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Histoire européenne

La « grand-mère », révoltée, de Gdansk, est partie dans les cendres de Smolensk

(BRUXELLES2) Dans l'accident de l’avion présidentiel polonais à Smolensk, ce ne sont pas seulement quelques leaders qu'a perdus la Pologne, c'est une partie de son âme. Dans cet avion se trouvaient, en effet, des représentants et proches des fusillés de Katyn, mais aussi la cofondatrice de Solidarnosc, Anna Walentynowicz. Une petite bonne femme, entêtée, intransigeante, qui avait survécu à beaucoup de chose. Egérie des chantiers navals, elle avait causé quelques migraines aux dirigeants de la Pologne. Le vice-Premier ministre de la Pologne communiste, Rakowskil la surnommait d’ailleurs « la musaraigne irresponsable ». Un compliment en quelque sorte...

Née en 1929, orpheline à 10 ans, Anna Walentynowicz travaille à la ferme, dans une boulangerie avant d’entrer, en 1950, aux chantiers « Lénine » de Gansk. Membre de l’Union de la jeunesse polonaise (ZMP), elle participe au congrès de la jeunesse socialiste à Berlin en 1951. Mais elle quitte assez vite l’organisation.

Féministe avant l’heure, elle devient responsable de La « Women’s Ligue » dans les chantiers. Et se bat contre diverses injustices : les discriminations, l’utilisation abusive de l’argent de la caisse de prévoyance. Elle est mise sous surveillance par la direction. Victime d’un cancer, elle est reclassée. Mais elle continue le combat. Dès 1978, elle rejoint le syndicat libre des ouvriers de la côte, WZZ « Robotnik Wybrzeza ». Excédée par son activisme, la direction des chantiers la licencient sans droit à la retraite, le 8 août 1980. Son éviction met le feu aux poudres. Une grève se déclenche qui donnera naissance au syndicat alternatif, NSZZ Solidarnosc.

Codirigeante du syndicat indépendant, elle se heurte à plusieurs reprises à son autre dirigeant, plus connu à l’Occident, Lech Walesa, mais qu’elle accuse d’être trop mou et à la solde des services secrets communistes. C’est contre son avis qu’elle soutient la poursuite de la grève. Sa détermination emporte l’adhésion du syndicat. Son intransigeance faillit lui manquer la vie. En 1981, les SB – services de sécurité – de la Pologne tentent de l’empoisonner. Après l’introduction de la loi martiale, elle est internée, comme plusieurs centaines de dirigeants de Solidarnosc. Libérée, elle n’en continue pas moins le combat. Participant notamment à la protestation et grève de la faim tournante pour faire libérer les prisonniers politiques, notamment Adam Michnik, fondateur de Gazeta Wyborcza. A l’avènement de la Pologne pluraliste, elle abandonne le combat politique ne se reconnaissant pas le pouvoir en place.

En 2008, elle reprend cependant le chemin des chantiers navals, venant soutenir les ouvriers, à nouveau en grève, cette fois pour leurs conditions de travail et contre les décisions de restructuration des chantiers. A près de 80 ans, elle ne renonce pas.

Entre-temps, son histoire, un peu romancée, a servi de toile de fond au film « Grève : l’héroïne de Gdansk» de Volker Schlöndorff, sorti en 2006. Un titre qu’elle refusera. Elle menacera, même, la production d’un procès s’il ne retire pas son nom de la production. Le seul titre qu’elle ara accepté sera l’ordre de l’Aigle blanc, la plus haute distinction polonaise, reçu des mains de Lech Kaczynski.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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