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Feu vert au commandement aérien européen EATC. Une petite révolution

LogoEatc-UE091029.jpgL'Europe aura dans quelques mois son premier commandement européen de transport aérien militaire (EATC). Les ministres de la défense français, allemand, belge et néerlandais ont donné le dernier feu vert, au conseil informel de Palma-de-Majorque. Une "petite révolution" dans le monde des forces de défense.

Il ne faut pas se laisser abuser par ce terme. L'EATC n'est pas un commandement qui s'entraîne et est prêt à partir, au cas où... comme l'Eurocorps ou l'Euromarfor. Il s'agit d'un commandement opérationnel qui, au jour le jour, va "réguler" les mouvements aériens militaires des quatre pays — Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas — qui ont choisi de travailler ensemble. On pourrait presque parler d'un solide embryon de "European Air Forces".

L'OPCON - le contrôle opérationnel - des avions concernés est, en effet, transféré à EATC. Cela signifie que si un Transall français ou allemand - placé dans la force - recevra ses ordres de vol d'Eindhoven et non plus de son commandement national. Il pourra emmener du fret belge et néerlandais à l'aller et des militaires allemands au retour... Un Etat peut, cependant, se réserver la possibilité d'utiliser avions pour des missions nationales (par exemple pour les missions SAR - secours ou recherche - ou les missions commandos, ainsi que les transports de VIP) ou poser des "caveats".

Concrètement, EATC
va planifier les transports de passagers ou de fret, les répartir entre les avions en fonction des destinations et des disponibilités, et non plus des nationalités. « Il y a un changement de nature - explique un gradé supérieur -. Jusqu'à présent, on fonctionnait, sur le principe d'une bourse d'échanges (par exemple, pour l'opération Tchad) ou de façon ad hoc (tu vas à Haïti, tu peux m'emmener x personnels) ». Désormais cela sera plus intégré. « Un peu comme "Sky team" ou une "Star alliance" militaire. » L'objectif est de maximiser l'emploi des moyens aériens qui se raréfient. Les armées des différents pays ne peuvent plus se permettre d'envoyer trois avions sur la même destination à moitié plein. Il s'agit ainsi de la première restructuration - fusion à l'échelle européenne de moyens.

Le nouveau dispositif

Le centre de commandement sera localisé sur la base aérienne militaire d'Eindhoven qui va réguler tous les aspects du transport aérien militaire, y compris la planification et l'exécution des missions, la formation et la sécurité des vols. Il sera opérationnel à compter de juillet. La prise de commandement étant prévue au 1er septembre 2010 et la capacité opérationnelle initiale (IOC) devrait être atteinte, juste avant Noël, le 22 décembre 2010.

Près de 170 gradés seront, à terme, basés aux Pays-Bas - dont 46 Français et 65 Allemands. Concrètement cela signifie qu'une partie des effectifs du contrôle opérationnel du transport aérien militaire (COTAM) de Villacoublay (France), du LTKolo de Münster (Allemagne) et de l'ATCC de Melsbroek (Belgique) vont prendre le chemin d'Eindhoven où ils rejoindront leurs collègues néerlandais du AOCS NM qui auront un peu moins de chemin à faire... Une équipe précurseure d'une vingtaine d'officiers a déjà pris ses quartiers depuis près de deux ans. La plupart des effectifs arriveront entre le 1er juillet et fin décembre.

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Le commandement sera d'abord assuré par un général allemand (2*) puis,  alternativement, par un général français. Outre les fonctions de sécurité aérienne, de conseil juridique, d'audit et de soutien général, il comprendra deux divisions : une opérationnelle (planning, tasking, current OPS, analysis & reporting, aero medical et evacuation control centre) et fonctionnelle (employment, training & exercises, logistics, fleet management).

Plus de 170 appareils seront mis pour emploi de l'EATC : de l'avion à longue portée (Airbus A320, A330) à l'avion tactique (Transall, C130 Hercules) en passant par les ravitailleurs (A310 MRTT) ou de plus petits avions. Mais pas les hélicoptères. Il y aura ainsi, sous les ordres de l'EATC, 13 avions de transport à long rayon d'action et plus de 120 de transport tactique. Soit plus de la moitié de la flotte nationale. En tout EATC disposera d'environ 70.000 heures de vol / an. Mais il n'y aura pas de transfert de souveraineté, chaque avion gardera son pavillon et son carnet d'entretien national. Il restera rattaché à sa base aérienne.

Quand l'Airbus A400M sera arrivé ..., il sera non seulement mis à disposition
de l'EATC. Mais il y aura une structure plus intégrée, l'EATF pouvant inclure les équipages et la maintenance. Comme le décrit un officier allemand, « un équipage international pourrait voler sur ce type d'avion, un commandant français, un copilote allemand et un responsable de chargement belge »...

Petit retour en arrière

En 2001, sur une initiative franco-allemande est mis en place une cellule de coordination aériene européenne (EACC) pour coordonner les mouvements militaires des Etats  membres de l'EU. Renommée EAC - European Airlift center - en juillet 2004, elle se fixe sur la base militaire d'Eindhoven et regroupe sept pays (Allemagne, France, Belgique, Pay-Bas, Italie, Royaume-Uni ainsi que la Norvège, non membre de l'UE). Ce centre comprend 26 officiers dont 5 Français (selon le ministère de la Défense).

En avril 2006, les Etats-Majors français et allemand décident d'aller plus loin et de développer un nouveau concept. Ils signent une lettre l'intention (LOL) établissant un commandement commun pour réguler le transport aérien. L'EATC est né. Il est entériné au niveau politique par le conseil des ministres franco-allemand du 12 octobre 2006. En 2007, les Pays-Bas et la Belgique - qui font face aussi à des coupes dans leur budget de défense - rejoignent l'initiative. Le Luxembourg signe un protocole d'accord en 2009. Le concept de l'EATC est signé le 11 mai 2007 à Bruxelles en marge du comité militaire de l'UE. Et les quatre chefs d'Etat-major paraphent au dernier trimestre 2009, la déclaration commune d'établissement.

NB : merci aux officiers de différentes nationalités qui m'ont aidé à comprendre l'importance de ce dispositif.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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