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La vision très british de Catherine Ashton sur la défense européenne

(BRUXELLES2) Si Catherine Ashton, la haute représentante aux Affaires étrangères, a globalement bien passé la rampe de son grand oral auprès des députés européens ; en revanche, sur l'Europe de la Défense, cela ressemble plutôt à un désastre. Le "net progrès", constaté en général, ne l'est pas sur ce sujet. Un signe ?

A moins d'être un tory britannique, je n'ai trouvé aucun élu, spécialiste de ce dossier, qui n'ait pas été "étonné", "déçu", "alarmé", "catastrophé" par les réponses d'Ashton sur la question, son manque de connaissance et surtout d'appétence du sujet. En fait, à bien écouter Catherine Ashton, l'Europe de la Défense, ce sont avant tout les Etats-membres et, surtout, l'Otan et les Etats-Unis ! Une vision très british (1), en fait, de l'Europe de la Défense, qui ne me semble plus très adaptée aujourd'hui aux nouveaux enjeux mondiaux.

Une pensée guidée par le tropisme transatlantique. A plusieurs reprises, Catherine Ashton a ainsi mis en avant l'OTAN quand on lui parlait politique étrangère ou politique de sécurité et de défense commune. « L'Afghanistan, le Pakistan, l'Iran, le Moyen-Orient, la Somalie, le Yemen sont clairement mes top priorités » a-t-elle précisé. Un catalogue très américain peut-on juger. Ni le Congo, ni le Tchad ou le Soudan, ni la Géorgie ou la Transnistrie, pourtant enjeux tout aussi importants pour l'Europe, ne sont cités, etc. Et d'ajouter comme preuve de son activité : « J’ai participé à la réunion de l’Otan qui m’a permis de rencontrer Rasmussen. Je dois me rendre à Washington pour rencontrer Hillary Clinton » (une référence qu'elle reprend plusieurs fois). Quant à Richard Holbrooke (2), il semble être devenu son mentor : elle s'est entretenue « à plusieurs reprises » avec lui au téléphone. Ce tropisme otanien et américain peut se comprendre. Il fallait donner quelques gages aux opposants tories et Ukip qui l'accusaient d'être à la solde de Moscou pour avoir milité - il y a 28 ans ! - à la CND, une organisation contre le désarmement. Et, après tout, Ashton est britannique jusqu'au bout des ongles (3). Elle reste toujours convaincue de l'efficacité de l'intervention en Irak (et l'a affirmé). Mais cela ne justifie pas pour autant une espèce de prudence voire de méfiance vis-à-vis de l'Europe de la défense.

L'OTAN a réponse à tout, Ashton n'a réponse à rien ...
Sur toutes sortes de questions, au lieu de mettre en avant les possibles développements de l'Europe de la défense, Catherine Ashton a paru promouvoir davantage la nécessité d'un « partenariat pragmatique (stratégique) avec l’OTAN » et la nécessité de renforcer le lien transatlantique. Ainsi à la question sur l'avenir de l'Agence européenne de défense et son rôle pour renforcer l'industrie européenne de défense, Catherine Ashton a répondu qu'il ne s'agissait pas de « retirer des tâches aux Etats membres ». Il y a également des compétences d’éducation et de recherche à la Commission européenne » a-t-elle ajouté. Et d'ajouter illico « qu'elle souhaitait développer des relations avec l’Otan et avec son secrétaire général pour voir comment aller de l’avant ». Ce n'était pas la question ! Sur l'existence d'un QG militaire européen ? cela a été encore plus clair: « elle n'en est pas convaincue ». Pourquoi ? La défense « c'est aussi le travail des Etats membres ». Et de préciser ensuite, citant l'exemple de l'opération anti-piraterie Atalanta dans l'Océan indien, « le QG à Northwood fonctionne bien ». Sur l'opération de formation des soldats somalis, elle n'a pas voulu se prononcer, préférant expliquer qu'il fallait « développer le pays »...

Une inculture de défense
. En matière de politique de défense, l'audition d'Ashton a aussi été un festival d'inculture. Sur le Livre blanc sur la défense, elle a affirmé qu'elle n'était pas au courant et se renseignerait !. Idem pour la présence au Conseil de sécurité de l'ONU, « vous m'avez pris par surprise, je ne sais pas » argue-t-elle. « pour être sincère, depuis 5 semaines que je suis nommée, je n'y ai même pas pensée » Décoiffant ! Son questionneur, Mauro, un PPE Italien lui répond d'ailleurs, dans sa barbe : « la prochaine fois je vous demanderai le nom de votre coiffeur ! ». Sur la clause de solidarité et d'assistance mutuelle, pas de réponse
. Sur le rôle de l'UE en Transnistrie, l'extension du mandat de l'opération antipiraterie Atalanta à la pêche illégale, idem, elle ne répond pas. Etc...

Au final, on ne peut que partager ce sentiment de quelques députés : de « graves lacunes », voire une sérieuse « inquiétude » sur sa volonté
réelle d'avancer sur la PeSDC.

(1) Ce n'est pas un hasard si son chef de cabinet, James Morrison, est issu directement du Foreign office. Il a officé notamment à la Représentation permanente du Royaume-Uni à Bruxelles durant la dernière présidence britannique (2005) comme responsable du team présidence en charge des questions également de l'Asie, de l'ONU et du G8.

(2) Holbrooke, ambassadeur à l'ONU de 1999 à 2001, fut un des négociateurs du plan de paix de Dayton sur la Bosnie (1995). Il a été nommé par l'administration Obama, en janvier 2009, envoyé spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan
.

(3) Ce rôle est confié, noir sur blanc, au Haut représentant dans le Traité. Lire:
le rôle du Haut représentant, d'après le Traité de Lisbonne

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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