B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Actu BlogIndustrie de défense

Les frégates allemandes prennent le large… vers les Emirats

crédit TKMS

(BRUXELLES2) Cela n'a pas suscité vraiment grande discussion ni polémique. La Commission européenne a autorisé, mardi, sans coup férir, la prise de contrôle par le groupe Abu Dhabi MAR (ADM) de plusieurs activités de l'industriel allemand TKMS dans les domaines de la construction et de la réparation de navires civils ET militaires. Cette autorisation permet ainsi au groupe des émirats de prendre un pied plus que solide dans une activité stratégique : la production de navires de guerre.

Un rapprochement arabo-allemand

Ce rapprochement comporte, en effet, deux volets. L'un est proprement civil : ADM acquiert les activités de TKMS dans le domaine des navires civils, comme le chantier naval Blohm+Voss de Hambourg et le Howaldtswerke-Deutsche Werft de Kiel (1). Le groupe des émirats devient ainsi un acteur majeur européen dans la construction navale. L'autre est typiquement militaire : ADM et TKMS créent une entreprise commune dans le secteur des navires militaires de surface contrôlée conjointement (50/50). Un partage de marché s'opérera, l'Allemand gardant le leadership pour tous les projets de la Bundesmarine et des partenaires de l'OTAN tandis que l'arabe prendra en charge la région Moyen-Orient/Afrique du Nord (2). Seule exception : l'opération n'inclut pas (pour l'instant), l'activité sous-marins de TKMS.

Un choix entériné sans discussion par Bruxelles

Ce rapprochement répond au choix du gouvernement allemand qui a préféré privilégier l'intérêt (louable) de l'emploi dans les chantiers locaux à une "aventure" européenne éventuelle, comme le projet d'EADS naval caressé en son temps et repris par Hervé Morin.

Pour la Commission qui n'a pas ouvert d'enquête approfondie et s'est contentée de l'enquête habituelle de 2 mois, il n'y a pas de problème. "La concentration envisagée ne pose aucun problème de concurrence. Elle n'entraîne pas de chevauchement important, le seul, relativement mineur, étant observé sur le marché des mégayachts. Sur les marchés de la construction de navires militaires, ADM n'est pas présente en Allemagne, en Suède ou en Grèce, où TKMS était traditionnellement fortement implantée. En outre, l'enquête sur le marché menée par la Commission a également confirmé que, sur les marchés des composants de navires subissant des effets verticaux, il n'existait pas de risque de verrouillage en aval par TKMS ou Atlas Elektronik, entreprise commune contrôlée par TKMS." Circulez...

L'analyse s'est déroulée au plan économique (la concurrence, l'effet sur les prix...) et aucunement sur la perte stratégique et... de technologie (même si certainement les vendeurs s'en défendent). On ne peut s'empêcher d'avoir ainsi un peu de gêne à voir un "joyau de la couronne" (le groupe TKMS est un des principaux acteurs européens dans la fabrication de frégates) quitter le giron européen pour s'en aller voguer ailleurs, sans réel débat, ni enquête approfondie d'un autre point de vue qu'un calcul de ratio économique.

Un groupe déjà bien implanté en Europe

Le groupe d'Abu Dhabi est un holding contrôlé par Al Ain International Group (70%) et Privinvest (30%) et appartient à un des sheik de la famille régnante de l’Emirat d’Abou Dhabi, Hamdane ben Zayed El Nahyan. En Europe, il est déjà propriétaire de plusieurs installations notamment des Constructions mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg, connue pour sa production militaire, particulièrement dans les patrouilleurs et autres vedettes rapides, et qui fabrique actuellement plusieurs corvettes type Baynunah pour les Emirats. La première a réussi son test en mer mi-janvier 2010 et devrait être livrée à la mi-2011 aux Emirats arabes unis (avec transfert de technologie à la clé !). ADM exerce également ses activités à Nobiskrug à Rendsburg (Allemagne) ainsi que, sur place, aux chantiers navals Abou Dhabi (Émirats arabes unis).

(1) (mis à jour) ADM a également bouclé, ces jours-ci, un accord avec TKMS pour acquérir les chantiers navals grecs de Scaramanga. Mais ceux-ci ne sont pas compris dans la présente autorisation de la Commission (contrairement à ce qui pu être écrit à un moment).

(2) En complément, on peut lire sur TKMS et ce rapprochement une note du Cirpes rédigée par Louis Marie Clouet.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®