Pour comprendre l’Europe de la défense: “le choeur du débat”
Ecrit par un contre-amiral Français et un franco-britannique, dans deux versions (anglais et français), cet ouvrage de 82 pages a une visée essentiellement pédagogique : faire comprendre les enjeux et les outils de l'Europe de la Défense, sans oublier d'en expliquer les difficultés ou les attentes. Et cet objectif est atteint. Les auteurs savent de quoi ils parlent. Le premier a dirigé le bureau UE de l'Etat-major des armées à Paris pendant la présidence française de l'UE (il est aujourd'hui à Riyad à la tête de la mission militaire interarmées française) ; il a surtout été parmi les premiers officiers français affectés à l'état-major de l'UE à Bruxelles. Le second est au RUSI, le Royal United Services Institute de Londres, chargé du programme de sécurité européen ; il a auparavant été consultant chez Frost & Sullivan’s, a travaillé pour Jane's (la maison d'édition spécialisée dans les affaires de défense) et a travaillé à la Direction des affaires stratégiques du ministère de la défense. Les illustrations - dont la moindre n'est sans doute pas cette carte satirique du Français Paul Hadol, datant de 1870, montrant les Etats européens cherchant à se dominer les uns les autres -, viennent étayer leur démonstration, ce rapide parcours dans toutes les réalités de l'Europe de la Défense. Eclairant car il n'oublie de mettre le doigt sur les attermoiements ou les divergences.
L'Europe à la limite de ses moyens d'action
L'Europe en dix ans a développé, expliquent les auteurs : "des fondements doctrinaux, des capacités d'évaluation des situations et de prise de décision collective, des moyens d'action. (Mais) des limites ont été atteintes dans (ces) trois composantes. Les avancées se heurtent désormais à la nécessité d'une vision stratégique plus profonde mais aussi aux difficultés ou aux réticences des Etats-Nations à investir leurs outils de défense nationaux au profit d'une capacité d'action collective plus efficace". Parmi les pistes de développements potentiels, les auteurs citent ainsi : "le livre blanc européen, la mise en place d'un QG d'opérations permanent à Bruxelles, l'augmentation de la part de financement des opérations, du budget de l'Agence européenne de défense, et la mise en place de relations militaires entre l'UE et les Etats-Unis". Car "jusqu'à présent Washington s'est toujours refusé à faire passer la relation militaire euro-américaine en dehors de l'Otan".
La question du QG d'opérations permanent : une nécessité pratique.
Les auteurs soulignent cette nécessité, en montrant les difficultés.
• "Le recours aux QG nationaux d'opérations (il en existe cinq : au Mont-Valérien FR, Northwood UK, Potsdam DE, Rome IT, Larissa GR) est sensible au nombre de planificateurs dont disposent les Etats membres. (...) De fréquents déplacements - qui ont représenté des dizaines de milliers d'euros pour l'opération Eufor Tchad/RCA sont nécessaires à la concertation entre les autorités et planificateurs du QG et les organes politico-militaires de l'UE, en dépit de la proximité entre Paris et Bruxelles. Le coût induit par un QG d'opération plus éloigné en augmente potentiellement d'autant.
• "Si le SHAPE (NB : à Mons - Belgique) offre une solution permanente, la procédure liée au partenariat entre l'UE et l'OTAN se révèle à la fois lourde et complexe. Neuf mois ont été ainsi nécessaires pour planifier l'opération Althea (Bosnie-Herzégovine) en 2004.
• "L'option du centre d'opération de l'UE, à Bruxelles, n'a pas encore été utilisée, bien qu'elle ait été testée en exercice. Elle repose sur un renfort subtantiel d'une quarantaine d'officiers fournis par l'état-major de l'UE, ce qui le pénalise inévitablement pour réaliser ses autres tâches. L'idée de créer un noyau permanent, a été relayées (...) C'est l'une des évolutions les plus controversées de la défense européenne puisqu'elle se traduirait par un bond substantiel dans l'efficacité militaire de l'UE."
Le danger de duplications: entre l'Otan et l'Ue ou entre les Etats membres ?
Les auteurs expliquent notamment que la concurrence entre l'Otan et l'UE - "marquée par un vif sentiment de menace existentielle" - n'a plus lieu d'être. Opération après opération, "une clarification empirique s'est faite". Et la crainte de duplication apparaît aujourd'hui peu sérieuse. "Le personnel militaire de l'UE comprend environ 200 personnes qui ne sauraient doublonner les 12.000 postes qui constituent la structure permanente de commandement de l'OTAN." Les auteurs peuvent ainsi mettre les pieds dans le plat : "les véritables duplications sont celles qui existent entre les Etats membres (...) pourquoi maintenir autant de chaînes de commandement et d'organisations logistiques nationales et matériels encore insuffisamment interopérables ? Pourquoi ne pas davantage mutualiser ou mettre en commun les formations et les moyens dans un contexte budgétaire nécessairement contraint ?"
• "L'Europe de la Défense. Le Choeur du Débat" / "European Defence. Breaking new ground" - Alastair Cameron, Jean-François Morel (Préface de Javier Solana) (Editions l'Harmattan, Paris, octobre 2009, 82 pages, 12 euros).