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L’OTAN se cherche une nouvelle bataille, sur mer

(BRUXELLES2) (mis à jour) L’OTAN se cherche donc de nouveaux terrains d'action. Le plus convoité est l’opération anti-piraterie au large des cotes somaliennes. Un terrain facile. Arrêter des pirates est moins compliqué que de vaincre les rebelles en Afghanistan. Et tellement plus populaire.

L’Alliance ne ménage donc pas ses efforts. On sait qu’elle avait tenté, depuis le début, de mettre la main sur l’opération (1). Las, la plupart des Etats européens, y compris la Norvège (membre de l’OTAN et non membre de l’UE), ont préféré mettre leurs « billes » dans une opération européenne, plus complète selon eux. Quant aux Américains, ils avaient décidé, très vite, de monter leur propre opération (la CTF 151) à laquelle concourent les Turcs et les Britanniques... (2) A l'inverse, les Danois pourtant membres de l'UE ne peuvent participer à l'opération européenne (opting out danois oblige) et après avoir apporté leur concours à la CTF 150/151 participent à l'opération de l'OTAN. Allez comprendre ! Aujourd’hui, alors que s’approche la conférence de générations de forces pour le renouvellement de l'opération Atalanta, l’OTAN cherche donc à prendre de court les Européens, pour tenter de récupérer la main sur ses deux "concurrents". Elle compte sur ses deux SNMG, groupes permanents maritimes de l'OTAN (qui n'ont de "permanent" que le nom), en convaincant certains pays membres de la rejoindre. Mais elle a une longueur de retard.

La "puissance de feu" ...

Là où l'opération Atalanta (UE) dispose, en permanence, de 6 à 8 navires (voire plus) et de 2 à 4 avions, l'opération Ocean Shield (OTAN) n'aligne que 3 à 5 navires et 0 avions... Et, surtout, elle dispose de la "puissance" de l'UE : ses juristes, ses diplomates et... son chéquier. Pour la première fois, l'approche "globale" - tant soulignée dans les discours - entre en pratique... La "smart strategy" comme dirait Hillary Clinton (3). En matière de traduction des pirates en justice, l'OTAN ne dispose d'aucun accord de traduction des pirates et doit se reposer sur la "bonne volonté". Concrètement, elle arrête un peu et libère beaucoup. Au bilan réalisé par Bruxelles2, elle affiche un de taux les plus bas de remise à la justice des suspects : moins de 1 sur 10 contre 3 ou 4 sur 10 pour l'UE !

... ou la communication

L'OTAN mise donc, pour refaire son retard, de gagner la bataille de la communication et sur les responsables politiques. Elle a ainsi mis sur pied un site Internet à destination de la marine marchande, assez complet, qui "concurrence" (il n'y a pas d'autre mot) le site mis en place par l'Union européenne avec la marine marchande, le MSCHOA. On y trouve d’ailleurs des documents assez complets détaillant les méthodes d’escorte des navires, des documents estampillés « union européenne». L’OTAN ne lésine pas sur les moyens. Elle a aussi fait réaliser par CAPA Press un documentaire présentant son action. Documentaire fort bien fait qui, bien entendu, met en avant l'Alliance Atlantique (à regarder ici). Et une consultante en communication embauchée pour attirer l’attention des journalistes et des diplomates sur cette action. Celle-ci n'a pas hésité à contacter le cabinet de la Haute représentante. Elément d'une stratégie qui vise à convaincre certains responsables politiques de "changer de camp"...

Une gabegie à l'heure de la pénurie budgétaire

Cette petite course de vitesse apparait en pleine contradiction avec tous les discours affirmés jusqu’ici, d’éviter les doubles emplois entre les deux organisations. Et elle répond davantage à une nécessité politique qu'opérationnelle. Certes, sur le terrain, les différents navires coopèrent sans trop de difficulté : les marins s'entendent généralement bien (ils participent de concert aux mêmes exercices), plusieurs d'entre eux servent d'ailleurs alternativement sur les deux opérations. Mais la concurrence se situe davantage aux niveaux supérieurs, plus politiques. Elle s'explique, en grande partie, par la volonté des Etats-majors qui ont la nécessité, aujourd'hui, de justifier leur existence et leur pérénité alors que s'amorce une nouvelle restructuration de l'Alliance atlantique (4).

Pour l'opinion publique, il est cependant totalement incompréhensible, et injustifiable, que trois forces, qui remplissent des objectifs et fonctions identiques, qui recrutent globalement dans les mêmes États membres, continuent de coexister, là ou deux seules suffiraient : l'une à vocation européenne qui a l'avantage de la "puissance de feu" et de l'approche globale ; l'autre à vocation plus mondiale qui puisse réunir autant les Sud-coréens, les Turcs et les Américains... Alors que les moyens budgétaires seront demain encore limités, pourquoi l'OTAN ne concentre pas ses efforts sur d'autres zones - le Golfe de Guinée par exemple - ou d'autres menaces. Elles ne manquent pas...

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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