Piraterie : un tribunal somalien “off shore” serait la meilleure option selon l’UE
(BRUXELLES2) Sur la table des 27 ambassadeurs de l'UE, ce mardi, se trouvait, un dossier récurrent de la lutte anti-pirates dans le Golfe d'Aden et l’Océan indien : que faire des pirates (somaliens) une fois arrêtés ?
L’enjeu n’est pas mince. Mais, paradoxalement, le sujet n'avait pas vraiment été débattu depuis de longs mois dans cette enceinte. Alors que selon les chiffres officiels, plus de 700 suspects ou pirates avérés ont dû être relâchés, au 1er semestre, par les marines internationales déployées dans le Golfe et l'Océan indien, faute de pays d'accueil et de système juridique adapté (1). Aujourd'hui, seuls le Kenya et les Seychelles, et bientôt l’Ile Maurice (2), acceptent de poursuivre en justice les suspects arrêtés par les navires européens en fonction d’accords signés avec l’UE. Le Puntland fait de même, mais de façon bilatérale ou informelle (3), tandis que le Yemen accueille des suspects mais d'autres Etats.
Quatre options mises sur la table...
Les ambassadeurs avaient à leur disposition un papier de la CMPD (la direction de planification civilo-militaire de l'UE) qui envisageait quatre options possibles, selon une formulation plus simple et ramassée que les 7 options du papier de l'ONU présenté par Ban Ki Moon (4) :
- 1) une juridiction somalienne, fonctionnant au besoin hors Somalie ;
- 2) des juridictions d’Etats autre que la Somalie ;
- 3) une juridiction régionale (en s’appuyant sur la Cour africaine des droits de l’Homme ou l’East africain Court of justice ou un accord ad hoc) ;
- 4) une juridiction internationale (sur le modèle TpiY).
Les avantages et inconvénients de chaque solution ont été pesés soigneusement par les experts et débattus par les ambassadeurs. Mais l’impératif d’une solution rapide semble prévaloir au niveau européen.
Ainsi, les solutions 3 et 4 requièrent un accord international ou la modification d’un accord préexistant. Ce qui est « long, couteux et complexe » explique un expert européen. Elles s’inscrivent donc, plutôt, dans une vision à « long terme » peu réaliste par rapport aux besoins sur le terrain.
La solution 2 a l’avantage de s’inscrire dans un cadre pénal existant, de pouvoir être rapidement mise en place. Elle a été prônée lors du « workshop » aux Seychelles en mai. L’archipel de l’Océan Indien s’est même porté candidat pour accueillir un tel tribunal, à condition que la détention soit assurée par un autre pays ; une loi est en préparation permettant de transférer les prisonniers dans des pays tiers (dans le respect des droits de l’homme). Mais cette solution nécessite d'avoir des accords plus nombreux qu'aujourd'hui et un soutien financier est également nécessaire.
Avantages et difficultés d'un tribunal somalien "off shore"
La solution 1 (qui pourrait se combiner avec la solution 2), une Cour établie selon la loi somalienne dans un pays tiers et fonctionnant selon la loi somalienne. Elle a l’avantage de « la légitimité, d’une communauté de langue et de la simplicité juridique », de l'appropriation ("ownership") par les Somaliens sans compter celle de la continuité de l'action - si prisée par les juristes - entre l'arrestation (citoyen somalien), le jugement (juge et loi somalienne) et l'emprisonnement. Un accord pourrait être passé assez facilement avec le GFT ou/et les provinces autonomes du Puntland et Somaliland. Cette solution s'inscrit d'ailleurs dans un continuum d'action de la communauté internationale : réhabilitation des tribunaux à Garowe, Galakayo, Bossasso et Gardo (Puntland) ; construction de 4 nouveaux tribunaux dans la partie Centre-Sud de la Somalie, formation des juges et procureurs du Puntland et du Somaliland...
Toute difficulté n'est cependant pas écartée : si un projet de législation est en train d'être agréé entre le GFT, le Puntland et le Somaliland, sous les auspices de l'UNODC (l'Office des Nations-Unies contre les drogues et la criminalité), il ne faut pas nier que trois parties somaliennes ont désormais un système judiciaire différent. De plus, personne ne se le cache maintenant, le GFT soutenu à bout de bras par la communauté internationale est en déliquescence totale - "Un malade sous assistance respiratoire" résume, dans une formule lapidaire (mais qui semble juste), un diplomate européen. Une assistance financière, la présence de personnels extérieurs (juges, greffiers...) sera aussi nécessaire. Au point que l'UE envisage d'ailleurs une nouvelle mission de la PeSDC, profilée "Justice", qui serait aussi nécessaire dans le cas des autres solutions (particulièrement la solution 2). Lire ici.
Lire :
(1) 700 pirates libérés au 1er semestre. Dernier bilan… officiel
(2) L’Ile Maurice dit oui à l’UE pour la traduction des pirates en justice
(3) Traitement en justice des pirates : la solution française
(4) Les 7 options de Ban Ki Moon pour traduire les pirates en justice
(Nicolas Gros-Verheyde)