laser (ou GPS selon le cas) GBU 31 , GBU 24 et GBU 10 sont calculées au plus près des cibles à effectuer. On « va calculer l'impact pour que l'ensemble des installations à viser soient détruites, même si l'impact vu du ciel paraît peu atteint ». Par exemple, le toit d'un hangar atteint par une bombe peut rester intact (ou presque) alors que la bombe qui a pénétré à l'intérieur a tout ravagé (avions, matériel...).
Les Belges restent en Grèce (pour l'instant)
Les Belges se sont fait à la base grecque et n’envisagent pas – comme cela avait été, un moment, envisagé – de déménager pour aller en Italie, près d’autres F-16 de la coalition. « Le fait que les Grecs ont aussi des F-16 nous facilite énormément la tâche » explique un aviateur. « Les pistes sont bien adaptées aux F-16. Ils nous fournissent le matériel d'arrêt, l'électricité aux normes OTAN... ». Et en matière de délai de route sur la zone, « nous ne sommes pas vraiment beaucoup plus loin » qu'en Italie.
« Ils nous ont donné plus qu’un coup de main – acquiesce Pieter de Crem – ne serait-ce que pour le contrôle du trafic, la garde de la base, le soutien et le support… Cela nous a permis de nous concentrer sur la mission ».
Etre en affaires courantes n'a pas gêné. Il y a un consensus belge
« Nous sommes un pays de tradition latine, où la guerre est la prérogative du gouvernement, le Parlement est généralement simplement informé et son approbation n’est pas obligatoire », précise le ministre de la Défense. Le « fait d’être en affaires courantes a conduit à une situation différente. Cela nous a permis d’avoir du Parlement un mandat très clair (1), peut-être plus clair que si on avait été dans un gouvernement normalement constitué. Nous vivons dans un pays compliqué à une époque difficile. Et des clivages auraient pu apparaître alors, pas seulement Nord / Sud, mais gauche / droite ou Otan / anti-Otan. »
Et le ministre de préciser à une question de "B2", « Le placement sous commandement de l'OTAN n’était pas une condition de notre engagement. Nous sommes immédiatement ralliés à la coalition de Paris. Car il fallait aller vite » confirme le ministre belge de la Défense. Mais « l’OTAN nous simplifie la tâche. Ne serait-ce que pour définir les règles d’engagement ».
(*) L'anonymat des personnels engagés est préservé
(1) Le Parlement belge a voté, lundi 21 mars, "la résolution concernant la situation en Libye" à l'unanimité moins une voix (celle de l'ex-député du Parti populaire)
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