Opération « déstockage » chez les pirates somaliens… Attention au retour, offensif
(BRUXELLES2) S'il ne s'agissait d'otages, de personnes, on pourrait dire que ce qui s'est passé tout au long de ces dernières semaines le long des côtes somaliennes ressemble à s'y méprendre à une opération "grande braderie" ou "soldes d'été". Les pirates ne détiendraient, selon les derniers rapports des renseignements européens, que 4 navires (NB : 6 navires et 123 membres d'équipage - dont 42 Philippins - d'après Ecoterra). En quelques semaines, les pirates ont ainsi libéré, le plus souvent contre monnaie sonnante et trébuchante, la plupart des navires qu'ils détenaient. Le remorqueur italien Buccaneer et le cargo allemand MV Hansa Stavanger, tous deux détenus depuis quatre mois environ, ont été libérés l'un le 11 août, l'autre le 4 août - lire les nouvelles de l'été à Atalanta - tandis que les deux navires malaisiens et indonésien travaillant pour Total ont été libérés le 3 août après près de 8 mois de détention !
Cette opération "déstockage" peut être interprétée de différentes façons.
1ère explication : un peu comme en Bourse, les pirates sont décidés à réaliser leurs profits, avant de partir pour d'autres aventures, ou parce qu'ils ont besoin d'argent frais pour investir ailleurs.
2e explication : La pression internationale joue. Les pirates veulent donc réduire la voilure pour éviter d'être pris de travers et de subir une attaque. De plus, avoir autant de bateaux aussi longtemps mobilise beaucoup d'hommes. Autre option : une réorganisation s'est produite au sein des pirates.
3e explication : les relatifs succès de la force internationale déployée ont eu un effet sur le personnel. Même si dans un pays, où le revenu moyen est de quelques dollars, et la vie humaine a moins de valeur qu'en Europe, l'effet "répression" joue. Depuis juin 2008, selon mes statistiques, les forces internationales (UE, Otan, Inde, Russie...) ont ainsi appréhendé plus de 400 personnes suspectes de piraterie, dont 250 traduits en justice (1), 140 désarmés, ainsi qu'une quarantaine de tués. Cela ne suffit pas à supprimer la piraterie. Mais, au regard de la relative impunité qui régnait auparavant, c'est un signal très clair. Faire un acte de piraterie devient, aujourd'hui moins assuré du succès qu'hier - la probabilité de réussir l'attaque est de 1 sur 5 en ce moment (1 sur 3 en moyenne en 2008, 1 sur 4 au premier trimestre 2009) - et un peu plus risqué - le risque de se faire prendre peut être estimé à 1 sur 3 environ. Cependant l'atout des millions à gagner reste tentant (les rançons versées cet été dépasseraient les 10 millions d'euros) dans un pays (Somalie) un des plus pauvres de la planète.
4e explication : sans oublier ce qui précède, les pirates sont surtout occupés à vider leurs stocks, pour repartir à l'attaque (avec de l'argent frais - et des placements -, après s'être rééquipé en armes et en hommes). C'est un peu le sentiment d'ailleurs de Pieter Bindt, le nouveau commandant (sur le "théatre") de l'opération anti-piraterie de l'UE.
Davantage d'attaques et plus loin. Se confiant à un journaliste du quotidien néerlandais, De Volkskrant, qui est à bord de l'Evertsen, la frégate néerlandaise, Pieter Bindt estime, en effet, que "Le nombre d’offensives contre des navires marchands augmentera ces prochains temps. (...) Et la zone d’activité des pirates au large de la Somalie va s’agrandir." Avec les récentes libérations, beaucoup de pirates ont, de nouveau, les mains libres – et l’argent nécessaire – pour prendre de nouveaux otages. "Leur grenier est presque vide. Ils veulent le remplir." assure le commandant néerlandais. Simultanément, "les pirates étendent leur rayon d’action, maintenant que la mousson touche à sa fin. Plus la mer est calme, plus leur portée est grande. Il est de ce fait plus difficile d’intercepter les pirates ou de prévenir une attaque après un appel au secours." (lire l'article du Volkskrant - en néerlandais).
(1) Ce chiffre comprend les suspects remis essentiellement au Kenya (environ 110), mais aussi aux Seychelles, Yémen, Puntland(Somalie) et quelques uns rapatriés aux Pays-Bas, France et Etats-Unis. Certains suspects ont été libérés après une enquête préliminaire. La plupart des autres sont en instance de jugement. 37 hommes ont été condamnés à 3 ans de prison au Kenya le 15 avril 2009. Lire le bilan anti-piraterie remis à jour régulièrement.