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L’A400M sort du tunnel: termes de l’accord et “nuages” futurs

(BRUXELLES2/ Synthèse) Les Etats membres et EADS sont tombés, à peu près d'accord, sur les termes de ce qu'il faut bien appeler un "nouveau contrat" pour l'A400M.

Une discussion qui laissera des traces

Fin des rounds de négociation

L'accord final entrevu à Palma de Majorque (1) s'est donc concrétisé à Berlin, le 5 mars, lors d'une réunion entre secrétaires d'Etat et les directeurs généraux d'armement des 7 pays partenaires du programme (Allemagne, France, Espagne, Royaume-Uni, Belgique, Luxembourg, Turquie). Et d'autres réunions ne sont plus nécessaires. L'accord ne sera cependant entériné que d'ici plusieurs semaines, un nouveau contrat doit maintenant être écrit et vérifié, ligne par ligne, ce qui prendra encore 2 ou 3 mois.

Aprêté de la discussion

Les discussions ont été « très, très dures jusqu'au bout » comme l'a résumé, devant la presse à Berlin, le ministre allemand de la Défense, Karl-Theodor zu Gutenberg, qualifiant les méthodes du groupe industriel aéronautique de « chantage ». Il faut « tirer les leçons » pour le futur, a précisé, plus soft, son homologue français Hervé Morin, qui tenait une conférence de presse à Paris lundi.

Une surveillance accrue

Les Etats se sont, en effet, juré que l'on ne les y reprendrait plus... Le déroulement du programme A400M sera dorénavant suivi, par les clients « de façon renforcée » a précisé Hervé Morin. Autrement dit : plus question de découvrir au dernier moment, des ardoises supplémentaires ou de retards... De façon plus générale, a précisé le ministre français de la Défense, il faut « réfléchir aux phases amont des programmes militaires, éviter un empilement de demandes et des besoins, renforcer la maitrise d'ouvrage et disposer d'éléments de reporting réguliers et détaillés des industriels, même lorsque ceux-ci sont engagés dans des contrats au forfait ».

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Les termes de l'accord

Plusieurs concessions

Les clients (Etats) donnent 2 milliards d'euros de plus, au prorata de leur engagement de départ. Montant qui peut être payé en cash ou au moyen de la diminution des commandes. Mais ils se sont engagés à ne pas baisser leur carnet de commande actuel (180 avions) de plus de 10 avions (détails ci-dessous). Les Etats renoncent à leurs indemnités de retard (ce qui n'est pas rien = 1,2 milliards d'euros).

Un système de crédits d'exportation

Les Etats consentent également, hors contrat,  1,5 milliards d'euros d'avances, remboursables sur les exportations; EADS espère vendre 200 à 300 de plus que ceux qui ont déjà été vendus (soit 400 à 500). Une somme répartie également, plus ou moins proportionnellement : 400 millions pour la France, 250 pour l'Espagne, etc... C'est ce dernier point qui a nécessité le plus de négociation au niveau technique, l'Allemagne refusant, sur le fond, de passer à la caisse (un contrat est un contrat) et, sur la forme, toute aide d'Etat. Finalement, la formule trouvée est « Export Levy Facilities », une formule de crédits à l'exportation qui n'est pas assimilée à une aide d'Etat et devrait passer la barre de l'OMC (ce n'est pas le moment pour EADS de se payer une plainte d'un concurrent devant l'organisation de Genève).

Détails à "affiner"

Un dernier point reste encore à préciser : la question de la prise en charge de la hausse des salaires et du coût des matières premières. EADS demande que le taux de la clause de progression passe de 2% à 3%. Ce qui représente un demi-milliard d'euros tout de même. Il faut aussi préciser comment sera assuré le « maintien en condition opérationnelle (MCO) » par l'industriel une fois les avions livrés (et à quel coût).

Capacités techniques en baisse

Certaines des capacités techniques complexes ne seront pas développées tout de suite, notamment la capacité automatique de l'avion à suivre les contours du terrain à très basse altitude pour éviter les radars ennemis (utile pour les opérations commandos surtout). Capacité exigée surtout du client allemand. « On se demande bien pourquoi » ironise un haut responsable français du ministère de la défense (faisant référence sans doute à l'absence d'engagement trop offensif des militaires allemands en Afghanistan notamment). Il y aura ainsi 4 standards qui seront échelonnés suivant la sortie en production : le SOC (capacité transport), SOC1 (+ capacité de larguage), SOC2 (+ ravitaillement en vol), SOC3 (+ les fonctions de navigation évoluée). La remise à jour des appareils déjà livrés sans les fonctions adéquates sera effectuée par l'industriel à ses frais devrait-il être précisé. L'avion perd aussi un peu d'embonpoint : environ 500 kgs (sur différents postes).

Calendrier de livraison revu

Le planning de livraison des avions a été revu, avec un retard de 4-5 ans. Au lieu de 2009 pour le premier A400M en service, l'armée de l'air française et la RAF britannique pourraient toucher leur premier A400M en 2013 (trois ans après le premier vol) qui s'étalerait jusqu'à 2024 (7 avions 2014, 25 fin 2020 et le dernier en 2004), la Luftwaffe allemande en 2014. Il faudra encore attendre quelques mois supplémentaires pour qu'ils soient opérationnels.

Coût de la facture

EADS prend à sa charge 1,8 milliard d'euros ce qui, ajoutés aux 2,5 milliards d'euros déjà provisionnés par l'industriel totalisent une perte comptable de 4,3 milliards d'euros. Au total (clients + industriel), le programme de 20 milliards d'euros au départ atteint désormais 27,7 milliards d'euros (+ 7,7 milliards, soit + 38%). Le cabinet d'audit PriceWaterCoopershouse (PWC) avait évalué le montant nécessaire pour mener le programme au bout (sans renier aucune capacité technique) à 31,3 milliards d'euros.

Mesures palliatives

Pour pallier le retard, la France a décidé plusieurs mesures. Au niveau tactique, elle va prolonger ces C-160 Transall de 2015 à 2018 (environ 100 millions d'euros) avec une remise en état opérationnel. Elle va acquérir également 8 Casa C235. Au niveau stratégique, le contrat Salis va être prolongé après 2010. Ce qui sera opéré, du moins dans l'immédiat, « sans changement de la loi de programmation militaire » précise-t-on à Paris (les dépenses supplémentaires venant remplacer des dépenses d'achat d'A400M qui ne viendront que plus tard). Mais globalement, cela implique une certaine addition supplémentaire (pour les générations futures). Au regard des retombées sociales et industrielles, cela reste cependant limité.

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L'hypothèse d'une réduction des commandes d'A400M de l'Allemagne est désormais publiquement envisagée

L'emploi a pesé dans la balance

Ce projet est fondamental pour nombre de pays pas simplement en termes stratégiques. Le programme occupe déjà environ 14.000 emplois — dont 6.000 en Allemagne — et devrait en générer 40.000 à terme, d'ici 2013, dont 12.000 en France et 10.000 en Allemagne.

Accord parlementaire requis

Cet accord doit encore passer la rampe de certains parlements nationaux. Sujet délicat, particulièrement en Allemagne, où le Bundestag a toujours été très sensible aux questions budgétaires. Le responsable du budget du FDP Jürgen Koppelin (le parti libéral allié du gouvernement à la CDU-CSU et dont est membre le ministre de la Défense zu Gutenberg) a dit que le « ministère de la défense devait s'expliquer ... sur ce fardeau supplémentaire presque impossible à justifier au niveau budgétaire ». Et son homologue des Verts, Alexander Bonde, a dit que l'accord n'était « pas acceptable » (2). Ainsi l'hypothèse d'une réduction des commandes allemandes de l'avion militaire est désormais publiquement envisagée. L'Airbus A400M n'en a peut-être pas fini avec les rebondissements (3).

  • Etat des commandes. L'Allemagne a commandé 60 appareils, la France = 50 (inchangé), l'Espagne = 27 (inchangé), le Royaume-Uni = 25 au départ (22 selon le
    nouveau contrat), la Turquie = 10, la Belgique = 7 (inchangé) et le Luxembourg 1 (inchangé). A cela s'ajoute la Malaisie qui a commandé 4 appareils (en échange de quelques retombées industrielles). En revanche, l'Afrique du Sud a abandonné sa commande de 8 appareils (4).

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Les "derniers détails" à régler pour l'Airbus A400M
(2) Die Grünen sont dans l'opposition aujourd'hui. Mais ils ont toujours été contre le projet d'A400M, même quand ils étaient au gouvernement
(3) L'Airbus A400M: un programme et un contrat à rebondissement (dossier)
(4) Coup dur pour Airbus, l'Afrique du sud annule sa commande d'A400M ...

(mise à jour : lundi 17h)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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