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Afrique Ouest - SahelMissions Opérations

Mission Guinée-Bissau: “rebâtir de zéro” (Gén. Verástegui)

(B2) La mission de l'Union européenne visant à aider la Guinée-Bissau pour la réforme de son secteur de la sécurité (armée, police, justice) devrait démarrer officiellement la première semaine de juin, après le feu vert officiel du Conseil. Le chef de la mission, le général espagnol Juan Esteban Verástegui, a accepté de me rencontrer pour détailler le sens de cette mission nouvelle de l’UE (lire aussi : Ménage d’été au Kosovo).

Comment l’Europe peut-elle réformer des structures de sécurité d’un pays africain ?

Tout d’abord, ce n’est pas une réforme de l'UE mais une réforme voulue et décidée par les autorités de Guinée. Il y a un clair engagement des autorités politiques nationales, partagé par l’opposition. Ainsi, nous n’avons pas de rôle directement opérationnel. Nous sommes là pour donner des conseils, établir des plans pour le futur, transformer une décision stratégique en un concept opérationnel. Notre mission est avant tout intellectuelle.

Quels sont les objectifs de cette réforme pour l’armée, pour la police ?

Pour l'armée, on pourrait dire que c’est simple. Cette force devra être diminuée de moitié, pour atteindre un effectif de 2000-2500 hommes. Elle devra être composée d’unités légères, simples ; et non d’unités lourdes blindées. Une restructuration comme nous en avons connue en Europe. Pour la police, c’est un peu plus compliqué. Nous avons actuellement huit - neuf corps policiers contrôlés par cinq différents ministères, sans réelle coordination. Cela ne peut pas fonctionner. Il faut revoir l’organisation. Il faut d'abord donner un cadre juridique au nouveau dispositif. Et on doit restructurer. Si le nombre de policiers va rester identique, il y aura au final quatre forces, selon le modèle portugais : maintien de l’ordre public, police judiciaire, gendarmerie et services secrets. La gendarmerie va être créée de toutes pièces, en rassemblant d’autres corps déjà existants (frontières, immigration…), sur le modèle de la « Guardia nacional » portugaise.

Par qui va être suivie cette réforme ?

C’est fondamental. Il nous faut trouver les futurs leaders qui vont encadrer la réforme. Ce qui pose la question de la formation de l'encadrement. Plusieurs pays (Portugal, Brésil, Cap-Vert, Angola) ont été sollicités pour cette mission.

Vous venez de passer plusieurs jours sur place, quelle est selon vous la principale difficulté de votre mission et… de cette réforme ?

La principale, c'est le manque de moyens dans l’armée comme dans la police. La situation est très pénible. Il n’y a presque pas d’infrastructures. Les casernes quand elles existent sont dans un état lamentable. Il manque de tout! Les véhicules existent au compte-goutte. Les services d’immigration, par exemple, n’ont qu’un seul véhicule, ils font tout à pied. Quand j’ai été au Congo, au Guatemala — qui ne sont pas des pays riches —, je n’avais pas connu cela. Ce n’est pas une réforme seulement dont on a besoin… Il faut tout rebâtir de zéro !

Les Etats membres vont contribuer ?

On l'espère. Les investissements nécessaires ne sont pas incroyables. Avoir des vélos tout terrain pour la police, ce serait déjà bien. L’Espagne devrait ainsi donner des motos et des vélos VTT. Nous avons aussi besoin de 30 véhicules qui semblent un minimum si on veut que ce pays soit capable de contrôler ces frontières et être en capacité de contrôler l’immigration. C’est aussi cela, notre mission: identifier les besoins et trouver les pays prêts à financer.

La difficulté n’est-elle pas aussi de lutter contre une corruption qu’on dit rampante ?

Quand ceux qui travaillent pour l’Etat ne reçoivent pas de salaire, durant des mois, il est difficile de parler de corruption... La frontière, par exemple, est gardée par des gens bien, qui ne sont plus payés. Ils sont un peu comme oubliés! Ils vivent au milieu de la population, dans des cahutes, comme les autres paysans, ne reçoivent aucun soutien, même médical. Souvent ils sont assez âgés. Et quand ils quitteront le service, on sent bien qu’on ne trouvera personne pour les remplacer. Il faut donc changer le système, trouver des personnels, les former… et s’assurer qu’une fois en place qu’ils seront bien payés, les 30 ou 40 euros qu'on leur doit par mois. Quand on a l’orgueil d’appartenir à une mission qui marche et qu’on est payé pour cela, cela peut changer.

Cela veut dire que l’Europe doit s’engager davantage dans ce pays ?

Oui. Je le pense. C’est peut-être un peu égoïste, mais c’est plus intelligent et moins couteux d’avoir des pays plus forts, dans leurs structures, qui assurent un réel contrôle aux frontières, plutôt que de devoir en subir le résultat, avec une immigration sur nos côtes.

Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde

A noter :

• La mission PESD en Guinée est une mission première du genre, civilo-militaire. Entamée à la mi-avril, la montée en puissance devrait être terminée début juin. Elle est composée d’une quarantaine de personnes (21 spécialistes internationaux + 18-19 locaux), de plusieurs pays européens (Portugal, Espagne, France pour les conseillers ; Allemagne, Suède, France, Italie, Portugal pour l’administration). Plusieurs pays tiers ont été sollicités. Si le Canada et le Brésil ont décliné l’offre (ce dernier pays doit envoyer en 2009 une mission bilatérale, pour soutenir la réforme militaire), les Etats-Unis sont très intéressés ; le Cap-Vert et l’Angola pourraient aussi participer. La mission va être établie dans la capitale, de façon "centrale", à proximité de l’Assemblée nationale, dans un bâtiment ayant servi transitoirement d’ambassade pour la France.

• Un premier plan de réforme des forces de sécurité a été adopté par le gouvernement de Guinée-Bissau en novembre 2006, suivi d’un plan de restructuration en septembre 2007. Au niveau de l’UE, deux missions d’information communes avec la Commission européenne, en mai et en octobre 2007, ont précédé le processus décisionnel. La première décision a été prise au Conseil des ministres de la défense, le 19 novembre 2007 ; le concept général de la mission a été approuvé le 10 décembre 2007, le concept d’opération (Conops) et la décision d'action commune ont été approuvés le 12 février 2008, le plan d’opération (OpPlan) a été accepté par le Cops le 14 mai.

Crédit photos : Conseil de l'UE

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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