Les sept options de Ban Ki Moon pour traduire les pirates en justice
(BRUXELLES2) Au Conseil de sécurité de l'ONU, ce 25 août, il sera normalement question de piraterie et notamment de la traduction en justice des suspects arrêtés par les forces internationales dans l'Océan indien (1). Même si ce sujet peut passer au second plan avec la situation qui se dégrade autour de Mogadiscio, les plénipotentiaires auront certainement lu attentivement le rapport (2) que Ban Ki Moon leur aura fait passer. Détails...
Sept options étudiées
Le secrétaire général de l’Onu présente sept options : du dispositif (déjà entamé) de soutien aux tribunaux existants au Kenya ou aux Seychelles (Option 1) jusqu’au tribunal international, sur la base d’un accord entre un État de la région et l’ONU (Option 6) ou créé par une résolution du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies (Option 7) en passant par la création d’un tribunal somalien siégeant sur le territoire d’un État tiers de la région, avec ou sans la participation de l’ONU (option 2), la chambre spéciale relevant de la juridiction d’un État de la région, sans participation de l’ONU (option 3), ou avec la participation de l’ONU (Option 4), la création d’un tribunal régional sur la base d’un accord multilatéral entre États de la région, avec la participation de l’ONU (Option 5).
Chacun de ses solutions est analysée en pesant les avantages et les inconvénients, tant au niveau de la faisabilité politique, des difficultés juridiques, des moyens financiers nécessaires (une condition principale aujourd’hui) et du délai nécessaire. Clairement l’option qui a la préférence de Ban Ki Moon est la consolidation des juridictions existantes (option 1), voire la création d’une chambre spéciale (option 3). Les solutions de tribunal régional ou de tribunal international nécessitent un délai de mise en place (de 2 à 10 ans) et auront un coût trop important, surtout en pleine période de rigueur budgétaire. Pour mémoire, le budget annuel des tribunaux existants et autres mécanismes judiciaires internationaux a atteint, un maximum situé « entre 36,1 millions de dollars (tribunal spécial du Sierra Leone) et 376,2 millions de dollars environ (tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie pour un exercice biennal) ».
Les options réalistes : la poursuite en justice dans les Etats riverains de l'Océan indien
L'option 1 (soutien aux structures existantes) est celle qui est la plus réaliste, à court terme... Et la moins couteuse. L'UNODC a déjà entamé ce programme au Kenya et aux Seychelles. Trois autres pays sont susceptibles d'accueillir des pirates : Maurice, Maldives et Tanzanie. L'Ile Maurice étant le plus avancé (3). Des missions exploratoires sont encore en cours. C'est au Kenya, le programme le plus ancien, que l'engagement est le plus lourd, avec notamment la construction d'un tribunal spécial dans l'enceinte de la prison de Shimo La Tewa, à Mombasa (inaugurée le 24 juin dernier). Un budget de 2,3 millions de dollars, pour une durée de 18 mois, couvre une trentaine de poursuites. Le programme aux Seychelles bénéficie d’un financement de 1,1 million de dollars, pour une durée de 18 mois, portant sur des poursuites contre une quarantaine de suspects. Par ailleurs, un manuel d’orientation sur les transferts établi, en collaboration avec le Kenya et les Seychelles, a permis « d’améliorer la qualité des preuves collectées et transférées par les États dont les navires effectuent des patrouilles, et devrait aider à garantir le bon déroulement des actions en justice ». Selon les estimations de l'UNODC si le Kenya, les Seychelles, la Tanzanie et Maurice s’associent aux efforts déployés dans ce domaine, ils pourraient poursuivre jusqu’à 600 à 800 suspects par an, en rythme de croisière.
En Somalie (l'option 2), même si les Nations unies ont un programme de formation du personnel judiciaire et de police, de renforcement des moyens en matière de poursuites judiciaires et de réforme du système juridique (activités financées par le Fonds international d’affectation spéciale (1,2 million de dollars pour les projets de l'UNODC)), il paraît trop tôt pour envisager que des poursuites judiciaires puissent s'établir de manière régulière. « Même si en principe une telle option pourrait figurer parmi les plus économiques, dans la pratique, l’aide que devrait fournir l’ONU serait considérable. Les coûts seraient donc probablement bien plus élevés que ceux de la chambre spéciale, et le délai de mise en place du tribunal beaucoup plus long. (...) Même si une telle option présenterait l’avantage de permettre à la Somalie de participer directement au règlement du problème que pose la répression des actes de piraterie, elle n’est peut-être pas envisageable pour l’instant » explique le secrétaire général. Faut-il préciser que cette option n'avait pas été expressément envisagée dans la résolution 1918 (2) mais avait été soulevée par certains Etats, notamment le Portugal.
En revanche, coté incarcération, la solution somalienne semble non seulement plus probable mais nécessaire au regard des différents accords passés avec les Etats riverains de l'Océan indien.
La solution de la chambre spéciale (option 3) est celle qui, à moyen terme, paraît la plus réalisable et la plus soutenable (financièrement). Il s'agit d'encourager la création par un État ou plusieurs États de la région d’un tribunal ou d’une chambre spéciale relevant de sa structure judiciaire nationale pour poursuivre les auteurs d’actes de piraterie et de vols à main armée commis en mer au large des côtes somaliennes. L'avantage est de pouvoir se reposer sur la structure judiciaire, policière et pénitentiaire d'un Etat et d'avoir la proximité (culturelle pour les prisonniers, ). L'inconvénient est le risque de créer, dans le pays même, une justice à 2 vitesses (NB : mais n'existe-t-elle pas déjà ?) ou de détourner des ressources humaines judiciaires et pénitentiaires qui ne sont sans doute pas légion. Cette solution peut être complétée par la participation de personnels internationaux (option 4), mais « aiderait à renforcer les capacités de cette juridiction » et permettrait même - si le personnel judiciaire est choisi dans les Etats de la région - « de mieux renforcer les capacités régionales et de participer aux efforts à long terme déployés pour instaurer la paix et la stabilité en Somalie. » Mais cela ajoute de la complexité juridique (que le droit local le permette) et est un peu plus chère (14 millions $ en rythme annuel pour les chambres spéciales du Timor Est).
Sur les autres solutions, on voit bien qu'elles sont envisagées mais requièrent un investissement financier et humain (temps de préparation) qui ne sont pas en adéquation avec la volonté d'aboutir à un résultat à court terme pour les Etats.
La question de l'emprisonnement : en Somalie ?
C'est une question cruciale. Tout autant sinon plus que la question judiciaire. L’idée est donc de pouvoir juger les pirates dans un lieu mais, dans la plupart des cas, de les incarcérer dans d'autres pays, le pays d'origine. Vu l’extension de la piraterie, il n’agit pas là de juger quelques dizaines de personnes. Le Secrétaire général estime ainsi que « les besoins en matière d’incarcération pourraient atteindre 2000 personnes d’ici à la fin de 2011 ». Un chiffre beaucoup plus élevé que celui publié par tous les tribunaux existants. Car il faut prendre en compte : les suspects en détention provisoire avant jugement et la durée des peines, assez longues, de ceux qui ont été condamnés (8 à 20 ans au Kenya). Comme le résume un expert du Groupe de contact « le fardeau à long terme imposé par les poursuites en justice réside non pas dans les poursuites elles-mêmes mais dans l’emprisonnement qui en résulte. »
Et la plupart des experts internationaux comme ceux de la région estiment qu'il faut incarcérer les condamnés dans leur pays d'origine, pour différentes considérations « culturelles, linguistiques et familiales » (il faudrait ajouter : politique et sécuritaire). A cela, s'ajoute l'exiguité de certains territoires. Ainsi les 31 suspects mis en détention provisoire, attendant d’être jugés, aux Seychelles représentent déjà près « de 10 % de la population carcérale » ! Le poids n'est pas identique, bien entendu, au Kenya, où les « 123 personnes détenues représentent 0,2 % de la population carcérale ».
L’UNDOC a déjà commencé à rénover des prisons au Somaliland et Puntland, deux régions largement autonomes de Somalie où la violence est moins forte que dans la partie centrale.
La Somalie (plus précisément la région du Puntland), a « indiqué qu’elle était prête à accepter des Somaliens condamnés à une peine de prison dans d’autres juridictions ». Mais, souligne le secrétaire général, « une assistance est indispensable pour mettre les centres de détention en conformité avec les normes internationales ». Au Somaliland, le PNUD et l’UNODC achèvent la construction d’une nouvelle prison au Somaliland. Au Puntland, le PNUD achèvera la construction d’une nouvelle prison d’ici à la fin de 2010 et l’UNODC remet en état un centre de détention. Un programme de formation du personnel est aussi en cours d'élaboration pour « améliorer les conditions de détention ».
Restera alors à régler la question du rapatriement non seulement des condamnés mais surtout des acquittés. « Le problème se pose, que des poursuites soient abandonnées faute de preuve, par exemple, ou que l’accusé soit acquitté ». La plupart des États accueillants veulent avoir, maintenant, « l’assurance que ces personnes puissent être rapatriées, généralement en Somalie, et que les dépenses liées à ce rapatriement ne leur soient pas imputées ».
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(Nicolas Gros-Verheyde)
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