B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Analyse BlogPiraterie maritime

L’extension aux Seychelles est-elle bien légale ? Essai d’analyse…


(B2)Les 27 (26 si on ne compte pas le Danemark qui ne participe pas aux décisions de l'UE sur les opérations militaires) ont décidé d'étendre l'opération "Atalanta" au large des Seychelles, sans coup férir, sans réelle discussion ministérielle, sans avis du Parlement européen (il était en campagne électorale mais, de toute façon, son avis n'aurait pas vraiment été requis). Et sans même une décision politique actée juridiquement, comme c’est d’ordinaire la règle dans l’Union européenne. Les 27 ont préféré ne pas modifier l'Action commune (texte officiel) mais juste modifier le Plan d'opération (texte militaire). Une décision actée en toute discrétion par les représentants des Etats membres au Comité politique et de Sécurité, le COPS (1).

Quand le doute s’instille...
Les experts de la PESD au Conseil, attentionnés, estiment « tout à fait » justifiée cette procédure, considérant qu’il ne s’agit que d’un changement « purement opérationnel ». J’ai cependant comme un doute. La modification du champ d'opération n'est pas tout à fait anodine tant au niveau géographique qu’au niveau politique international : le champ d'opération est augmenté de manière substantielle d'un tiers et, au moins, trois nouveaux pays (Seychelles, Tanzanie, voire Madagascar) deviennent directement concernés par l'opération militaire. Il ne s'agit pas vraiment d'une mesure d'urgence (car il faut poursuivre un bateau pirate) ou d'une mesure temporaire (destinée à durer quelques semaines). Mais une décision réfléchie, destinée à durer (au minimum 6 mois,  certainement plus, 1 an, 2 ans...). Pour certifier ce doute, on peut aller plus loin.

Commençons par le test pratique « Et si ». Et si l’extension avait concerné une autre partie maritime  - par exemple la mer d’Arabie et le voisinage de l’Iran… - Inutile de commenter plus loin. On voit bien que la réponse aurait été légèrement différente ! Continuons ensuite par la lecture (un peu fastidieuse j'en conviens, mais nécessaire), de plusieurs textes : l'Action commune - qui définit dans ses articles 1 et 2 les objectifs, le mandat et les missions de l'opération Atalanta - et les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ; ces deux éléments formant « l'armature juridique » d'Atalanta. Le doute se confirme...

A la recherche d'une possible base à l'extension, analyse plus détaillée

Peut-on trouver une base à l'extension dans l'article 1 de l’Action Commune du 10 novembre 2008 ?
La mission d'Atalanta est définie à l'article 1, sous forme d'une mission double :
1) La protection des navires du PAM, conformément à la résolution 1814. Cette mission est indiscutable. Son champ géographique n'est pas limité (il suit les bateaux du PAM).
2) La protection des navires vulnérables "naviguant au large des côtes de la Somalie" et la "dissuasion, la prévention, la répression des actes de piraterie et des vols à main armée "au large des côtes de la Somalie, conformément au mandat défini dans la résolution 1816" (voir plus loin).
La zone d'action est mentionnée de façon précise : "les forces déployées à cet effet opèrent jusqu'à 500 miles marins au large des côtes de la Somalie et des pays voisins". C'est ce dernier paragraphe qui, à mon sens, pose davantage de problèmes puisqu'il définit de façon précise la zone d'action, avec un élément mathématique (la limite des 500 miles), zone qui se retrouve ensuite mentionnée dans tout le reste de la décision. La justification des juristes du Conseil est de préciser les Seychelles comme un pays voisin.... Un seul commentaire : à plus de 900 miles des côtes, soit 1600 kms, c'est un drôle de voisin ! A ce tarif, l'Égypte est voisine avec la France... Soyons sérieux ! Le gouvernement allemand a d'ailleurs présenté un nouveau projet de loi à son Bundestag mentionnant de façon précise l'extension de la zone à 900 kms des cotes somaliennes. Ce qui me parait plus logique.

• Peut-on trouver une base à l'extension dans l'article 2 de l'Action commune ?
Celle-ci définit le mandat d'Atalanta en six points qui mentionnent tous soit la Somalie ("eaux territoriales", "au large des côtes",...), soit la zone d'action (cf. article 1) :
- une protection aux "navires affrétés par le PAM", y compris par la présence à bord des navires concernés d’éléments armés d’Atalanta, en particulier lorsqu’ils naviguent dans les eaux
territoriales de la Somalie;
- la protection des navires marchands "naviguant dans les zones où (Atalanta) est déployée", en fonction d’une appréciation des besoins, au cas par cas;
- la surveillance des zones "au large des côtes de la Somalie, y compris ses eaux territoriales", présentant des risques pour les activités maritimes, en particulier le trafic maritime;
- la prise des mesures nécessaires, y compris l’usage de la force, pour dissuader, prévenir et intervenir afin de mettre fin aux actes de piraterie ou aux vols à main armée qui pourraient être
commis "dans les zones où (Atalanta) est présente";
- l'appréhension, la rétention et le transfert des suspects d'actes de piraterie "dans les zones où (Atalanta) est présente", en vue de l’exercice éventuel de poursuites judiciaires par les États
compétents;
- la liaison avec les organisations et entités, ainsi qu’avec les États agissant dans la région pour lutter contre les actes de piraterie et les "vols à main armée au large des côtes de la
Somalie", en particulier la force maritime «Combined Task Force 150» agissant dans le cadre de l’opération «Liberté immuable». Dans tous ces paragraphes, la zone géographique est définie de façon limitative (Somalie) ou par renvoi aux "zones où Atalanta est présente". Il ne faut pas se tromper : ces "zones" ne représentent pas la présence réelle mais la présence juridique, autorisée par le Conseil, à l'article précédent. Il n'y a donc pas dans l'article 2 d'autorisation explicite, ni même implicite, à
une extension aux Seychelles.

• Peut-on trouver une base à l'extension dans la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU 1816 (mentionnée à l’article 1 de l’Action Commune) ?
La résolution parle certes en termes généraux du fléau contre la piraterie mais vise principalement la Somalie. Ainsi elle n'autorise le recours à la force que pour ce qui concerne la Somalie ou " au large" de celles-ci. Placer les Seychelles au large de la Somalie est une conception acceptable peut-être d'un point de vue géographique. Mais d'un point de vue politique, c'est relativement peu justifiable... La résolution précise d’ailleurs (à propos de l’autorisation de pénétration dans les eaux territoriales) : "l’autorisation donnée dans la présente résolution ne s’applique qu’à la situation en Somalie et n’affecte pas les droits, obligations ou responsabilités des Etats membres en vertu du droit international, notamment les droits ou obligations au titre de la Convention pour ce qui est de toute autre situation, et souligne en particulier qu’elle ne peut être considérée comme établissant un droit international coutumier". C'est assez clair également quant à la restriction du champ géographique.

Conclusion : il faut reprendre le travail. Au regard de l'extension de la piraterie, vis-à-vis des bateaux marchands, l’extension aux Seychelles paraît légitime et même nécessaire. Là n’est pas vraiment la question. Mais est-ce possible au mépris d'un contournement des règles en vigueur ?
La modification de l'Action commune me parait donc être un acte nécessaire, voire salutaire. D'autant qu'il ne peut être invoquée une question d'urgence (en attendant la modification, on peut effectivement fonctionner sur la base d'une décision "provisoire" du COPS). Bien sûr cela oblige les Etats membres à reprendre leur bâton de pèlerin et pour la plupart d'entre eux d'avoir l'autorisation de leur Parlement (mais certains ont déjà entamé ce travail, cf. L'Allemagne avec le Bundestag).
Mais cela poursuivrait la logique européenne (une logique "d'Etat de droit", où toute décision d'envergure étrangère, est fondée sur une décision politique, attestée par un document public). Cette opération Atalanta n'est, aussi, pas tout à fait une mission militaire classique de stabilisation de la paix. Elle a des implications judiciaires comme politiques. Et c'est sur ce plan que la non-modification de l'Action commune me paraît la plus dangereuse.

1) Au plan judiciaire. Ainsi, les transferts de prisonniers étant basés sur l'Action commune - via l'échange de lettres entre le Kenya et l'Union européenne - toute irrégularité de procédure le long de cette « chaîne juridique » va être examinée de près par les avocats des pirates, qui vont s'empresser de l'utiliser pour essayer d'aboutir à une annulation. Qu'ils réussissent, que le prévenu soit libéré, et un pan de l'opération, la dissuasion, sera malmené.

2) Au plan politique, une question se pose : peut-on fonder une défense européenne sans avoir un aval, au moins partiel des Etats membres, au niveau du Conseil et au moins un aval tacite démocratique, par le biais du Parlement européen. Si le soutien de l'opinion publique ou des Etats membres (actuellement quasi-unanimes) faillit, c'est la légitimité de l'opération Atalanta qui pourrait être remise en cause. Le caractère exemplaire de l'opération, la "vitrine" prompte à séduire le grand public comme les spécialistes de la capacité opérationnelle de l'Europe de la Défense en serait atteint.

(1) Les 27 ont, en effet, donné un feu vert politique lors du conseil des Ministres le 18 mai. Et le Cops a approuvé, le 19 mai, les "recommandations pour la modification de l'OpPlan (le plan d'Opération). Et celui-ci va être modifié par le Commandant d'opération. C'est tout.

 (NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®