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Pour les Tories, l’avenir de la défense est avec… la France !

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(BRUXELLES2 à Londres) Sir Malcolm Rifkind planchait hier devant le prestigieux RUSI, Royal United Services Institute, pour exposer les idées des Tories sur la défense. Beaucoup d'experts et de diplomates dans la salle - comme c'est l'usage - et peu de journalistes. Un exposé fort intéressant sur plusieurs points : le budget, les coopérations bilatérales, l'OTAN et l'Europe.

Membre des gouvernements (cabinets) Thatcher et Major sans discontinuer durant 18 ans, Rifkind est, en effet, une figure éminente du parti conservateur même s’il n’est plus en première ligne aujourd'hui. Il ne figure pas ainsi dans le shadow cabinet du leader tory, David Cameron. Secrétaire à la Défense de John Major de 1992 à 1995, il a été également à la tête du Foreign Office de 1995 à 1997.

To be or not be

Rifkind reconnaît tout d’abord que la défense et les affaires étrangères ne sont pas les sujets primordiaux lors d'une élection (1). Il cerne cependant trois enjeux principaux.

Premier enjeu : « Que doit faire la défense britannique ? Doit-elle se concentrer sur ce qui menace directement le territoire ou veut-elle permettre au Royaume-Uni d'être, avec la diplomatie, un « global power ? » C’est cette seconde option que Rifkind défend. Parmi les menaces, l’attaque conventionnelle contre le Royaume-Uni, même si elle ne doit pas être exclue, est éclipsée par d’autres plus présentes, précise-t-il : le terrorisme, tout d’abord (assez logiquement), une menace qui est autant une « question tant interne qu'externe ». Mais aussi le « commerce ». « En tant qu’île, « la liberté du commerce, son accès libre, est quelque chose d’essentiel pour nous ».

2e enjeu : le budget. Le budget de la défense ne sera pas réduit (6 milliards £). Mais il faut s’attaquer « aux coûts opérationnels du ministère. Or, selon l’étude Mc Kinsey (2), ceux-ci sont supérieurs de 20% aux coûts des autres pays, pas seulement les plus petits mais des Etats comparables : France, Allemagne notamment ». Il faut « s’attaquer à la bureaucratie qui, comme dans toute grande structure tend à augmenter ».

France, je vous aime...

3e enjeu : les coopérations bilatérales. Intéressant ! « C'est important non seulement pour des raisons politiques mais pour résoudre les coûts » souligne-t-il. « Je sais: le mot coopération européenne peut provoquer des réactions émotionnelles chez certains d’entre nous » prend-t-il soin de préciser. Mais elle est utile et nécessaire, « particulièrement avec la France ». Nous pouvons avoir avec d'autres également : les Pays-Bas ou les pays d'Europe centrale. Rifkind n'insistera pas particulièrement sur ces points, revenant en revanche, à plusieurs reprises, sur la coopération franco-britannique. Pour lui, le terrain d'élection de cette coopération est la « dissuasion nucléaire ». Sans aller jusqu’au regroupement (merger) — il prononce cependant le mot — ce serait la priorité la plus logique. « Nous sommes les seuls au niveau européen (avec la Russie) à avoir l’arme nucléaire. Nous sommes proches. Et nous ne constituons pas une menace (envers l’autre). » Second terrain de coopération : « la passation de marchés en commun », par exemple pour la marine. « J’y crois car cela peut réduire les coûts. » Encore faut-il que ce soit sur la base d'une « compétition équitable et transparente ». « Avec un État monolithique, qui défend son industrie, ce n’est pas toujours facile...», ajoute-t-il. Par exemple, « nous avons deux marines, avec chacun des spécifications différentes. Mais la vraie difficulté reste industrielle. » Et de se rappeler la discussion avec les Français dans les années 1990. « Nous avions eu une discussion avec Pierre Joxe » alors ministre de la Défense. Et il me disait « s’il vous plait, tenez bon »... Quant à la nature de cette coopération : est-ce dans un cadre européen ou ad hoc ? Rifkind penche clairement pour la seconde option, ainsi qu'il me l'a répondu dans une petite conversation, hors micro : « Le plus important c'est la substance de la coopération, pas le cadre ». Autrement dit : une coopération bilatérale et non dans le cadre européen. Il ne semble pas être question, pour lui, de renforcer l'agence européenne de défense.

Réformer l'OTAN

Au rayon des coopérations multilatérales, bien entendu il y a l'OTAN. Mais c'est tout...

L'OTAN : revoir le partage des charges. Rifkind estime que la question du « partage des charges » est une question cruciale pour l’avenir de l’Alliance atlantique, de même que ses modalités de décision. « On ne doit plus dépendre de l’unanimité » pour certains sujets ou équipements. Mais il reconnaît également que la « coalition des volontés » - utilisée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni en Irak « n’est pas vraiment la bonne chose ». Plusieurs Etats ont participé à l’opération mais — reconnaît-il — c’était davantage pour faire plaisir aux Etats-Unis. Pour avoir une vraie « coalition », il faut « un intérêt commun de la menace, une communauté véritable d’intérêts »

Cathy Ashton : une ambassadrice de bonne volonté. Je n'ai pu m'empêcher d'interroger Rifkind sur l'avenir de Cathy Ashton, la diplomate en chef de l'UE. Mais cela semble être le cadet de ses soucis. Il ne voit pas de nécessité de changement(3). « Il n’y a pas de ministre (européen) des Affaires étrangères car il n’y a pas de politique européenne des affaires étrangères. Elle est davantage un ambassadeur qui peut s’exprimer quand il y a position commune – ce qui n’arrive pas tout le temps – et défendre celle-ci. Mais pas plus. »

Commentaire : on le voit l'Union européenne, et la PESD, n'ont que peu de place dans cet argumentaire du spécialiste de la Défense des Tories qui met toujours la grandeur du Royaume-Uni et sa place dans le monde comme un objectif principal et ultime. Dans les lambris dorés de la bibliothèque du RUSI, l'histoire est très présente. Mais la réalité d'aujourd'hui est bien présente également. Surtout la pression budgétaire. Outre-Manche, le débat est, en effet, crucial sur ce point. Un récent rapport du National Audit Office (Cour des comptes) montre ainsi que le déficit de la défense se montera à 36 milliards £ les dix prochaines années. Et encore ! Ceci est plutôt un minimum - si les dépenses militaires restent basses - qu'un maximum... Tandis que la dette publique du pays atteint un chiffre inégalé (prévision proche de 12% pour 2010 !). On comprend donc que la recherche d'économies soit primordiale. Et que le pragmatisme soit de rigueur. Si la défense britannique veut rester au premier plan, elle doit urgemment rechercher non seulement des coopérations industrielles mais aussi des synergies. Et la France reste, en l'occurrence, la plus "intéressante" possibilité. Le Royaume-Uni est, ici, en position de demandeur de coopération. C'est une opportunité à saisir...

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Un débat télévisé réunit les 3 leaders : Labour (Gordon Browne), Tory (David Cameron) et LibDem (Nick Clegg) autour de ce thème notamment.

(2) Réalisée aux Etats-Unis par McKinsey en avril 2009.

 (3) On se souvient que cette option a été soulevée comme une éventualité en cas d’arrivée d’un pouvoir conservateur à Londres.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Pour les Tories, l’avenir de la défense est avec… la France !

  • Une fois de plus, l’UE est totalement absente de cette stratégie qui illustre parfaitement le fait que les 27 sont plus préoccupés de défendre chacun son intérêt propre que de construire une véritable puissance internationale.

    Il me semble pourtant que le Traité de Lisbonne ouvre des perspectives intéressantes pour la politique de sécurité et de défense européenne ! On en viendrait même à se demander si Lady Ashton a bien compris que ce sujet la concerne.

    On ne peut que déplorer l’égoïsme des “27”… et espérer que le Parlement européen continuera à s’affirmer pour défendre la poursuite d’une construction européenne plus que jamais nécessaire.

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