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Il faut engager le débat sur le Haut représentant: tout de suite !

(BRUXELLES2) Mais pourquoi donc tout le monde s'intéresse au futur président de la Commission européenne et pas du Haut représentant de l'UE pour la Politique étrangère ? Voici la question qu'on pourrait se poser. Et qu'il faut se poser, de toute urgence...

Certes le poste de président de la Commission est plus ancien (créé dans les années 1950, il est sorti de l'ombre dans les années 1980, personnalité de Jacques Delors aidant) et plus emblématique (son pouvoir d'action est large). Tandis que le poste de Haut représentant n'a que dix ans d'existence et un rôle plus discret. Mais en 10 ans, la politique étrangère de l'Union européenne est sortie des limbes et Javier Solana, son titulaire actuel, lui a donné, bon an, mal an, ses lettres de noblesse. Le Traité de Lisbonne le consacre en lui donnant une importance qu'aucun poste au niveau européen n'a jamais eu. En plus de ses pouvoirs actuels - représentation extérieure, missi dominici européen, pouvoir d'initiative en matière de défense et de politique étrangère, autorité hiérarchique sur les instances militaires ou civiles de gestion de crise, etc... - il devient commissaire européen, avec le titre de vice-président, ayant autorité sur le service extérieur, et préside le Conseil des Ministres des Affaires étrangères.

Certes, le Traité de Lisbonne n’est pas encore en vigueur. Ce dont les interlocuteurs à qui j'ai posé m'ont répondu pour se défausser : "Ooh lala. Mais il faut attendre le traité de Lisbonne. Car cela change énormément le profil". "Chaque chose en son temps". Etc... (1). Je persiste et signe, il est urgent de désigner le futur Haut représentant de la politique étrangère de l'UE.

Plusieurs bonnes raisons militent en faveur d'une décision rapide

Le terme du mandat de Solana. Le mandat de Javier Solana, actuel Haut représentant, se termine à mi-octobre. L'intéressé a confié qu'il ne souhaitait pas être renouvelé (lire : Solana ne rempilera pas). Et il paraîtrait logique que la discussion s’engage maintenant sur son successeur. On peut bien sûr demander à Javier Solana de prolonger son mandat de quelques semaines ou quelques mois - ce qui sera sans doute fait - mais cela laisse entière la question de son successeur.

Un poste à succession délicate. Discussion d'autant plus nécessaire qu'en dix années de mandat, son titulaire actuel, Javier Solana a marqué ce poste de son empreinte, discrète, mais réelle. Une série de contacts, souvent personnels, se sont engagés. Et il paraît important que son successeur(se) se trouve à ses côtés davantage que quelques heures pour une passation en bon ordre.

Le pouvoir d'initiative. Le Haut représentant – qu’il s’agisse du Traité de Nice et du Traité de Lisbonne – est nommé par les Etats membres. Il leur rend compte mais en même temps impulse des politiques nouvelles. Il a surtout le pouvoir d'initiative en matière de politique étrangère et de missions de défense. Ce qui ne place pas au même rang - dans les deux cas - que les autres personnalités.

Trouver le bon équilibre. La revendication du groupe socialiste, le montre, le débat est en train de se politiser. Ce qui serait dangereux. Un bon candidat peut être un socialiste. Mais un socialiste n'est pas automatiquement un bon candidat. Mais elle a le mérite de poser la question. Car même si cette règle n’est inscrite nulle part, il y a une recherche d’équilibre politique et même géographique (petit / grand pays) entre les deux postes (président de la Commission, Haut représentant).

Quelques critères

Quel sera son profil ? Personne ne veut le dire. Car répondre à cette question c'est déjà donner une indication sur le(s) nom(s) possible(s). Mais certaines indications peuvent être utiles pour cadrer le débat. Aucun de ces critères n'est écrit. Mais ils semblent (plus ou moins) communément entendus et circulent dans les rangs des diplomates.

1er critère : un Ministre des Affaires étrangères. Il paraît nécessaire que ce soit (au moins) un Ministre des Affaires étrangères (puisqu'il va devoir présider le conseil des Ministres des Affaires étrangères, dans la version Lisbonne, ou qu'il devra les représenter à l'extérieur de l'UE, dans la version Nice & Lisbonne), voire un Premier ministre (comme me l'a soufflé un interlocuteur. Nommer aujourd'hui un simple diplomate serait rétrograder la fonction par rapport au profil actuel.

2e critère : un ministre qui ait un peu bourlingué et/ou ait une certaine "étoffe politique".
Là existent deux pistes divergentes. Soit on choisit une personnalité ayant un passé européen, de commissaire particulièrement. Ce qui serait logique (dans la version Lisbonne, puisque le Haut représentant va siéger à la Commission; et même dans la version Nice, car le Haut représentant est souvent amené à travailler avec la Commission). Dans ce cas, un candidat comme le Français Michel Barnier ou l'Italien Franco Frattini pourrait être adéquat. Soit on choisit un homme qui a fait ses armes dans la Défense ou des affaires stratégiques. Ce qui est aussi logique car cet homme va devoir gérer la PESD. Dans ce cas, le Néerlandais Jaap de Hoop Scheffer, ancien secrétaire de l'OTAN serait en pole position (s'il arrête le moutain bike ). Mais pas seulement : on peut penser aussi à Lord Robertson. Soit on prend une troisième piste, un homme qui a un passé européen de négociation internationale. On retrouve alors le Suédois Carl Bildt ou le Français Bernard Kouchner, qui sont passés tous deux par l'école des Balkans ; l'Espagnol Moratinos passé par l'école du Proche-Orient. Tous ces noms sont des PPE sauf Moratinos (socialiste) ou Kouchner (socialiste "inassimilable").

3e critère : la bonne santé. Cela peut paraître étonnant. Mais il paraît important que le candidat trouvé soit sinon d'une bonne jeunesse au moins prêt à assumer au niveau de sa santé et/ou de son âge, la pleine capacité de ce poste qui implique de nombreux déplacements à l'étranger, parfois dans des conditions qui ne sont pas évidentes, et une possibilité d'endurance face aux possibilités de multiplication des crises. Quand on voit ce que le titulaire actuel du poste a enduré, on comprend mieux la pertinence de ce critère.

4e critère : la nationalité. Comme le précédent, c'est certainement un critères les plus tabous. Mais bien réel ! Il faut que le titulaire du poste provienne d'un pays - petit ou grand - qui ait une présence avérée dans plusieurs parties du monde, une certaine prééminence soit par son poids historique (Espagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas), sa valeur économique (Allemagne, Italie) ou son engagement  international avéré (Belgique, Danemark, Irlande, Suède, Finlande...). Les candidatures issues de pays qui ont une position particulière sur la politique de défense européenne sont difficiles (Danemark, Royaume-Uni). Quant à de possibles candidatures venues de pays d'Europe centrale et Orientale (Bulgarie, Pologne...), elles me paraissent délicates à endosser pour les Etats fondateurs, même si la qualité de certains candidats est avérée, pour avoir un rôle de représentation globale : de la Chine à l'Amérique latine, en passant par l'Afrique. Sont également exclus les nationaux de pays qui ont déjà obtenu un poste important au niveau européen (Danemark, Portugal) : l'un (Rasmussen) étant secrétaire général de l'OTAN, l'autre (Barroso), étant président de la Commission européenne.

5e critère : être reconnu et désigné par son Etat membre. On oublie trop souvent ce critère quand on parcourt les candidats possibles. Mais il faut encore que les conditions de la vie politique interne permettent la nomination de la personne, eu égard à son parcours et ses soutiens politiques, sa personnalité et ses prises de position.

Ainsi certaines candidatures paraissent ainsi difficiles. Franco Frattini pour son manque d'expérience en politique étrangère et ses prises de position fracassantes sur l'immigration a peu de chances de passer la rampe d'une audition au Parlement européen. Lord Robertson vu la position particulière du Royaume-Uni sur la PESD. Bernard Kouchner a un passé brillant mais son sens de l'indépendance et des déclarations pourrait faire peur à plusieurs Etats membres. Carl Bildt était bien placé mais a fâché quelque peu Allemands et Français avec ses déclarations très enthousiastes sur la Turquie. Joshka Fischer appartenant aux Verts est mal placé sur l'échiquier allemand pour être désigné par son pays. (lire aussi : quelques candidats).

Conséquence. Le mandat de Solana prolongé. Il paraît difficile aux 27 chefs d'Etats de faire une nomination avant le référendum irlandais, donc avant le sommet des 29 et 30 octobre. Sauf si les 27 décident d'accélérer le calendrier et de profiter de leur réunion du 17 septembre consacrée officiellement à... la Grippe A pour discuter de ce sujet. Ceci a une implication concrète. Javier Solana dont le mandat se termine à mi-octobre ne devra pas faire ses valises tout de suite. Et son mandat devrait être prolongé, au moins de quelques semaines, voire de  quelques mois. Il paraît, en effet, dangereux de nommer un interlocuteur, diplomate en chef de l'UE, sans ce relais là.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Un esprit chagrin pourrait répondre : "pourquoi ne pas attendre alors pour le président de la Commission européenne". Mais alors il faut vraiment être chagrin

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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