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Comment la nomination du directeur de l’EDA a échoué (au premier tour)

Le secrétaire d'Etat allemand à la Défense, Christian Schmidt, en conversation avec Catherine Ashton le 9 décembre (crédit: Conseil de l'UE)
Le secrétaire d'Etat allemand à la Défense, Christian Schmidt, en conversation avec Catherine Ashton le 9 décembre (crédit: Conseil de l'UE)

(BRUXELLES2) Normalement, le remplacement du nouveau directeur pour l'Agence européenne de défense devait aller comme sur des roulettes. Le poste était vacant depuis fin septembre. Un candidat (une candidate) avait été présenté(e) par la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité commune, qui présentait nombre de garanties de professionnalisme et d'indépendance. La procédure écrite était engagée. Mais, patatras ! Dans ce monde ouaté, aux confins de la diplomatie et de la défense, et contrairement à l'usage, cette désignation n'a pas reçu le plein consensus des 26 Etats membres de l'Agence. Au moins, un, l'Italie, qui avait aussi un candidat, estimait ne pas avoir été amplement consulté. Et d'autres lui ont emboîté. Signe d'un malaise grandissant...

La bronca couve avant le Conseil

Ce qui semblait en cause ne semblait pas être tant la personnalité de la personne (Claude-France Arnoult) pressentie par Cathy Ashton. Plusieurs Etats estimaient, ainsi, que la Haute représentante avait une manière pour le moins cavalière de les traiter. La façon de se comporter que l'on peut résumer, comme me l'a rapporté un témoin de la réunion : "je suis la présidente de l'Agence, j'ai le droit de proposer un candidat" a heurté certains pays. La formulation de sa proposition "en consultation avec plusieurs Etats membres" a mis le feu aux poudres. L'élastique était tendu. Et le retour a été la hauteur. La Haute représentante a été renvoyée dans les cordes (comme on dit en boxe). Car ce n'est pas seulement l'Italie qui est montée au front, mais surtout l’Allemagne. Et, plutôt violemment semble-t-il...

Le ministre allemand écrit

Quelques jours avant le Conseil (le 7 décembre), le Ministre de la Défense, zu Gutenberg, s’est, en effet, fendu d’une lettre qui mettait, formellement, les points sur les « i ». Il insistait sur deux points.

En premier lieu, la nécessité d'une "confiance" (Vertrauen) entre le nouveau chef de l'Agence et les Etats membres. Dans la foulée du Conseil informelle de Gand, une agence européenne de Défense "opérationnelle" est "une des clés" pour permettre "d'intensifier la coopération et améliorer le partages des tâches dans la politique de sécurité européenne" précise-t-il (*).

Deuxième argument : la nécessité d'une "transparence" dans la procédure de nomination. La demande "de notre collègue italien montre qu'il y a encore des questions regardant ce qui fonde cette confiance. (...) La critique du manque de transparence dans la procédure de sélection est sur la table et risque de biaiser la discussion et de causer des risques substantiels dans la direction de l'Agence" précise la lettre. Le ministre propose alors de suspendre le vote formel et "plaide pour reprendre le processus de nomination afin de laisser pleinement le temps de la consultation des Etats membres".

Le vote, le vote, le vote

La lettre de zu Gutenberg n'avait, semble-t-il, pas reçu l'aval du ministre des Affaires étrangères à Berlin. Et Me Ashton ne s'est pas faite faute de le remarquer, à sa manière... Est-ce une méprise ou la volonté de marquer le coup. Toujours est-il que ce n'est pas zu Gutenberg qui reçut la réponse de la Haute représentante. Mais son collègue Westerwelle. Les deux n'étant pas du même bord politique - l'un CDU-CSU, l'autre Libéral - même s'ils participent de la même coalition au pouvoir, c'était rajouter du sel sur la plaie. Cette erreur "d'aiguillage" constitue également un lapsus révélateur de ne pas vouloir considérer les ministres de la Défense à part entière.

Lors du Conseil, Cathy Ashton a tout de même, voulu, à tout prix, passer au vote. L’Allemagne et l’Italie se sont alors cabrés. Et la majorité qualifiée risquait bien de ne pas être atteinte. C’est alors le ministre français, Alain Juppé, qui s’est entremis, proposant une solution de compromis, qui a finalement été acceptée. On laissait du temps au temps. Avec une nouvelle procédure de consultation informelle qui durerait jusqu'au 21 décembre. Et une nouvelle procédure écrite pour permettre au nouveau directeur de l'Agence d'être opérationnel en début de l'année 2011.

Commentaire : on peut avoir plusieurs interprétations de cette attitude. Volonté de montrer sa prédominance, impréparation du Conseil, sous-estimation des résistances, auto-sabotage... Quoi qu'il en soit, la manoeuvre a échoué. Et la Haute représentante est apparue plus faible qu'elle n'est dans ce conseil "Défense" qui devait être sa consécration. On comprend ainsi qu'elle ait insisté pour que la conférence de presse de l'Agence soit également annulé et qu'elle n'ait pas tenue à s'épancher elle-même. Perpétuant ainsi ce qui devient désormais sa marque de fabrique : communiquer le plus mal et le moins possible. Ce faisant, elle démontre également à la fois sa méconnaissance mais aussi son peu d'intérêt pour les questions de défense et de sécurité européenne. Ce qui est une erreur stratégique. La question de son remplacement, comme l'a évoquée une des délégations autour de la table, va commencer à se poser si, dans les mois qui viennent, un peu plus d'enthousiasme et d'initiative ne vient pas contre-balancer les nombreuses réticences de la Haute représentante sur la PeSDC.

(*) traduction libre de la lettre rédigée en allemand.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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